Coalition pour le Sahel : Le Tchad va envoyer un bataillon dans la région du Liptako-Gourma

Lors du sommet de Pau dédié à la lutte contre le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne [BSS], le 13 janvier dernier, il a été décidé de porter l’effort militaire sur le Liptako Gourma, c’est à dire dans la région des « trois frontières », à cheval sur le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Et cela, dans le cadre d’une « Coalition pour le Sahel« , réunissant Barkhane, la Force conjointe du G5 Sahel et les forces partenaires.

Par ailleurs, il est question de mettre sur pied la Task Force Takuba, avec des forces spéciales européennes. Cette nouvelle formation, liée à Barkhane, aura la tâche d’accompagner les forces armées locales au combat. Pour le moment, l’Allemagne a décliné sa participation à cette mission.

Or, dans un communiqué publié le 20 janvier pour encourager les actions du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans [GSIM pou RVIM] ainsi que celles des milices somaliennes Shebabs, la direction d’al-Qaïda affirme que l’Allemagne est « intimidée au point de refuser d’envoyer ses forces spéciales combattre » les jihadistes du Sahel. Ce qui est une « preuve de la terreur que vous inspirez aux croisés et à leurs alliés apostats », a fait valoir ce texte… De quoi donner matière à réfléchir à Berlin…

Quoi qu’il en soit, le Tchad, qui est aussi membre du G5 Sahel, a fait savoir qu’il répondrait présent en envoyant l’un de ses bataillons combattre les groupes armés terroristes [GAT], et en particulier l’État islamique dans le grand Sahara [EIGS] dans le Liptako-Gourma. Le président tchadien, Idriss Déby Itno, l’a assuré à Florence Parly, la ministre française des Armées, qui étaient à N’Djamena, le 20 janvier, avec Peter Hultqvist, son homologue suédois, dont le pays assure actuellement le commandement de la Mission des Nations unies au Mali [MINUSMA].

À N’Djamena, les discussions ont porté sur les « modalités » du déploiement des soldats tchadiens dans la région des trois frontière, qui correspond au « fuseau centre » de la Force conjointe du G5 Sahel. « La rencontre a permis de discuter sur les détails techniques, juridiques ainsi que des préalables au déploiement des troupes tchadiens » dans le Liptako Gourma, a en effet expliqué un communiqué de la présidence tchadienne.

Jusqu’à présent, le Tchad a mis un bataillon à la disposition de la Force conjointe du G5 Sahel. Cette unité a été engagée avec une formation nigérienne dans l’opération Amane 2, conduite dans le « fuseau est » du G5 Sahel, en octobre.

À ce stade, il n’est pas clair si N’Djamena envisage d’engager un autre bataillon au sein de la Force conjointe du G5 Sahel [qui doit compter 5.000 soldats].

Lors de l’opération Serval [11 janvier 2013 – 1er août 2014], l’armée tchadienne avait apporté un appui très efficace aux forces françaises au moment de la bataille de l’Adrar des Ifoghas [opération Panthère, mars 2013]. Depuis, le Tchad a engagé un bataillon au sein de la MINUSMA. Bataillon d’ailleurs régulièrement visé par les groupes jihadistes, en particulier ceux du GSIM.

En outre, les forces tchadiennes sont toujours très sollicitées. Outre l’activité de groupes rebelles dans le massif du Tibesti, elles doivent aussi faire face à la menace jihadiste dans la région du lac Tchad, et notamment celle incarnée par les factions de Boko Haram, dont la Province de l’État islamique en Afrique de l’Ouest [ISWAP], qui semble avoir pris l’EIGS sous son aile.

À Bamako, où elle a éte reçue par le président Keïta en compagnie de M. Hultqvist et des ministres estoniens et portugais de la Défense, Mme Parly a fait savoir que de « nouvelles opérations » allaient « se développer dans les prochaines semaines dans cette zone très particulière des trois frontières ». Zone qui est, par ailleurs, un carrefour de tous les trafics.

Sur ce point, une récente étude de l’Insitut d’études de sécurité a souligné que, dans le Liptako-Gourma, « participer, même indirectement, aux trafics ou entretenir des liens avec des trafiquants permet aux groupes extrémistes violents de se procurer des moyens de subsistance [notamment des biens de consommation – aliments, médicaments, etc.], des moyens opérationnels [armes, munitions, motos, pièces détachées, carburant et moyens de communication – téléphones, cartes de recharge ou crédits de communication] et de générer des ressources financières [notamment à travers la vente de bétail volé] ».

Par ailleurs, lors d’une audition devant la commission des Affaires étrangères, à l’Assemblée nationale, le général François Lecointre, le chef d’état-major des armées [CEMA], a fait savoir qu’une étude était en cours pour avoir une connaissance plus fine des conflits intercommunautaires [Peul/Dogons, par exemple] dans la région.

« J’ai eu l’occasion d’expliquer à mes amis américains que lorsque nous avons colonisé l’Afrique de l’Ouest, nous l’avons fait depuis la mer vers l’intérieur des terres, découpant ainsi en tranches, à partir de la côte, un peuplement et des ethnies antérieurement installés. En taillant des États comme le Togo, le Ghana, et même le Mali et le Niger, nous avons évidemment suscité des difficultés structurelles : la création d’États nations allait se heurter au mille-feuilles ethnique issu du mode de colonisation. Le passé explique donc aussi les centaines de morts que provoquent les crises que nous connaissons, et notamment les confrontations intracommunautaires comme entre Peuls et Dogons aujourd’hui », a en effet expliqué le CEMA.

Et de poursuivre : « Pour avoir une vision plus exacte de ce qui se passe, j’ai demandé […] que l’on étudie quels étaient les affrontements intra-communautaires il y a 10, 50, 70 ans. Nous n’en savons rien, et nous concentrer sur l’actualité peut aussi avoir pour effet de nous aveugler. Je ne doute pas que la situation se dégrade et je le déplore, mais je voudrais savoir dans quelle mesure et de quelle manière cette dégradation s’est effectivement accomplie depuis les années 50, car nous devons avoir la perception du temps long pour appréhender correctement les raisons des évolutions actuelles, déterminer ce qui relève de l’action de l’EIGS ou du RVIM [GSIM, ndlr], de l’action de groupes terroristes qui tentent réellement d’atteindre un objectif, et ce qui relève d’une confrontation ancienne qui est peut-être en train d’exploser – ou peut-être pas… Sans une analyse historique fine de ces confrontations et de ces crises, on est incapable de les traiter convenablement. »

Selon l’étude de l’ISS, les groupes jihadistes ne cherchent pas à attiser sytématiquement les conflits interethniques, même si certains peuvent servir leurs intérêts.

« Comme dans le cas des trafics, les groupes extrémistes semblent faire preuve de pragmatisme et d’opportunisme dans leur attitude face aux situations de conflictualité. Les données recueillies révèlent que la position des groupes extrémistes violents par rapport aux conflits locaux varie. Leur attitude semble être influencée par plusieurs paramètres dont leurs capacités [force
et moyens], leurs objectifs [volonté d’implantation d’accroître leur base de recrutement, etc.], leur sociologie [leurs membres] et la sociologie de la zone de conflit », est-il expliqué dans ce document.

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