Pour garder ses savoir-faire, le CEA espère que le futur porte-avions de la Marine sera à propulsion nucléaire

Dans son dernier avis sur les crédits affectés à l’équipement des forces pour 2020, le député Jean-Charles Larsonneur a indiqué que le choix du mode de propulsion pour le prochain porte-avions de la Marine nationale n’était pas encore arrêté.

Ainsi, a expliqué le parlementaire, de l’ensemble des différents scénarios de « confrontations en mer », la question porte davantage sur l’ensemble des capacités aéronavales dont la Marine nationale devra disposer que celles du porte-avions en particulier.

« L’enjeu du projet de porte-avions de nouvelle génération ne consiste pas à accroître de façon arithmétique les capacités du Charles-de-Gaulle – c’est-à-dire de borner les recherches aux moyens techniques ‘d’aller plus haut, plus vite, plus fort’. La logique présidant à ces études consiste davantage à déterminer les capacités nécessaires pour conduire les missions de guerre envisagées, compte tenu des défenses adverses », a avancé M. Larsonneur.

Aussi, a-t-il ajouté, « certains observateurs avertis considèrent qu’il n’est pas impensable qu’il faille choisir, in fine, entre l’option nucléaire et l’option à deux nouveaux porte-avions à propulsion classique. »

Cela étant, en raison de la masse imposante du New Generation Fighter [NGF], sur lequel repose le Système de combat aérien du futur [SCAF] et qui remplacera, à terme, le Rafale Marine, il est d’ores et déjà acquis que le futur porte-avions aura un tonnage nettement plus important que les 42.500 tonnes du Charles de Gaulle. Ce qui ne devrait pas jouer sur le mode de propulsion. « On sait que l’énergie classique permet de faire naviguer très rapidement les grands paquebots d’aujourd’hui, ceux qui transportent 4.000 passagers, alors qu’ils pèsent 100.000 tonnes », a ainsi souligné l’amiral Christophe Prazuck, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM]

Par ailleurs, d’autres considérations sont à prendre en compte, comme l’armement plus étoffé dont pourrait disposer ce futur navire, où encore le choix entre les catapultes à vapeur ou électromagnétiques [EMALS, ces dernières étant gourmandes en énergie électrique], le rôle des « effecteurs » et des drones, ou bien encore la nécessité de donner plus de souplesse aux opérations aériennes avec une capacité de « lancer » et de « ramasser » simultanément des aéronefs.

Quoi qu’il en soit, s’agissant du mode de propulsion du futur porte-avions, et comme l’a confirmé François Geleznikoff, le directeur des applications militaires [DAM] du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives [CEA], lors d’une récente audition au Sénat, les « deux options sont à l’étude » et « aucune décision n’a été prise à ce stade ».

« Nous travaillons sur l’option nucléaire avec pour objectifs de montrer que nous sommes capables dans les délais et pour les performances de propulsion, de le faire conformément à ce qui nous est demandé, aux spécifications. Nous regardons également, ce sera une des conséquences, la problématique du coût par rapport à un porte-avions classique », a expliqué M. Geleznikoff aux sénateurs. « Nous devrions en principe rendre notre copie en cohérence avec le ministère des Armées, à la ministre des Armées au début de l’année 2020. La décision lui appartiendra avec sans doute l’accord de l’autorité suprême de notre pays », a-t-il ajouté.

Cela étant, dans ses propos liminaires, le directeur des applications militaires avait fait comme si le choix de la propulsion nucléaire pour le futur porte-avions était déjà acquise. Au point d’en étonner quelques sénateurs.

Actuellement, la DAM du CEA travaille sur les chaufferies des sous-marins nucléaire d’attaque [SNA] Suffren et sur celles qui équiperont les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de prochaine génération [SNLE3G].

Mais quand ces programmes seront terminés, il faudra « être capable, pour le maintien en condition opérationnelle des bateaux de la flotte dans la longue durée et lorsqu’il faudra changer les SNA Barracuda et lancer les programmes dans les années 2040, d’avoir des concepteurs de chaufferies chez TechnicAtome et chez Naval Group capables de le faire », a dit M. Geleznikoff, en s’appuyant sur des propos tenus par l’amiral Prazuck.

« Le fait de concevoir une chaufferie plus importante que celle qu’on a mise dans le Barracuda et les SNLE 3G va régénérer cette compétence pour le grand futur. Donc un premier objectif opérationnel et un second de régénérescence des capacités de conception des chaufferies », a poursuivi le directeur des applications militaires du CEA.

Toujours au sujet de la propulsion du futur porte-avions de la Marine, M. Geleznikoff a dit que la DAM/CEA est en « totale cohérence avec l’état-major de la Marine et la Direction générale de l’armement. »

« Il y a deux besoins. Un besoin prioritaire qui est opérationnel : c’est d’avoir une chaufferie qui pousse un bateau plus lourd que le Charles de Gaulle, et de l’avoir dans les délais de remplacement du Charles de Gaulle », a-t-il dit. Pour cela, a-t-il continué, « nous n’avons pas fait d’innovation majeure, nous sommes partis sur les concepts que nous avons développés pour le SNLE3G et le Barracuda, concepts qui datent des années 90. Nous avons adapté la puissance de ces réacteurs pour la taille du bateau, telle qu’il est prévisible pour les années entre 2035 et 2040. » Et, a-t-il ajouté, « nous avons une bonne confiance dans cette capacité performances et délais. »

L’été dernier, M. Geleznikoff avait abordé ce sujet à l’Assemblée nationale. « Il est important de pouvoir concevoir à nouveau une chaufferie compacte, ce qui permettrait de rependre tous les travaux de conception comme ceux mis en œuvre il y a déjà 25 ans. Les travaux de conception de cette chaufferie permettent donc de faire naître la nouvelle génération d’architecte et de compétences en conception », avait-il souligné.

L’un des arguments avancés pour justifier le choix en faveur de la propulsion nucléaire consiste à dire que cela libére un porte-avions des « contraintes du ravitaillement à la mer, tous les deux à trois à jours. » Et, selon l’amiral Édouard Guillaud, ex-chef d’état-major des armées [CEMA], « celles-ci imposaient à chaque fois à ses prédécesseurs conventionnels [du Charles de Gaulle] une interruption de l’activité aérienne pendant plusieurs heures ainsi qu’une route de ravitaillement déterminée par les conditions météo du moment, ce qui était un renseignement de choix pour un adversaire potentiel. »

Or, cet argument ne fait pas forcément l’unanimité. Ainsi, est-ce le cas pour le sénateur Bruno Sido. « Le nucléaire est indispensable sur les SNLE et les SNA, mais je ne vois pas l’intérêt du nucléaire sur les porte-avions. En effet ceux-ci doivent être ravitaillés régulièrement en munitions, en pièces détachées, en carburants avions et en alimentation et ils seront de plus la cible d’ennemis potentiels. Ils peuvent donc couler et causer un accident nucléaire », a-t-il objecté.

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