La France ouvre la porte à une participation de la Pologne au projet de char de combat du futur

Ces dernières années, les relations entre la France et la Pologne ont été plutôt fraîches, surtout depuis la victoire du parti « Droit et Justice » [PiS] lors des élections législatives de 2015, l’une des premières décisions du nouveau gouvernement ayant été d’annuler un appel d’offres remporté par Airbus Helicopters pour la livraison de 50 hélicoptères de manoeuvre Caracal aux forces polonaises.

Outre des échanges tendus entre Paris et Varsovie sur d’autres sujets [travailleurs détachés au sein de l’Union européenne, réforme controversée de la justice polonaise, etc], le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, avait accueilli très fraîchement les récents propos tenus par le président Macron sur « la mort cérébrale » de l’Otan, allant jusqu’à les qualifier de « dangereux ».

Aussi, le déplacement de M. Macron à Varsovie, les 3 et 4 février, est perçu par les observateurs comme étant une tentative de « rabibochage » entre la France et la Pologne. « Je souhaite que cette visite marque un véritable tournant dans le rôle qu’ensemble nous pouvons jouer pour l’Europe de demain », a, en tout cas, affirmé le président français au côté d’Andrzej Duda, son homologue polonais.

S’agissant de l’attitude de Paris à l’égard de Moscou, qui a suscité des réserves à Varsovie, M. Macron a tenu à mettre les choses au clair. « La France n’est ni prorusse ni antirusse, elle est proeuropéenne », a-t-il dit, avant d’estimer qu’il fallait cependant avoir un « dialogue politique exigeant » avec la Russie.

« Même si elle n’est pas dans l’Union européenne, la Russie est dans l’Europe. Et nous n’avons aucun intérêt à ne pas regarder en face notre relation avec la Russie et à laisser des malentendus », a ensuite expliqué Emmanuel Macron. Et de préciser que « les intérêts de sécurité et de stabilité de l’Europe sont pour la France une priorité absolue et la seule ligne de conduite. »

Cela étant, et après les affirmations du président russe, Vladimir Poutine, sur une présumée « entente » entre la Pologne et l’Allemagne nazie avant la Seconde Guerre Mondiale, M. Macron a rappelé qu’il avait pris la défense de Varsovie.

« Nous devons tous regarder l’histoire en face, et chacun toute notre histoire, sans chercher à la détourner, à la masquer non plus ou à l’instrumentaliser. J’ai défendu avec force la Pologne et le peuple polonais face aux attaques inacceptables dont cette mémoire a fait l’objet », a dit le président français.

Quant à l’Otan, M. Macron a répété qu’elle « est et restera un socle indispensable à notre sécurité collective. » Mais, a-t-il ajouté, « j’assume avoir dit combien cette alliance me semblait malade d’un point de vue stratégique. »

Pour autant, a-t-il rappelé, la France est « totalement engagée dans la sécurité » du flanc Est de l’Otan et elle « continuera à l’être ». Cet « engagement réel, concret, est parfaitement compatible avec deux convictions que je porte », a ajouté M. Macron.

La première de ses convictions est que « pour être crédible, l’Otan doit retrouver des priorités stratégiques claires ». Quant à la seconde, il s’agit de faire en sorte que, pour « être efficace », l’Otan doit s’appuyer sur une réengagement substantiel des Européens en matière de défense ».

« C’est ce que les Américains nous demandent et c’est ce que nous devons à nous-mêmes », a plaidé le président Macron. « Quelle crédibilité a l’Europe si elle ne protège pas au premier chef ses concitoyens Quelle soutenabilité aurait-elle quand, chaque jour, notre partenaire américain, à juste titre, nous dit : ‘vous devez payer pour votre protection et celle de votre voisinage? », a-t-il demandé.

« Je crois profondément que nous devons améliorer nos capacités de défense. […] La France le fait pour elle-même mais il faut le faire davantage au niveau européen, avec aussi un renforcement de notre coordination stratégique et opérationnelle. C’est cela, l’Europe de la défense, une capacité d’agir ensemble en étant des partenaires crédibles », a expliqué M. Macron. « Je serai heureux le jour où les Polonais et Polonaises se diront, ‘le jour où je suis attaqué je sais que l’Europe me protège’. Ce jour-là le sentiment européen sera indestructible », a-t-il fait valoir.

S’agissant de la coopération bilatérale en matière de défense, la déclaration franco-polonaise publiée le 3 février prévoit de la renforcer dans le domaine de la cybersécurité, « sur la base […] de l’Appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace et à l’Engagement de l’OTAN en matière de cyberdéfense, dans le but de favoriser une meilleure coordination au niveau européen contre les cyberattaques. »

Au niveau opérationnel, le texte rappelle que la « participation » de la France et de la Pologne « à la ‘présence avancée renforcée’ [eFP] de l’Otan, à la Force intérimaire des Nations unies au Liban [FINUL] ou à la Coalition contre Daesh renforce la sécurité de l’Europe » et que les deux pays sont prêts « à renforcer leur coopération opérationnelle, ouvrant ainsi la voie à une possible adhésion future de la Pologne à l’Initiative européenne d’intervention [IEI]. »

Ne relevant pas de la Politique de sécurité et de défense commune [PESDC] de l’Union européenne, l’IEI vise à renforcer la capacité des pays européens à agir ensemble, via l’émergence d’une culture stratégique commune et la création de conditions pour de d’éventuels engagements conjoints pour répondre à des crises susceptibles de menacer la sécurité européenne.

Enfin, la déclaration précise que la France et la Pologne « souhaitent également renforcer leur convergence sur les projets de coopération industrielle » et qu’elles « travailleront en particulier ensemble dans le cadre de la coopération structurée permanente [CSP] sur les systèmes de combat collaboratifs et les futurs systèmes de combat terrestre ».

Sur ce point, lors de deux conférences de presse qu’il a données aux côtés du président Duda et, plus tard, du Premier ministre polonais, M. Macron a évoqué le projet franco-allemand de char de combat du futur [MGCS, Main Ground Combat System]. Projet dont la conduite est rendue compliquée par les ambitions de Rheinmetall, qui voudrait se tailler la part du lion en prenant le contrôle de Krauss-Maffei Wegmann, associé au français Nexter Systems via la co-entreprise KNDS.

En octobre dernier, Paris et Berlin ont cependant signé lettre d’intention relative à ce programme, après que Nexter, Krauss-Maffei Wegmann et Rheinmetall ont trouvé un accord sur le montage industriel. La notification des contrats de développement doit, en principe, se faire au premier semestre 2020.

Cela étant, la Pologne avait déjà fait part de son souhait de monter à bord du MGCS. « Nous sommes curieux de savoir quelles possibilités la Pologne pourrait avoir de participer par exemple à la construction du char européen commun, développé pour le moment surtout par l’Allemagne et la France », avait en effet déclaré, en janvier 2019, Pawel Soloch, le chef du Bureau de sécurité nationale auprès de la présidence polonaise.

Reste maintenant à voir ce qu’en dira l’Allemagne… En tout cas, le sujet pourrait être abordé à l’occasion d’une réunion du « triangle de Weimar », un sommet franco-germano-polonais qui ne s’est plus tenu depuis 2011 et que M. Macron souhaite organiser dans les prochains mois.

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