Les forces britanniques veulent moins dépendre des capacités militaires américaines

En juin 2018, le chef du Pentagone, qui était alors l’ex-général des Marines James Mattis, était venu au secours de son homologue britannique, Gavin Williamson, qui bataillait à l’époque pour obtenir une grosse rallonge budgétaire pour son ministère, en affirmant que le Royaume-Uni devait augmenter ses dépenses militaires s’il voulait conserver sa place de « plus proche allié » des États-Unis.

« Il est dans l’intérêt de nos deux pays que le Royaume-Uni reste le partenaire privilégié des États-Unis. […] Ce n’est pas à moi de vous dire comment hiérarchiser vos priorités de dépenses domestiques, mais j’espère que le Royaume-Uni sera bientôt en mesure de partager avec nous un plan de défense clair et entièrement financé qui me permettra de planifier notre futur engagement avec vous à partir d’une position de force et de confiance », avait en effet écrit M. Mattis à M. Williamson.

Peu avant, le comité de la Défense, à la Chambre des communes, avait publié un rapport dans lequel il plaidait pour porter le niveau des dépenses militaires britanniques à 2,5-3% du PIB afin, justement, de conserver le lien militaire particulier qu’entretient le Royaume-Uni avec les États-Unis, décrit comme étant « l’un des piliers de la relation bilatérale » entre les deux pays.

« Les forces armées britanniques et le Trésor profitent de nos relations étroites avec les États-Unis. Toutefois, cela ne restera vrai qu’à la condition que les armées britanniques conservent leurs capacités et maintiennent leur interopérabilité avec leurs homologues américaines. Pour que ce soit le cas, le ministère de la Défense [MoD] doit être financé de manière approprié », fit valoir ce rapport, alors que les responsables de l’US Army s’inquiétaient notamment de voir le format de la British Army continuer de fondre comme neige au soleil.

C’était donc il y a seulement 18 mois. Pourtant, ces débats paraissent surannés, tant il y a eu d’événements et de retournements de situation au cours de ces derniers mois. Ainsi, depuis, M. Mattis a quitté le Pentagone [avec un peu de fracas] et M. Williamson a été contraint de remettre sa démission en raison de son rôle dans des fuites relatives à la décision britannique d’autoriser l’équipementier chinois Huawei à participer au déploiement du réseau 5G outre-Manche.

Depuis, l’annonce de la décision britannique a sans cesse été repoussée. Mais, a priori, les élections législatives passées, elle serait imminente. Et les États-Unis font pression pression sur le Royaume-Uni pour que Huawei, qu’ils accusent de collusion avec les autorités chinoises, soit écarté du réseau 5G britannique, la crainte étant que Pékin puisse être en mesure de « siphonner » des données sensibles ayant trait au renseignement et/ou aux activités militaires. Une délégation américaine est d’ailleurs attendue à Londres, ce 13 janvier, pour aborder ce dossier.

Selon l’actuel ministre britannique de la Défense, Ben Wallace, Washington a menacé de ne plus partager certains renseignements avec Londres si Huawei n’était pas exclu du réseau 5G, alors que le Royaume-Uni est l’un des « Five Eyes », une alliance réunissant les États-Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande afin de faciliter la circulation de données sensibles.

Mais, dans d’après les propos qu’il a tenus dans l’édition dominicale du quotidien « The Times », le 12 janvier, M. Wallace est allé encore plus loin en affirmant que les forces britanniques doivent investir davantage pour moins dépendre des capacités militaires américaines en raison de la tendance isolationniste affichée par l’administration Trump. Ce qui, selon lui, « serait pour le monde et mauvais pour nous. » Aussi, a-t-il dit, « nous préparons le pire et espérons le meilleur ».

« Au cours de l’année écoulée, nous avons vu les États-Unis se retirer de la Syrie, un communiqué de Donald Trump sur l’Irak demandant à l’Otan de prendre le relais et de faire davantage au Moyen-Orient », a en outre relevé M. Wallace, avant de souligner que le Royaume-Uni, à l’instar de la France et de l’Allemagne, « restera une cible pour les terroristes de l’État islamique et d’al-Qaïda. »

Les déclarations de M. Wallace ont été faites alors que le Royaume-Uni se prépare à sortir de l’Union européenne [Brexit] et qu’une nouvelle revue stratégique de défense et de sécurité est en cours de préparation. Et, d’après la BBC, elle devrait être la « plus importante » depuis la fin de la Guerre Froide.

« Les hypothèses de 2010, selon lesquelles nous allions toujours faire partie d’une coalition menée par les Etats-Unis n’est plus valable et le gouvernement doit prévoir en conséquence », a dit M. Wallace, qui a, apparemment, pas évoqué le rôle du Royaume-Uni au sein de l’Otan. « Nous sommes très dépendants de la couverture aérienne américaine et des moyens de renseignement, de surveillance et de reconnaissance américains. Nous devons diversifier nos actifs », a-t-il ajouté.  Il aurait pu également évoquer la dépendance de la dissuasion nucléaire britannique aux moyens américains, les missiles balistiques mer-sol Trident sur lesquels elle repose étant conçus outre-Atlantique…

Ainsi, estime M. Wallace, la prochaine revue de défense « doit donner aux forces britanniques la capacité de se défendre et de détecter les menaces, ce qui est actuellement le plus souvent confié aux avions espions américains. » En outre, a-t-il continué, elles devront également « refléter le XXIe siècle », ce qui pourrait vouloir dire que « 1.000 hackers » remplaceront autant de fantassins, ou que l’accent sera mis sur des compétences « autrefois considérées comme l’apanage des forces spéciales ».

« La manière dont nous assurerons une meilleure défense ne peut pas être dominée par la sentimentalité », a fait valoir M. Wallace, alors que la British Army ne compte plus que 73.000 soldats [alors que le plafond des effectifs et de 82.000, ndlr] et qu’elle présente plusieurs lacunes importantes, comme par exemple dans le domaine de l’artillerie.

« Les forces terrestres du Royaume-Uni sont complètement sous-équipées et dépassées, laissant l’artillerie ennemie libre de poursuivre ses missions de tir en toute impunité », notait ainsi le Royal United Services Institute [RUSI], dans un récent rapport.

Quoi qu’il en soit, le ministre britannique a dit espérer que la prochaine revue stratégique de défense plaidera en faveur d’une Grande-Bretagne post-Brexit plus « proactive » dans la promotion et la défense de ses intérêts, en s’appuyant davantage sur la diplomation et ses capacités militaire. « Le président Poutine, avec une économie équivalente à la moitié de la nôtre, est proactif. Les Français sont proactifs comme nous voulons l’être à nouveau », a dit M. Wallace, qui n’est pas encore certain de garder son poste à la faveur du prochain remaniement ministériel qui s’annonce.

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