L’enquête sur la perte d’un Mirage 2000D pointe le déficit d’entraînement au sein de la 3e Escadre de chasse

Le 9 janvier 2019, à 10h08, le Mirage 2000D n°667 de l’Escadron de Chasse 1/3 Navarre, avec le capitaine Baptiste Chirié aux commandes et le lieutenant Audrey Michelon comme NOSA [navigateur officier système d’armes], décolle de la base aérienne de Nancy pour une mission d’entraînement en mode de suivi de terrain [SDT] dans le réseau très basse altitude [RTBA] AST 4, au-dessus du Jura. L’objectif est alors de simuler une passe de tir de missile SCALP [Système de croisière conventionnel autonome à longue portée], dans le cadre d’une patrouille avec un autre appareil du même type. Les deux appareils portent respectivement les indicatifs Coca 27 et Coca 26.

Évoluant à l’altitude de 300 à 800 pieds, « Coca 26 » effectue sa simulation de passe de tir à 10h24. Quant à Coca 27, il doit faire la sienne 5 minutes plus tard. Seulement, ayant engagé un virage à droite, il percute le sol dans la forêt de Mignovillard, ne laissant aucune chance à son équipage.

Moins d’un an plus tard, le Bureau Enquêtes Accidents pour la sécurité de l’aéronautique d’État [BEA-É] vient de publier ses conclusions sur les causes de ce drame [.pdf]. Premier point : le Mirage 2000D n°667, qui totalisait 4.411 heures de vol [avec un réacteur M-53P2 qui en comptait 3.794], est hors de cause, l’examen des débris n’ayant trouvé « aucun élément » pouvant « remettre en cause le bon fonctionnement du moteur. » En outre, les positions des différents éléments mobiles de l’avion « étaient dans une position conforme à l’attendu », mis à part les élevons, qui étaient « en position quasiment à piquer, probablement à cause de l’impact. » Par ailleurs, l’hypothèse d’une collision avec un volatile a également été écartée.

L’analyse du vol a déterminé que l’appareil a effectué deux dégagements, probablement causés par un « test interne du radar », lequel aurait conduit à un « dégagement automatique » dû aux conditions météorologiques ou à « déclencher l’alarme ‘montée à l’altitude sécurité’, obligeant l’équipage à réaliser un dégagement manuel », affirme le rapport.

L’accident s’est produit à l’issue du second dégagement, le pilote ayant effectué une « mise en virage à droite pour rester dans le RTBA » à 10h29m44s. Lors de la reprise de terrain, le Mirage 2000D n’est pas stabilisé à l’altitude de sécurité. Puis tout est allé très vite : en 5 seconde, le capitaine Chirié a fait une tentative de ressource, suivi d’une tentative d’éjection, moins de 170 millisecondes avant de percuter le sol.

Pour le BEA-É, l’équipage a très probablement été victime de désorientation spatiale.

« Après le passage trois quart dos, l’équipage ne stabilise pas à l’altitude de sécurité et poursuit sur une trajectoire avec un fort piquer pendant plusieurs secondes avant d’effectuer une ressource tardive. Cette absence de stabilisation à l’altitude de sécurité qui a conduit l’aéronef à adopter une attitude dangereuse [position inusuelle à piquer, proche du sol et à vitesse élevée] indique que l’équipage a pu subir une désorientation spatiale non reconnue comme telle. La tentative de ressource ainsi que le commencement d’une procédure d’éjection indiquent que cette désorientation spatiale a pu être reconnue dans les dernières secondes », avance-t-il dans son rapport.

Selon ce dernier, « les conditions métérologiques et les stimulations vestibulaires [de l’oreille interne, ndlr] dues à la trajectoire de l’avion sont propices à l’apparition d’illusions perceptives d’origine vestibulaire. Une illusion perceptive est à l’origine d’une désorientation spatiale de l’équipage », laquelle a sans doute été causée par une « conscience erronée de la situation, due à une charge cognitive élevée et une forte pression temporelle ».

Notant qu’un vol en suivi de terrain en mode très basse altitude est « techniquement difficile, et ce encore davantage lorsque les conditions météorologiques sont mauvaises », ce qui ne donne quasiment aucun droit à l’erreur, le BEA-É a souligné le manque d’entraînement de l’équipage du Mirage 2000D n°667, d’autant plus que, après plusieurs mois passés sur un théâtre extérieur, la mission qui lui avait été assignée était un vol de « reprise » étant donné que ses deux membres revenaient de permissions.

« En 2017, le pilote de Coca 27 réalise 122 heures de vol. En 2018, il réalise 148 heures d’entraînement organique dont 10 heures de convoyage vers l’Afrique et 66 heures de vol en OPEX. Si en 2018, il atteint le seuil fixé, ce n’est pas le cas en 2017. En définitive, le pilote est peu expérimenté. Il est encore en cours d’acquisition de nouvelles compétences, qui doivent s’appuyer sur des compétences déjà acquises et consolidées. Le déficit de vols dit ‘de mûrissement’ et l’irrégularité de ces vols ne le permettent pas », souligne en effet le BEA-É. Pour rappel, le seuil minimum que doit atteindre un pilote de chasse est de 180 heures de vol.

Quant au NOSA, il a « effectué un nombre d’heures de vol constant aux alentours de 225 par an, mais il a réalisé au moins une OPEX chaque année. Ainsi en 2018, il n’a volé que 93 heures en missions d’entraînement organique. Pour les NOSA, il n’y a pas de seuil fixé, mais le volume d’heures réalisées en 2018 en entraînement organique par celui de Coca 27 est faible », poursuit-il.

Aussi, insiste le BEA-É, « le nombre d’heures de vol réalisé en missions d’entraînement organique par l’équipage est insuffisant et irrégulier pour permettre le maintien des compétences acquises et l’acquisition de nouvelles compétences sur des bases solides. »

Le problème se situe au niveau de la 3e Escadre de chasse, qui connaît « depuis plusieurs années un déficit en entraînement organique », dû « à un engagement important en opérations extérieures et à une faible disponibilité des Mirage 2000D ». Et le tout avec un « spectre des missions attribuées à l’escadre qui s’élargit. »

« Mécaniquement, pour une mission donnée, le niveau d’entraînement des équipages diminue. […] Les priorités sont données aux vols de qualification au détriment des vols de mûrissement. Ainsi, les équipages réalisent peu de vols pour maintenir ou approfondir leurs compétences, ce qu’ils appellent ‘voler dans leur qualification’. Généralement, ils volent pour s’entraîner au passage d’une qualification supérieure ou pour l’entraînement d’autres pilotes. Ils volent également beaucoup durant les OPEX. Mais les vols réalisés durant ces séjours, qui
augmentent les heures de vol, ne sont pas représentatifs de l’ensemble du spectre des missions de l’escadre », explique le BEA-É.

« Le nombre d’heures de vol réalisées en missions d’entraînement organique par l’équipage est insuffisant et irrégulier pour permettre le maintien des compétences acquises et l’acquisition
de nouvelles compétences sur des bases solides », poursuit-il.

Et de conclure : « Ce manque d’entraînement a conduit à une recherche d’optimisation à chaque vol. Les entraînements sont devenus, au fil des années, de plus en plus denses. Cette densité est devenue la norme pour les équipages qui n’ont connu que cette situation. Le SDT n’est de facto aujourd’hui plus perçu comme le but de l’entraînement mais comme le simple prélude à un mode d’action opérationnel, qui requiert donc moins l’attention. »

Dans leur rapport pour avis sur les crédits alloués au programme 178 « Préparation et emploi des forces » en 2020, les sénateurs Jean-Marie Bockel et Christine Prunaud ont justement souligné les conséquences des difficultés rencontrées par l’armée de l’Air en matière de préparation opérationnelle.

« Le défaut d’entraînement se traduit en particulier par une perte progressive de certaines compétences et des difficultés dans la formation des jeunes équipages qui accusent d’importants retards de progression. […] Plus grave encore, les contraintes de préparation opérationnelle ont conduit à renoncer à entraîner les équipages aux savoir-faire non sollicités en opération. Cela ne permet pas d’atteindre les référentiels fixés, ce qui pourrait se traduire à terme par la perte de savoir-faire indispensables, notamment pour la capacité d’entrer en premier », ont prévenu les deux parlementaires.

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