La marine américaine réclame une hausse significative de son budget aux dépens de l’US Army

Durant la Seconde Guerre Mondiale, les opérations aéronavales, amphibies et aériennes menées par les États-Unis dans la région Asie-Pacifique furent déterminantes pour venir à bout des forces impériales japonaises. Et il devrait en aller de même en cas de nouveau conflit dans cette partie du monde.

Cette perspective n’est en effet pas à écarter d’un revers de manche. La stratégie de défense américaine, publiée en janvier 2018, estime en effet que les États-Unis sont désormais confrontés aux « menaces croissantes » de « puissances révisionnistes » qui « tentent de créer un monde compatible à leurs modèles autoritaires. » Aussi, la priorité est désormais de répondre aux « défis » posés par la Russie et la Chine.

Dans le même temps, l’Asie-Pacifique est aussi une priorité pour Washington. Ce qui n’est pas foncièrement nouveau : il était déjà question de « pivot » vers cette région sous l’ère Obama. Ainsi, dans un article publié par la revue Foreign Policy, Hillary Clinton, alors à la tête du département d’État, avait expliqué que cette zone était le « moteur clé de la politique internationale » et qu’il s’agissait de « contrer l’influence grandissante de la Chine, d’ouvrir de nouveaux marchés aux entreprises américaines, de lutter contre la prolifération nucléaire et de garantir la libre circulation des voies de navigation et de commerce. »

Justement, cette liberté de navigation maritime est mise à mal par les revendications chinoises en mer de Chine méridionale. Pratiquant la politique du fait accompli face aux prétentions territoriales de ses voisins, Pékin y a aménagé des bases sur plusieurs îlots, en y installant des capacités de déni et d’interdiction d’accès. Ce qui lui donne la possibilité de contrôler les voies commerciales et donc, théoriquement, de perturber l’approvisionnement du Japon.

Seulement, les rapports se suivent… et s’accordent pour dire que le rapport de force est en train de pencher vers la Chine aux dépens des États-Unis.

En août 2019, encore, le Centre d’études sur les Etats-Unis de l’Université de Sydney avait ainsi estimé que les capacités militaires américaines dans la zone Indo-Pacifique étaient en train de « s’atrophier », au point de ne plus permettre aux États-Unis de venir au secours d’un allié susceptible d’être attaqué par la Chine. Et d’aller jusqu’à parler d’une « insolvabilité stratégique » américaine.

« La Chine, en revanche, est de plus en plus capable de défier l’ordre régional par la force du fait de ses investissements de grande ampleur dans les systèmes militaires avancés », avait souligné cette étude australienne. Ce qui se traduit notamment par un renforcement, tant sur le plan qualitatif que quantitatif, des moyens navals de l’Armée populaire de libération [APL].

En novembre 2018, un rapport du Congrès avait mis en garde. « En raison de notre focalisation récente sur la lutte contre le terrorisme et la contre-insurrection, et parce que nos ennemis ont développé de nouveaux moyens de vaincre les forces américaines, l’Amérique perd de son avantage dans des domaines clés de la guerre tels que la projection de puissance, la défense aérienne et antimissile, le cyber, les opérations spatiales, la guerre anti-surface et anti-sous-marine, les frappes de longue portée et la guerre électronique », était-il avancé dans de document.

Et ce rapport d’ajouter : Les forces américaines pourraient « subir un nombre inacceptable de pertes [humaines et matériels, ndlr] dans un prochain conflit » et avoir du mal à gagner, ou peut-être perdre, une guerre contre la Chine ou la Russie. »

Un an plus tôt, l’amiral Harry Harris, alors chef de l’US Indo-Pacific Command, avait déploré un manque patent de moyens. « L’activité sous-marine potentiellement adverse a triplé depuis 2008 et cela requiert une hausse correspondante de celle des États-Unis pour maintenir une supériorité sous les mers », avait-il, avant de regretter de ne disposer que « 50% des moyens nécessaires pour faire face » à un tel défi. Et d’évoquer également des stocks de munitions « vidés » par soutenir les opérations au Moyen-Orient et en Asie centrale.

Aussi, les responsables de la marine américaine ont lancé les hostilités budgétaires, en remettant en cause l’allocation des ressources du Pentagone. Chacune des trois armées [US Navy, US Army et US Air Force] reçoivent chacune environ l’équivalent d’un tiers du budget de département de la Défense.

Or, pour l’amiral Mike Gilday, le chef des opérations navales [chef d’état-major de la marine, ndlr], c’est un mauvais calcul, surtout si les États-Unis veulent « contrer efficacement la Chine dans la région Asie-Pacifique ». D’autant plus que l’administration Trump a rappelé son intention de porter à 350 le nombre de navires en service au sein de l’US Navy. Or, cette dernière n’en compte que 297 actuellement. Et il n’est pas question d’inclure les drones de surface et sous-marins pour atteindre cet objectif.

En outre, a rappelé l’amiral Gilday, l’US Navy avait eu coup de pouce budgétaire dans les années 1980, afin de lui permettre de financer la construction des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] de la classe Ohio. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, alors que le programme Columbia, qui vise à remplacer ces navires, absorbera 30% de ses ressources au cours des prochaines années.

Par ailleurs, d’autres responsables – politiques et militaires – ont fait valoir que, dans la région Asie-Pacifique, l’US Navy et l’US Marine Corps [USMC] auront un rôle prépondérant à tenir en cas de conflit. Ils devront « unir leurs forces pour répondre aux menaces que la Chine fait peser », a ainsi estimé le général David Berger, de l’USMC, lors d’une conférence de la Surface Navy Association, la semaine passée.

« La Marine et le Corps des Marines auront besoin de beaucoup plus de navires », a insisté le général Berger, avant de souligner que, de son point de vue et en citant le livre de référence « Fleet Tactics and Coastal Combat« , les « bases fixes » et les « grands navires » pouvaient être vulnérable. Un argument repris par Mike Gallagher, un élu du Congrès. Évoquant les tirs de missiles iraniens contre des bases irakiennes abritant des soldats américains, le 9 janvier dernier, il a estimé que la Chine pourrait faire bien plus de dégâts.

« Compte tenu du petit nombre de grandes bases fixes que nous avons dans la région Indo-Pacifique, les signaux d’avertissement clignotent en rouge » car « si des adversaires plus faibles utilisent des armes moins sophistiquées pour nous surprendre [au Moyen-Orient] la Chine pourrait faire bien plus de dégâts dans le Pacifique », a-t-il dit.

Évidemment, plus de moyens pour l’US Navy et l’USMC signifirait moins de ressources pour l’US Army, voire pour l’US Air Force.

D’où la réponse de Ryan McCarthy, le secrétaire à l’Army, aux propos tenus par l’amiral Gilday. « Nous avons eu trois guerres au sol au cours du siècle dernier dans cette partie du monde » [dont la Corée et le Vietnam, ndlr] », a-t-il rappelé. Or, a-t-il ajouté, « le plus grand moyen de dissuasion, ce sont les bottes sur le terrain, avec nos alliés. Cela a fait ses preuves pour nous, en Europe. Et nous allons faire plus en Asie de l’Est au cours de cette année. »

Il y aura « beaucoup plus de personnel américain opérant dans des endroits comme la Thaïlande, les Philippines ou le Japon », a continué M. McCarty. « La présence de l’US Army est très importante dans cette partie du monde et nécessaire pour avoir un effet dissuasif », a-t-il conclu.

Reste maintenant à voir la tournure que prendra cette « guerre des boutons ». À noter que le même type de débat a lieu au Royaume-Uni, la British Army accusant la Royal Navy d’avoir capté une bonne partie des dépenses militaires britanniques pour financer ses deux porte-avions [qu’elle a qualifiés « d’éléphants blancs »] ainsi que ses programmes de sous-marins.

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