Sahel : Sur les réseaux sociaux, la force Barkhane est visée par une campagne de fausses informations

Lors de sa première audition à l’Assemblée nationale, le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT] a estimé qu’il fallait « continuer à investir de nouveaux champs », comme le « cyber, la déception, la résistance à la désinformation » tout en assurant une « meilleure prise en compte de l’influence. »

Quelques exemples récents, concernant la force Barkhane, illustrent cette nécessité. En effet, au Sahel, certains diffusent de fausses informations [ou « infox »] afin d’alimenter un sentiment anti-français et servir, sans doute, d’autres intérêts.

Le sujet a d’ailleurs été abordé par le président Macron, lors de la conférence de presse qu’il a donné à l’issue du dernier sommet de l’Otan. « Je ne peux ni ne veux avoir des soldats français sur quelque sol du Sahel que ce soit à l’heure même que l’ambiguïté persiste à l’égard de mouvements anti-français, parfois portée par des responsables politiques », a-t-il dit, avant d’annoncer une réunion avec les chefs d’État du G5 Sahel à Pau, le 16 décembre prochain, afin qu’ils puissent « apporter des réponses précises sur ces points ». Et d’ajouter : « Leurs réponses sont aujourd’hui une condition nécessaire à notre maintien. »

Quoi qu’il en soit, les réseaux sociaux constituent l’un des canaux les plus prisés pour diffuser des « infox » sur l’action de Barkhane. Le 23 novembre, des publications prétendant que les forces françaises avaient frappé le camp militaire de Diffa, au Niger, se sont répandues comme une traînée de poudre.

« Au Niger, plus précisément à Diffa l’armée française frappe une base militaire de l’armée nigérienne […] Les forces françaises soutiennent qu’il se sont trompés de cibles en assimilant cette base à celle des terroristes. Des populations nigériennes sont très remontés contre la France et dénoncent son appui aux terroristes au détriment de l’armée régulière du pays », a expliqué l’une d’elles. Une autre a avancé l’hypothèse que Barkhane aiderait le groupe jihadiste nigérian Boko Haram.

Résultat : partagées des milliers de fois sur les réseaux sociaux, ces publications n’ont fait qu’alimenter un ressentiment contre les forces françaises, accusées d’être des « colonisateurs ».

Certes, les autorités nigériennes ont catégoriquement démenti cette affirmation. « Des frappes aériennes ici à Diffa ? Non, c’est faux, ce sont des mensonges », a ainsi assuré Yahaya Godi, le secrétaire général du gouvernorat de la région de Diffa auprès de l’AFP. « Ce sont des fake news. On a vu ces informations sur les réseaux sociaux. Nous n’avons pas enregistré un tel fait dans la région de Diffa », a confirmé Mairou Malla Ligari, le président du Conseil Régional de Diffa.

L’ambassade de France au Niger a également démenti les « ‘fake news’ circulant sur les réseaux sociaux sur une prétendue frappe de Barkhane contre les Forces armées nigériennes à Diffa. » Et d’insister : « Mensonge grossier et éhonté. La France est aux côtés du Niger et de ses partenaires du G5 Sahel dans la lutte contre le terrorisme. »

L’une des publications en cause a été diffusée par la page Facebook « Winniemarym24 – La Grande Afrique », à la tonalité anti-française. Sa présence sur le réseau social est récente puisqu’elle a été créée le 27 septembre 2019. Et les informations trouvées dans la rubrique « transparence de la page » indiquent qu’elle est suivie par environ 1.800 internautes et qu’elle est gérée par un administrateur vivant « principalement » en… France.

Un autre cas de désinformation porte sur la livraison de 60 motos de la marque chinoise Haojue aux Forces armées maliennes [FAMa]. Ainsi, toujours sur les réseaux sociaux, il a été affirmé que ces deux-roues devaient être offerts par Barkhane aux groupes armés terroristes [GAT]. Et le tout accompagné de quatre photographies montrant les véhicules, déchargés d’un avion de transport A400M « Atlas », sur le tarmac de l’aéroport de… Bamako.

Mais comme la moto est un moyen de locomotion très prisé par les jihadistes, « l’infox » était toute trouvée : les Haojue ne pouvaient que leur être destinées. Et peu importe que cela ait pu se faire et au su de tous [à commencer des autorités maliennes]. Mais, en matière de désinformation, plus c’est gros, plus ça passe. Et la publication a été partagée plus de 1.200 fois depuis le 2 décembre, malgré le démenti opposé par le gouvernement malien, lequel a été cependant massivement repris par les médias locaux.

Quant au ministère des armées, il a donné des précisions sur cette arrivée de motos à Bamako que le 4 décembre.

« Dans le cadre du projet d’équipement des forces armées maliennes, la force Barkhane a reçu 60 motos, 120 pneus, 60 casques, 60 cadenas, 2 compresseurs et de l’outillage qui seront transmis dans les prochains jours à l’armée malienne », a-t-il détaillé. « L’État-major général des Armées et la force Barkhane travaillent de concert depuis plusieurs mois à ce projet d’équipement d’unités maliennes spécifiques, projet qui a fait l’objet d’une validation formelle le 7 octobre dernier entre le chef d’Etat-major des Armées maliennes et le représentant de Barkhane au Mali », a-t-il ensuite précisé.

Cela sera-t-il suffisant pour contrer les « infox » disséminées sur les réseaux sociaux? Comme pour l’affaire de la fausse information sur Diffa, l’une des pages Facebook qui les a relayées, « Mali Info #1 » [le nom entretient la confusion avec d’autres pages du même type, appelée « Mali Info », « Mali Infos », etc], est gérée depuis un administrateur disant « résideré principalement » en France [selon Facebook]… et ella a également été créée le 27 septembre dernier, comme « Winniemarym24 – La Grande Afrique ».

La fausse information publiée par « Mali Info #1 » a notamment été relayée par « 15.000 nigerien [sic] sur Facebook« , qui n’est pas une page mais un groupe créé sur le réseau social il y a 9 ans, comptant plus de 223.000 membres. Actif depuis 2010, le groupe « Géostratégie économique, politique et monétaire africaine« , suivi par 137.600 personnes, a également repris cette infox, ce qui a suscité quelques commentaires violemment anti-français.

Sur ce plan, la page « The African Way Official » est l’une des plus virulentes. Créée le 10 juillet 2019, elle revendique un plus de 2.000 adeptes. L’infox sur les motos offertes par Barkhane aux FAMa n’est pas la seule qu’elle a partagée. En réalité, la désinformation est sa marque de fabrique… Jusqu’à affirmer que la mort de 13 militaires français dans la collision de deux hélicoptères est une manipulation, en se basant sur des photographies d’appareils de fabrication russe, prises en Azerbaïdjan et en Irak.

La page Facebook « Les patriotes du Mali », émanant d’une organisation hostile à la France [mais ouvertement favorable à la Russie] a également relayé cette thèse complotiste, toute honte bue. Contrairement aux autres pages précédemment évoquée, celle-ci est gérée par deux administrateurs disant résider au Mali.

Quoi qu’il en soit, les forces françaises doivent s’attendre à d’autres manipulations et campagnes d’intox, comme cela a d’ailleurs été le cas en Centrafrique… où l’action est régulièrement dénigrée pour mettre en valeur celle de la Russie.

Le 31 octobre, Facebook a d’ailleurs annoncé le démantèlement d’une vaste campagne de désinformation en Afrique, en fermant des comptes, pages et autres groupes liés à des « entités associées » à Evguéni Prigojine, un proche du président Poutine.

« Les contenus, qui étaient adaptés à chaque pays, se concentraient sur des informations internationales et locales, y compris des thèmes comme la politique de Moscou sur le continent africain, mais aussi les élections à Madagascar et au Mozambique ou encore des critiques de la politique des Etats-Unis et de la France dans la région », précisé le réseau social.

Cette opération « semble s’être appuyée sur des sous-traitants de langue maternelle du pays concerné et/ou originaires de la région. Une méthode de dissimulation qui rend plus difficile de savoir d’où viennent ces campagnes de désinformation », a, pour sa part, expliqué le Cyber Policy Center, de l’Université de Stanford.

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