L’industrie française de l’armement fait mieux que résister face au rouleau compresseur américain

Pour la troisième année consécutive, et après un trou d’air constaté en 2015, le chiffre d’affaires des 100 industriels de l’armement les plus importants au niveau mondial [Chine exceptée, faute de données fiables] a augmenté de 4,6% en 2018, pour s’établir à 420 milliards de dollars, selon le classement annuel de l’Institut de recherche sur la paix internationale de Stockholm [Sipri], publié ce 9 décembre [.pdf].

Depuis 2002 [année à partir de laquelle des données comparables sont disponibles pour la première fois, précise l’institut suédois], la tendance est largement à la hausse, les ventes de ces 100 principaux industriels ayant progressé de 47%.

Et pour la première fois depuis cette année-là, les cinq premiers groupes d’armement sont tous américains, avec Lockheed-Martin, la division militaire de Boeing, Northrop Grumman, Raytheon et General Dynamics. À eux seuls, ils « captent » 35% du total des ventes d’armes de ce top 100, avec un chiffre d’affaires cumulé de 148 milliards de dollars en 2018.

Plus globalement, les industriels américains présents dans ce classement ont réalisé 246 milliards de dollars de vente [soit 59% du chiffres d’affaires du Top 100], ce qui, par rapport à 2017, représente une hausse de 7,2%.

Outre-Atlantique, explique le Sipri, l’année 2018 a notamment été marquée par une « tendance croissante à la consolidation de certains des plus grands producteurs d’armes », les groupes les plus importants ayant acquis plusieurs autres entreprises spécialisées dans des secteurs appelés à prendre de l’importance.

« Les entreprises américaines se préparent au nouveau programme de modernisation des armes, annoncé en 2017 par le président Trump. Les grandes entreprises américaines fusionnent pour pouvoir
produire la nouvelle génération de systèmes d’armes et ainsi être en meilleure position pour remporter des contrats avec le gouvernement américain », souligne en effet Aude Fleurant, directrice du programme Armes et Dépenses militaires de l’institut suédois.

Cette tendance concerne aussi les grands groupes, United Technologies et Raytheon ayant entamé des discussions en vue de leur fusion, en juin dernier. Fusion qui semble être sur de bons rails, les actionnaires ayant donné leur accord. Elle devrait être conclue durant le premier semestre 2020.

Deuxième pays exportateur d’armes au niveau mondial, malgré les sanctions décidées après l’annexion de la Crimée, la Russie ne compte qu’un seul représentant parmi le Top 10, avec Almaz-Antey [qui produit le S-400, ndlr] à la 9e position. Viennent ensuite, notamment, United Aircraft Corp [15e], United Shipbuilding Corp. [18e] et Tactical Missiles Corp [26e].

Le chiffres d’affaires des 10 principaux industriels russes de l’armement s’est élevé à 36,2 milliards de dollars en 2018. Un montant en légère baisse de 0,4% par rapport à l’année précédente. Mais cette stabilité cache des réalités différentes pour chacun d’entre eux.

Ainsi, portées par la forte demande du système de défense aérienne S-400, les ventes d’Almaz-Antey ont progressé de 18% pour atteindre les 9,6 milliards de dollars. Et elles représentent 27% du chiffre d’affaires de l’industrie russe de l’armement.

« Les tendances sont contrastées entre les 10 entreprises russes figurant dans le Top 100 : cinq d’entre elles enregistrent une augmentation de leurs ventes d’armes, tandis que les cinq autres une baisse », résume le Sipri.

Quant aux industriels européens, les Français font plus que de résister. Capitalisant sur des niveaux de prises de commandes élevés au cours de ces dernières années, ils ont donc vu naturellement leurs chiffres d’affaires progresser l’an passé.

« Les ventes d’armes combinées des [6] entreprises françaises figurant dans le Top 100 sont les deuxièmes plus importantes d’Europe, à 23,2 milliards de dollars », explique le Sipri. Et cela en raison, principalement, d’une « d’une augmentation de 30 % des ventes du constructeur d’avions de combats Dassault Aviation. » Ce qui soutient l’activité de Thales mais surtout celle de Safran, qui a gagné trois places dans le classement.

Quant à Naval Group, il a maintenu sa 21e place par rapport à 2017. Et il est le premier constructeur naval européen, loin devant l’italien Fincantieri [50e], l’allemand ThyssenKrupp [57e] et l’espagnol Navantia [76e]. Pour l’armement terrestre, Nexter se classe 83e, loin derrière Rheinmetall et Krauss Maffei Wegmann, avec lesquels il développement le char de combat du futur. À noter qu’Arquus ne figure pas dans le Top 100 du Sipri.

Cette tendance devrait se poursuivre pour les groupes français avec les commandes prévues par la Loi de programmation militaire [LPM] 2019-2025 et les bons résultats à l’exportation. En tout cas, les spécialistes de l’armement terrestre ne pourront qu’en profiter, grâce aux livraisons du programme SCORPION.

« D’après le rapport au Parlement 2019 sur les exportations d’armement de la France, le niveau des prises de commandes de matériels de guerre et assimilés s’établit à 9,1 milliards d’euros, soit +31,4 % par rapport à l’année 2017. Des niveaux record avaient été enregistrés les deux années précédentes », est-il en effet souligné dans l’édition 2019 de l’année statistique de la Défense.

À noter que sur les 1.950 entreprises, environ, qui constituent la Base industrielle et technologique de défense française, 7% représentent à elles seules 80% du chiffre d’affaires « militaire » en France.

Quoi qu’il en soit, cette bonne tenue des groupes français explique la légère hausse des ventes de l’industrie européenne de l’armement constatée en 2018. Car, dans le même temps, les industriels britanniques du secteur ont vu leurs résultats plonger de 4,8% [à 38,51 milliards de dollars], de même que leurs homologues allemands [-3,8%].

« Six des huit entreprises britanniques figurant dans le Top 100 rapportent une réduction des ventes d’armes en 2018. Cela est dû en partie aux retards pris dans le programme de modernisation
des armements du Royaume-Uni », explique Nan Tian, chargé de recherche au programme Armes et Dépenses militaires du SIPRI.

Cependant, sous d’autres latitudes, certains industriels ont su tirer leur épingle du jeu. Tel est le cas des trois entreprises israéliennes présentes dans le Top 100 [Elbit Systems, Israel Aerospace Industries et Rafael], mais aussi des groupes sud-coréens, ces derniers ayant globalement vu leurs ventes progresser de 9,9% en 2018. Mais le premier d’entre eux, Hanwah Aerospace, arrive à la 46e place dans le classement du Sipri.

L’une des plus fortes progressions est à mettre au crédit de l’industrie turque de l’armement, qui a augmenté ses ventes de 22%, pour arriver à 2,8 milliards de dollars. Et cela, en grande partie gràce à ASELSAN [électronique, ndlr].

« La Turquie entend développer et moderniser son industrie d’armement et les entreprises turques continuent de bénéficier de ces efforts en 2018 », résume le Sipri.

Photo : Moteur M88 (c) Safran

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