Le Congrès américain vote la levée de l’embargo sur les armes destinées à Chypre; La Turquie proteste

Au regard des dernières mesures qu’il vient de voter, le Congrès des États-Unis est visiblement très remonté contre la Turquie. Ainsi, après avoir sévèrement critiqué l’opération turque contre les milices kurdes syriennes dans le nord-est de la Syrie, en octobre, il a adopté, à une écrasante majorité, une résolution visant à reconnaître le génocide arménien commis à l’époque de l’Empire Ottoman.

De quoi susciter une vive colère à Ankara… où l’ambassadeur américain a été immédiatement convoqué par la diplomatie turque pour se faire entendre dire que ce vote « mettait en péril l’avenir des relations » entre les deux pays.

Cependant, l’administration Trump a pris ses distances avec le Congrès en préférant parler, comme le fit le chef de la Maison Blanche au printemps dernier, de « l’une des pires atrocités de masse du XXe siècle » pour évoquer le massacre des Arméniens de 1915. « Nos positions sur le sujet s’alignent avec celles exprimées dans le communiqué final du président publié en avril », a ainsi déclaré Morgan Otagus, la porte-parole du département d’État.

Mais le Congrès avait déjà allumé la mèche bien avant le vote de cette résolution, notamment dans le cadre de l’examen du National Defense Authorization Act [NDAA], lequel ne s’intéresse pas uniquement au budget du Pentagone. En effet, ce texte interdit la livraison d’avions F-35A à la Turquie et prévoit des sanctions à l’égard de cette dernière. Et cela, à cause de son achat de systèmes russes de défense aérienne S-400, incompatibles avec ceux utilisés par l’Otan, et de son rapprochement avec la Russie. Rapprochement qui pourrait se traduire par l’achat d’avions Su-35 Flanker E, voire Su-57 Felon.

Le 15 décembre, et alors que l’examen du NDAA entrait dans la dernière ligne droite au Congrès, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a de nouveau agité la menace consistant à fermer, « si nécessaire », les bases d’Incirlik et de Kürecik, utilisées par l’Otan et, plus particulèrement, par les forces américaines. Son ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, en avait fait de même quelques jours plus tôt.

« Il faut que je parle avec mon homologue [turc Hulusi Akar, ndlr] pour comprendre ce qu’ils veulent dire et si c’est vraiment sérieux », a réagi, le lendemain, Mark Esper, le chef du Pentagone. « Si les Turcs sont sérieux à ce sujet, c’est une nation souveraine et ils ont tout à fait le droit d’accueillir ou non des bases de l’Otan ou des forces étrangères », a-t-il ajouté, alors qu’il venait d’assister au 75e anniversaire de la bataille des Ardennes.

« Mais cela devient alors une question qui concerne toute l’Alliance atlantique, ainsi que leur engagement envers cette alliance, si effectivement ils parlent sérieusement », a par ailleurs estimé M. Esper.

Justement, et alors que le président Macron avait parlé de « mort cérébrale de l’Otan » pour dénoncer l’attitude d’Ankara dans le nord-est de la Syrie et l’achat des S-400 russes, la Turquie est à l’origine de tensions en Méditerranée orientale, après s’être entendu avec le gouvernement d’unité national libyen – et sans se préoccuper des autres pays de la région – sur un protocole très controversé relatif à sa frontière maritime avec la Libye.

En effet, la Turquie entend avoir son mot à dire dans l’exploitation des ressources gazières découvertes en Méditerranée orientale, et en particulier de celles se trouvant dans la zone économique exclusive de la République de Chypre. Et d’avancer qu’il s’agit d’en faire profiter la République turque de Chypre-Nord [RTCN], qu’elle est la seule à reconnaître.

Or, dans cette affaire, le NDAA que vient d’adopter le Congrès prévoit de lever l’embargo sur les armes que les États-Unis avaient imposé à Chypre en 1987, avec l’objectif d’encourager la réunification de l’île [et de ménager la Turquie, membre de l’Otan, ndlr]. Seulement, cette mesure n’a pas produit le résultat escompté : la situation n’a pas bougé d’un iota et Nicosie a trouvé d’autres partenaires [Union européenne, Russie] pour équiper ses forces armées.

« Au moment où Chypre cherche à approfondir son partenariat stratégique avec les Etats-Unis, il est dans notre intérêt stratégique et économique de lever ce vieil embargo […] qui ne fait pas avancer les objectifs de sécurité des Etats-Unis », a ainsi justifié le sénateur démocrate Robert Menendez, à l’origine de cette initiative avec son collègue républicain Marco Rubio. Pour les deux élus, il s’agit aussi d’encourager la coopération entre « Chypre, la Grèce et Israël », via le projet EastMed, qui repose sur la construction d’un gazoduc devant approvisionner l’Europe.

Cela étant, le texte prévoit de limiter la possibilité pour Nicosie d’avoir accès à certaines technologies sensibles. Du moins tant que les ports chypriotes resteront ouverts aux navires militaires russes.

Là encore, cette levée de l’embargo américain n’a pas manqué de faire réagir vivement les autorités turques.

Cette mesure « n’aura d’autre conséquence que d’entraver les efforts pour aboutir à un règlement sur l’île et de créer une dangereuse escalade », a fait valoir la diplomatie turque, via un communiqué. Et de promettre de répondre au « initiatives contre la Turquie », assurant que le « langage des menaces et des sanctions ne dissuadera jamais la Turquie de prendre résolument des mesures pour assurer sa sécurité nationale. »

Reste maintenant à voir si le président Trump promuguera – ou non – la loi votée par le Congrès… Et si, le cas échéant, la Turquie mettra ses menaces à exécution concernant les bases d’Incirlik et de Kürecik.

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