Nucléaire iranien : Téhéran prévient que les militaires européens pourraient aussi être « en danger »

En signant l’accord de Vienne [JCPoA] avec le groupe dit 5+1, réunissant les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU [France, Royaume-Uni, États-Unis, Russie, Chine] et l’Allemagne, l’Iran avait pris l’engagement de limiter ses activités nucléaires en échange d’une levée des sanctions visant son économie.

Or, étant donné que, en mai 2018, le président Trump a décidé de dénoncer cet accord, les États-Unis ont rétabli leurs sanctions contre Téhéran, ce qui complique les activités commerciales des entreprises européennes en Iran.

Déterminés à sauver le JCPoA et à contourner les sanctions américaines, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont mis un place un « instrument de soutien aux échanges commerciaux » [INSTEX], reposant sur le principe d’une chambre de compensation. Seulement, pour l’Iran, cet effort n’est pas à la hauteur de ses attentes. D’où le fait qu’il s’affranchit de plus en plus de ses obligations prises dans le cadre de l’accord de Vienne [mise en service de centrigeuses interdites, levée des limites sur l’enrichissement de l’uranium, etc].

Pour contraindre Téhéran à revenir au respect de ses engagements, Paris, Londres et Berlin [les E3] ont indiqué, le 14 janvier, avoir déclenché le mécanisme de règlement des différends, prévu par le JCPoA. Or, cette procédure peut avoir comme conséquence le rétablissement des sanctions du Conseil de sécurité [« snap-back »], ainsi que celles de l’Union européenne [à la condition qu’elle le décide].

« Nous n’acceptons pas l’argument selon lequel l’Iran serait autorisé à cesser partiellement la mise en œuvre de ses engagements au titre du JCPoA. Contrairement à ses déclarations, l’Iran n’a jamais déclenché le mécanisme de règlement des différends prévu par le JCPoA et n’a aucun fondement en droit pour cesser de mettre en œuvre les dispositions de l’accord », ont expliqué les ministres des Affaires étrangères français, britannique et allemand, dans une déclaration commune.

En outre, l’Iran avait été prevenu que les E3 n’aurait pas d’autre choix que de déclencher ce mécanisme de règlement des différends s’il ne revenait pas à de meilleurs sentiments au sujet de son programme nucléaire.

En clair, l’objectif est de faire pression sur Téhéran afin de sauver le JCPoA. « Nous demeurons convaincus que cet accord multilatéral international historique et sa contribution en matière de non-prolifération servent nos intérêts de sécurité communs et renforcent l’ordre international fondé sur des règles », ont fait valoir les trois ministres européens.

« Nos trois pays ne rejoignent pas la campagne visant à exercer une pression maximale contre l’Iran. Nous agissons en toute bonne foi avec l’objectif primordial de préserver l’accord et dans l’espoir sincère de trouver une solution pour sortir de l’impasse par le biais d’un dialogue diplomatique constructif, tout en restant dans son cadre. Nous espérons ramener l’Iran au plein respect de ses engagements au titre du JCPoA », ont-ils expliqué.

Seulement, à Téhéran, on n’a pas la même lecture de cette démarche. « Bien sûr, si les Européens […] cherchent à abuser [de ce processus], ils doivent également être prêts à en accepter les conséquences, qui leur ont déjà été notifiées », a immédiatement réagi Javad Zarif, le chef de la diplomatie iranienne.

Même chose à Moscou. « Nous n’excluons pas que les actions irréfléchies des Européens puissent conduire à une nouvelle escalade autour de l’accord sur le nucléaire iranien et rendent impossible sa mise en oeuvre dans le cadre initialement convenu », a fait savoir le ministère russe des Affaires étrangères. Et d’ajouter : « Le mécanisme de règlement des différends a été créé à des fins totalement différentes. Les raisons de la difficulté de la mise en oeuvre de l’accord sont largement connues et ne sont pas liées à l’Iran », mais aux États-Unis.

Le lendemain, le président iranien, Hassan Rohani, s’en est pris aux trois pays européens… Et a proféré des menaces à peine voilées, une semaine après des tirs de missiles contre des bases irakiennes abritant des militaires américains [qui en avaient été prévenus à l’avance, cela dit…]

« Aujourd’hui, « . Nous voulons la sécurité. Nous ne voulons pas d’instabilité dans le monde. Nous voulons que vous, les Européens, quittiez cette région de manière sage, et non pas par la guerre », a en effet déclaré M. Rohani.

Si la présence militaire allemande dans la région est des plus modestes [elle concerne seulement l’Irak, où elle a même été récemment réduite], il en va tout autrement pour le Royaume-Uni et la France. Les forces britanniques sont surtout présentes à Bahreïn et à Oman.. Quant aux françaises, elles sont déployées en Irak et en Jordanie [au titre de l’opération Chammal] ainsi qu’aux Émirats arabes unis, où disposent d’une base permanente, et au Liban, au sein de la FINUL. Or, au pays du Cèdre, Téhéran peut compter sur le Hezbollah.

En outre, la Marine nationale et la Royal Navy envoient régulièrement des navires patrouiller dans le détroit d’Ormuz, la première au titre de l’EMASOH pour European-Led mission Awareness Strait of Hormuz, avec, actuellement, la frégate Courbet et la seconde dans le cadre de l’initiative américaine « International Maritime Security Construct », avec une frégate et un destroyer.

Cela étant, les raisons qui ont poussé les Européens à déclencher le mécanisme de règlement des différends ne sont pas claires… Ainsi, ce 16 janvier, Annegret Kramp-Karrenbauer, la ministre allemande de la Défense, a confirmé une information du Washington Post selon laquelle la décision aurait été prise sous la pression de M. Trump, qui aurait menacé d’imposer des droits de douane sur les automobiles européennes.

Mais, devant le Parlement britannique, le chef du Foreign Office, Dominic Raab, a expliqué que les Européens s’étaient sentis obligés d’agir, malgré les réticences de la Russie et de la Chne, car « chaque violation » de l’accord de Vienne réduit le « breakout time », c’est à dire le temps qu’il faudrait à l’Iran pour produire une bombe nucléaire s’il en prenait la décision.

Aujourd’hui les Iraniens « ne sont pas en position » d’avoir l’arme nucléaire « mais s’ils poursuivent le détricotage de l’accord de Vienne, alors oui dans un délai assez proche, entre un et deux ans, ils pourraient accéder à l’arme nucléaire, ce qui n’est pas envisageable », avait affirmé M. Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, à l’antenne de RTL, la semaine passée.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]