L’Espagne envisage de rejoindre la France, l’Italie et la Grèce pour participer au projet de corvette européenne

Lors de sa dernière audition au Sénat avant de passer le flambeau à Pierre-Eric Pommellet, le Pdg de Naval Group, Hervé Guillou, a déploré la concurrence « fratricide » à laquelle se livrent les constructeurs navals européens sur les marchés militaires.

« L’Europe est le seul seul continent qui ait besoin d’exporter 40 à 60 % de sa production. Notre marché domestique représente entre le tiers et le quart des marchés américains ou chinois et la moitié du marché russe. Alors que les entrepreneurs chinois, russes ou coréens ont fusionné au sein d’entités uniques et que deux entreprises se partagent le marché américain, en Europe nous sommes douze constructeurs, plus divisés que jamais », a d’abord fait remarquer M. Guillou.

Et d’ajouter : « En 2003 le marché naval était exclusivement occupé par des groupes européens. Les russes et américains ne faisaient pas d’export, mais seulement quelques coopérations politiques ponctuelles. Depuis 2018, les Européens sont plus divisés que jamais : les Suédois et les Allemands ont divorcé, les Allemands sont disséminés au sein de trois entités et nous nous sommes séparés des Espagnols. Dans le même temps, les Chinois sont devenus les premiers mondiaux, les Russes sont, depuis cette année, les deuxièmes mondiaux, et la concurrence japonaise et coréenne s’accroît. »

Résultat : il y avait 22 candidats pour répondre à un récent appel d’offres brésilien portant sur… quatre corvettes seulement. Le contrat, d’une valeur estimée à 1,6 milliard de dollars, a d’ailleurs été remporté par l’allemand ThyssenKrupp Marine Systems [TKMS], en avril 2019.

« Notre accès à ces marchés à l’export est menacé, en particulier dans le secteur militaire. C’est pourquoi il ne faut pas se lancer dans des compétitions fratricides avec Fincantieri, les suédois ou les allemands, qui tuent nos marges, mais plutôt de serrer les rangs en Europe avant qu’il ne soit trop tard et de se tourner vers nos vrais concurrents. Aucun pays européen n’a aujourd’hui de marché domestique suffisant pour entretenir une base technologique complète et compétitive », a encore fait valoir Hervé Guillou.

D’où l’intérêt du programme européen « European Patrol Corvette » [EPC], lancé sous la coordination de l’Italie et réunissant la France ainsi que la Grèce dans le cadre de la Coopération structurée permanente [CSP ou PESCO], ce qui lui ouvre la possibilité d’obtenir un financement européen.

« L’objectif est de concevoir et développer un prototype de nouvelle classe de navire militaire, baptisé ‘European Patrol Corvette‘ et pouvant accueillir plusieurs systèmes et charges utiles, afin d’accomplir, avec une approche modulaire et flexible, une grande nombre de tâches et de missions », explique le site dédié à la CSP.

Étant donné que ce projet réunit l’Italie et la France, Naviris, la co-entreprise créée par Naval Group et Fincantieri auront un rôle de premier plan à jouer.

Pour rappel, il s’agit pour l’Italie et la France de développer un nouveau navire de 3.000 tonnes doté de capacités anti-sous-marines et anti-surface pour remplacer les patrouilleurs hauturiers les plus anciens de la Marina Militare [dont ceux de la classe Cassiopea et ceux de type Commandante] ainsi que les frégates de surveillance de type Floréal de la Marine nationale. Quant à la Grèce, ce projet lui permettra d’en faire de même avec ses patrouilleurs de classe « Combattante ».

Mais un quatrième pays, l’Espagne, aurait l’intention de se joindre à ce trio. C’est en effet ce qu’a confié une source industrielle à Defense News. « Naviris a présenté le programme au [groupe espagnol] Navantia, qui est intéressé. Et il est probable que l’Espagne franchira le pas », a-t-elle assuré. « La corvette est le seul programme naval sur la liste de la CSP et devrait être une priorité », a-t-elle ajouté [pour être précis, il s’agit du seul projet de nouveau navire, ndlr].

« L’Italie pourrait avoir besoin de huit corvettes et la France envisage de remplacer six navires. Ils ont tous les deux un besoin, donc le financement de l’UE serait une opportunité supplémentaire qui pourrait créer un effet d’entraînement avec d’autres marines », a ajouté cette source industrielle.

S’agissant de la marine espagnole, il s’agirait de remplacer prioritairement ses corvettes de type Descubierta, entrées en service au début des années 1980. Mais il restera à voir l’organisation du montage industriel autour de cette corvette européenne, et donc la part à laquelle peut prétendre Navantia dans ce programme. D’autant plus que le chantier naval espagnol a quelques arguments à faire valoir, comme en témoigne le contrat qu’il a récemment obtenu en Arabie Saoudite pour livrer 5 corvettes Avante 2200.

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