La sécurité du Groenland est désormais la première priorité du renseignement militaire danois

Quand on évoque les menaces susceptibles d’affecter la sécurité des pays de l’Otan, on parle volontiers de celles pouvant survenir sur ses flancs Est et Sud. En revanche, la question du Grand Nord est souvent occultée. Or, sollicité par Defense News à l’occasion du sommet marquant le 70e anniversaire de l’Otan, le ministre norvégien de la Défense, Frank Bakke-Jensen, en a donné le détail.

« Des changements profonds sont en train de se produire dans cette partie du monde » et ils « peuvent avoir des incidences sur la sécurité et la défense », a commencé par dire le ministre norvégien. Le premier est relatif au climat, la diminution de la calotte glaciaire due qui la hausse des températures dans l’Arctique fera augmenter le trafic maritime commercial [notamment entre l’Europe et l’Asie] et ouvrira de nouvelles perspectives économiques, avec l’exploitation accrue des ressources naturelles de la région [pêche, pétrole, gaz, métaux rares, etc].

Or, « cette évolution pourrait également entraîner une augmentation de l’activité militaire dans l’Arctique », estime M. Bakke-Jensen. Ce qui est déjà le cas pour ce qui concerne la Russie, qui renforce actuellement ses capacités militaires dans le Grand Nord.

« Au cours des 10 dernières années, les forces armées russes ont connu une modernisation considérable », au point d’avoir une puissance militaire « aujourd’hui plus élevée que jamais depuis la Guerre Froide », affirme le ministre norvégien.

« De nouveaux sous-marins silencieux pénètrent dans les eaux arctiques. Les armes de précision à longue portée peuvent atteindre tous les coins de l’Europe. Nous avons remarqué plusieurs attaques simulées sur des cibles norvégiennes. Les signaux GPS sur le territoire norvégien ont été perturbés. Les forces armées russes ont considérablement amélioré leur capacité à déplacer de grandes quantités de personnel et d’équipement sur de longues distances en peu de temps. Des exercices instantanés sont effectués à proximité des frontières d’autres pays sans préavis », relève-t-il.

Mais la Russie n’est pas le seul pays à faire du Grand Nord un enjeu stratégique. C’est en effet ce que rappelle le rapport que vient de publier le renseignement militaire danois [Forsvarets Efterretningstjeneste – FE]. Fait inédit, ce dernier fait du Groenland son premier sujet de préoccupation.

« Nous avons décidé de commencer l’évaluation des risques […] par un chapitre sur l’Arctique, car les intérêts des grandes puissances arctiques ont un impact direct sur, le royaume de Danemark », a expliqué Lars Findsen, le directeur du FE.

Pour rappel, plus vaste île du monde après l’Australie ayant obtenu une large autonomie par rapport au Danemark, le Groenland avait défrayé la chronique quand, l’été dernier, le président américain, Donald Trump, suggèra à Copenhague de le vendre aux États-Unis.

Et pour cause. Au regard du développement des nouvelles armes russes [hypersoniques notamment], du renforcement militaire de la Russie et de l’intérêt croissant de la Chine pour cette région, le Groenland revêt un intérêt stratégique pour les États-Unis, qui, au passage, y disposent d’une base [celle de Thulé, ndlr].

D’où, d’ailleurs, leur suggestion faite au Danemark d’acheter davantage d’avions de combat F-35A, les 27 exemplaires commandés par Copenhage étant insuffisants pour permettre à la force aérienne danoise de surveiller et protéger le Groenland.

En outre, la Russie n’est pas la seule citée dans le rapport du FE. La Chine l’est également, en raison de son ambition de prendre le contrôle des infrastructures critiques ainsi que celui des ressources minière du Groenland, grâce à ses investissements. Ainsi, par exemple, la Shenghe Resources Holding, en coopération avec la China National Nuclear Corporation [CNNC] et la société de droit australien Greenland Minerals Ltd, a l’intention d’y extraire une dizaine de millions de tonnes de minéraux de terres rares contenant de l’uranium et du thorium radioactifs, dans le cadre du projet Kvanefjeld.

Qui plus est, le rapport du FE s’interroge sur les expéditions scientifiques chinoises menées au Groenland. « Nous avons examiné les activités de recherche chinoises dans l’Arctique et nous avons constaté que l’armée chinoise manifestait un intérêt croissant pour en faire partie », a souligné Lars Findsen.

Cela étant, le document explique aussi que la nouvelle stratégie américaine pour l’Arctique, publiée en juin dernier, associée aux commentaires qu’ont pu faire plusieurs responsables de l’administration Trump [et le président Trump lui-même] ont contribué à « exacerber les tensions dans la région. »

« En tant qu’alliés proches partageant de nombreux intérêts, il est naturel que les États-Unis et le Danemark approfondissent leur coopération à la lumière de ces développements géopolitiques. Nous nous félicitons de l’intérêt accru des États-Unis pour l’Arctique, y compris le Groenland », a récemment fait valoir Jeppe Kofod, le ministre danois des Affaires étrangères, dans les colonnes de Foreign Policy.

Quoi qu’il en soit, si le Groenland est une source de préoccupation pour le Danemark, elle n’est pas la seule. Le rapport du FE n’oublie pas d’évoquer le cyberespace ainsi que le terrorisme et le flanc oriental de l’Otan.

Avec une « Russie qui renforce ses forces et sa planification militaire dans sa partie occidentale, une guerre avec l’Otan dans l’ancienne zone soviétique ne peut être exclue », affirme le renseignement militaire danois. Toutefois, « il est peu probable que Moscou prenne délibérément des initiatives présentant un risque élevé de conflit militaire », estime-t-il.

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