Le président malien admet l’existence de contacts avec certains chefs jihadistes

Dans un conflit, il est toujours préférable que ce soit l’adversaire qui demande à dialoguer : cela veut dire que les coups que vous lui avez portés l’ont suffisamment affaibli au point de le contraindre à chercher une porte de sortie la plus honorable possible. Si c’est l’inverse qui se produit, alors il se sentira en position de force pour dicter ses conditions.

Or, c’est justement la tentation à laquelle vient de céder Bamako, après que les Forces armées maliennes [FAMa] ont subi d’importantes pertes lors d’attaques revendiquées par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans [GSIM ou JNIM], dirigé par Iyad Ag Ghali, et l’État islamique au Grand Sahara [EIGS].

Ainsi, alors que la France accentue son effort au Sahel via la force Barkhane, le président du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta, a en effet évoqué des contacts avec des chefs jihadistes  lors d’un entretien accordé à France24 et à RFI, le 10 février, en confirmant les propos récemment tenus par Dioncounda Traoré, l’un de ses prédecesseurs qu’il a nommé « haut représentant » pour le centre du Mali.

Pour rappel, en janvier, M. Traoré avait publiquement affirmé avoir eu le feu vert de M. Keïta pour rencontrer deux chefs jihadistes, en l’occurrence Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa, le chef de la katiba Macina, par ailleurs membre du GSIM. Et de préciser qu’il leur avait envoyé des « émissaires ».

« J’ai un devoir aujourd’hui et la mission de créer tous les espaces possibles et de tout faire pour que, par un biais ou un autre, on puisse parvenir à quelque apaisement que ce soit. Parce que le nombre aujourd’hui de morts au Sahel devient exponentiel. Et je crois qu’il est temps que certaines voies soient explorées », a répondu le président malien, alors qu’il lui était demandé si l’on pouvait « appeler à la mobilisation contre le terrorisme tout en se disant prêt à parler avec les terroristes. »

« Dioncounda [Traoré] n’ira pas lui-même rencontrer telle ou telle personnalité, mais Dioncounda est mon représentant, donc il a le devoir également d’écouter tout le monde et de voir si tel ou tel dans l’entourage de tel peut être sensible à un discours de raison. Et également comprendre aujourd’hui qu’avec la mobilisation qui est faite au plan africain et au plan mondial, les chances de prospérer dans cette voie-là deviennent assez difficiles », a continué M. Keïta, qui n’exclut pas non plus un dialogue avec Abou Walid al-Sahraoui, le chef de l’EIGS.

« Je note une chose, c’est qu’en Algérie, quand il y avait cette terreur qui était sensible, visible, quotidienne, personne ne pensait qu’il était possible que des voies puissent s’ouvrir, qu’une concorde nationale puisse être atteinte, et que cela conduise à l’apaisement que l’on voit aujourd’hui dans l’espace algérien. Et ce n’est donc pas une vue de l’esprit, quelque chose de l’ordre de l’impossible », a ensuite expliqué « IBK », en faisant référence à la politique de « concorde civile » qui, mise en place à la fin des années 1999 par l’exécutif algérien, prévoyauit une amnistie générale des combattants des groupes islamistes qui accepteraient de déposer les armes.

« Mais je ne suis pas naïf du tout. […] En tous les cas, beaucoup d’actes ont été commis. Et je voudrais dire aussi : cette histoire de dialoguer avec [Amadou] Koufa et Iyad [Ag Ghali] n’a pas surgi comme ça, au réveil d’un somme de IBK. Nous avons au Mali tenté la gageure d’un dialogue national inclusif et, parmi nos recommandations, il y a cet aspect-là. Pourquoi ne pas essayer le contact avec ceux-là, dont nous savons qu’ils tirent les ficelles de la situation au Mali? », a conclu M. Keïta sur ce sujet.

Cela étant, en mai 2019, l’International Crisis Group avait recommandé au gouvernement malien « d’envisager d’établir un contact avec « les insurgés et leurs partisans que ce soit en ouvrant une communication directe avec les dirigeants de la Katiba Macina ou en initiant un dialogue plus large avec les couches sociales qui lui sont le plus favorable », tout en reconnaissant qu’une telle entreprise n’allait pas être aisée.

Pour dialoguer, il faut être deux… Et jusqu’à présent, les chefs jihadistes ont toujours rejeté toute recherche d’un compromis. Du moins officiellement. Et même s’ils obtenaient l’instauration de la charia, rien ne dit qu’ils déposeraient les armes. À la fin des années 1990, plusieurs États du Nigéria à majorité musulmane ont adopté la loi islamique. Mais cela n’a nullement empêché l’apparition du groupe extrémiste Boko Haram, dont une partie a depuis rejoint la bannière de l’État islamique.

Quoi qu’il en soit, et alors qu’il était fait état de contacts entre Amadou Kouffa et l’avocat malien Hassan Barry accompagné du colonel Mamadou Lamine Konaré, le général François Lecointre, le chef d’état-major des armées [CEMA] avait estimé qu’un dialogue avec les jihadistes serait « assez catastrophique ».

« Le point de vue qui est le mien, c’est qu’on ne peut pas faire preuve de cynisme et qu’on doit être constant dans l’effort. La France est là pour faire valoir une vision de la dignité de l’homme, de l’état de droit, de la démocratie qui, à mon avis, ne s’accommode pas de ce type de négociation », fit valoir le général Lecointre, sur les ondes de France Inter, le 27 novembre dernier.

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