Les surcoûts du programme européen d’avion de transport A400M ont dépassé les 10 milliards d’euros

Le développement du F-35, le chasseur-bombardier de combat dit de 5e génération de Lockheed-Martin, a suscité bien des critiques en raison des surcoûts, des problèmes techniques et des retards qu’il a accumulés au cours de ces dernières années. Mais, en Europe, le programme européen d’avion de transport stratégique ET tactique A400M « Atlas » n’est pas exempt de reproches. Loin de là.

Lancé au début des années 2000 par sept pays [dont la France, l’Allemagne, l’Espagne et la Grande-Bretagne], ce projet devait initialement coûter 20 milliards d’euros pour un total de 180 appareils à livrer. Seulement, c’était sans compter sur les problèmes qu’Airbus allait devoir affronter, notamment au niveau des turbopropulseurs TP-400.

« Nous avons sous-estimé les problèmes de moteur et sommes rattrapés par ce péché originel. […] Lors du démarrage du programme, nous nous sommes laissé convaincre par des chefs de gouvernement européens de confier les moteurs à un consortium peu expérimenté tout en endossant nous-mêmes la responsabilité pour ce turbopropulseur d’un nouveau genre », expliquera Tom Enders, alors Pdg d’Airbus, en mai 2016, dans un entretien donné au quotidien allemand Bild.

Résultat, et alors que le vol inaugural de l’A400M n’avait toujours pas eu lieu, il fallut trouver 5,2 milliards d’euros pour financer les surcoûts générés par ce programme. Une solution fut trouvée à l’issue de négociations menées avec les pays clients en 2010. Ces derniers acceptèrent de payer une rallonge de 2 milliards d’euros et d’accorder à Airbus [ex-EADS] une avance remboursable de 1,5 milliard d’euros, gagée sur les exportions futures de l’appareil.

À l’époque, le constructeur était résolument optimiste sur ce point puisqu’il estimait pouvoir vendre 500 exemplaires de son avion de transport militaire au cours des 30 prochaines années. Un chiffre cependant divisé par deux dans une étude du cabinet PricewaterhouseCoopers, réalisée à la demande des autorités allemandes. « Si le nombre d’A400M exportés est moins important que prévu, le gouvernement fédéral [allemand] s’expose à un risque de défaut pour le reste du prêt », avait-elle alors prévenu.

Pour autant, et malgré des avancées tangibles, le programme A400M continua à générer des surcoûts importants. En effet, les problèmes des logiciels de contrôle des TP400 [FADEC] persistèrent, des soucis au niveau des boîtiers de transmission [AGB accessory gearbox] des turbopropulseurs apparurent, de même que des fissures sur le fuselage d’appareils livrés. En outre, le développement des capacités tactiques de l’avion, comme le ravitaillement en vol des hélicoptères, l’aptitude à opérer depuis des terrains sommaires et à larguer des parachutistes par les deux portières latérale, prit du retard.

En outre, dans le même temps, la disponibilité des appareils déjà livrés peinait à décoller. En 2016, l’impossibilité pour un A400M de la Luftwaffe de redécoller vers l’Allemagne lors d’une visite en Lituanie de la ministre de la Défense, qui était Ursula von der Leyen à l’époque, fit mauvais effet… D’ailleurs, selon un récent reportage du magazine Stern, cet avion est surnommé « Pannenflieger » par les aviateurs d’outre-Rhin.

Cela étant, en Allemagne, l’A400M n’est pas le seul type d’appareil affecté par les soucis de disponibilité, les rapports publiés chaque année sur l’état de la Bundeswehr pointant d’ailleurs régulièrement les difficultés « systémiques » d’approvisionnement en pièces détachées.

Reste que depuis l’accord de 2010, l’industriel a été contraint de remettre plusieurs fois la main à la poche pour sauver le programme. Et pour des sommes importantes : 2,2 milliards d’euros en 2016 auquels sont venus s’ajouter 1,2 milliard en 2017 et 436 millions en 2018. Et ce n’est pas fini.

En effet, ce 13 février, jour de la publication de ses résultats pour l’année 2019, Airbus a annoncé avoir passé dans ses comptes une nouvelle provision de 1,2 milliard d’euros au titre du programme A400M, alors que ce dernier, remis à plat en deux ans plus tôt, a connu des évolutions positives au cours de ces derniers mois.

« En 2019, 14 avions de transport militaire A400M ont été livrés conformément au dernier calendrier de livraison, portant la flotte en service à 88 appareils à la fin de l’année. Plusieurs jalons clés vers la pleine capacité ont été atteints […], avec notamment le largage simultané de parachutistes et des contacts secs pour le ravitaillement en vol des hélicoptères. En 2020, les activités de développement se poursuivront en vue de réaliser la feuille de route des capacités révisée », a d’abord souligner Airbus.

Cependant, poursuit-il, « alors que la refonte du programme A400M a été achevée et que des progrès significatifs ont été accomplis en matière de capacités techniques, les ambitions d’exportation s’avèrent de plus en plus difficiles à atteindre pour la phase contractuelle initiale. » Et cela, précise-t-il, dans un contexte marqué par la « prolongation répétée de l’interdiction d’exportation [de matériels militaires] de l’Allemagne vers l’Arabie Saoudite. »

Ce n’est pas la première fois qu’Airbus dénonce la politique en apparence restrictive menée par Berlin en matière de ventes d’équipements militaires. « Sans approche européenne commune, Airbus pourrait envisager de fabriquer des produits sans l’Allemagne », avait averti, l’an passé, Tom Enders, à quelques semaines céder son siège à Guillaume Faury.

Quoi qu’il en soit, malgré un chiffre d’affaires de 70,5 milliards d’euros [en hausse de 11%], grâce à la livraison d’un nombre record d’avions commerciaux [863 au total], Airbus affiche une perte nette de 1,36 milliard d’euros, notamment à cause de la nouvelle provision passée pour l’A400M mais aussi et surtout des 3,6 milliards d’euros d’amendes qu’il a acceptés de payer pour solder les affaires de corruption.

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