Un accord militaire signé par Ankara et Tripoli, préoccupe la Grèce, qui va demander le soutien de l’Otan

Ils s’appellent Zohr, Leviathan et Aphrodite… Et ils sont à la source de tensions de plus en plus vives en Méditerranée orientale. Et pour cause : il s’agit d’importants gisements de gaz naturel respectivements découverts au large de l’Égypte, d’Israël et de Chypre. Et au regard de la manne financière qu’ils représentent, ils ne peuvent que susciter les convoitises et la remise en cause des frontières maritimes.

Ces dernières années, plusieurs pays ont noué des coopérations pour exploiter au mieux ces ressources gazières. En effet, membre de l’Union européenne [UE], la République de Chypre s’est rapprochée d’Israël et de l’Égypte.

Ainsi, en septembre 2018, Nicosie et Le Caire ont signé un accord pour construire un gazoduc sous-marin afin de transporter le gaz chypriote en Égypte, où il devrait être transforé en gaz naturel liquéfié, avant d’être réexporté vers l’UE, laquelle soutient évidemment ce projet afin de moins dépendre de Moscou pour ses approvisionnements énergétiques.

Et cela vaut aussi pour le projet de gazoduc EastMed, lequel associe Chypre, Israël, la Grèce et l’Italie. Ayant fait l’objet d’un accord en décembre 2017, il doit relier les gisements Aphrodite et Leviathan à l’Europe occidentale, via une connexion avec le gazoduc Poseidon [qui fait le lien entre la Grèce et l’Italie, ndlr]. Théoriquement, il permettrait d’exporter jusqu’à 16 milliards de mètres cubes vers l’Union européenne.

À noter que la Russie garde un oeil sur ces développements. Elle est d’ailleurs impliquée en Égypte, avec Rosneft, ainsi qu’à Chypre, avec laquelle elle affiche une certaine proximité [cultuelle, avec l’héritage chrétien-orthodoxe commun, et économique, ndlr].

Cependant, ces arrangements ne sont pas du goût de tout le monde… D’où les tensions actuelles. « On voit […] très clairement, en Méditerranée orientale comme dans d’autres zones, que des puissances régionales adoptent des postures extrêmement dures qui n’avaient pas cours il y a encore quatre ou cinq ans », a en effet récemment résumé l’amiral Christophe Prazuck, le chef d’état-major de la Marine nationale.

En effet, la Turquie est l’un des acteurs régionaux qui entend avoir sa part du gâteau, en disant vouloir défendre les intérêts de la République turque de Chypre du Nord [RTCN], un État uniquement reconnu par Ankara.

Ces derniers mois, la Turquie a donc entrepris des forages dans les eaux de la République de Chypre. Ce qui a été vivement dénoncé par l’Union européenne. La France a d’ailleurs manifesté son soutien à Nicosie en envoyant une frégate participer à un exercice avec la marine chypriote.

« Les Turcs ont engagé une action de forage dans les eaux sous souveraineté chypriote. Nous avons décidé de mettre en place un régime-cadre de sanctions si, d’aventure, la Turquie poursuivait ces opérations. Nous allons prévoir une présence militaire dans cette zone », a même indiqué Jean-Yves le Drian, le ministre des Affaires étrangères, lors d’une audition au Sénat.

Mais un évènement important dans ce dossier s’est produit le 28 novembre, avec la signature par le gouvernement d’unité nationale libyen [GNA], formé sous l’égide des Nations unies, et la Turquie d’une entente visant à renforcer leur coopération militaire et d’un protocole d’accord sur la délimitation de leurs eaux économiques respectives. Le souci est que, entre les côtes libyennes et turques se trouvent la Grèce, Chypre et l’Égypte. Or, Ankara et Tripoli ont fait comme si ces pays n’existaient pas…

Pour compliquer la donne, la situation en Libye est loin d’être stabilisée, l’autorité du GNA étant contestée par le gouvernement de Tobrouk qui, tirant sa légitimité des élections législatives de juin 2014, est soutenu par l’Armée nationale libyenne [ANL] du maréchal Haftar. Or, ce dernier, après avoir réduit la menace jihadiste dans l’est et le sud du pays, a lancé une offensive en direction de Tripoli. Offensive qui s’est enlisée, malgré le soutien des Émirats arabes unis, de la Jordanie… et de l’Égypte [et probablement de la Russie, dont il est dit qu’elle y a envoyé des mercenaires…].

S’agissant de l’accord en question, le porte-parole de la présidence turque, Fahrettin Altun, a expliqué qu’il s’agissait d’une « version plus large de l’accord-cadre de coopération militaire existant » entre Ankara et le GNA. Et d’ajouter que « la stabilité de la Libye est d’une importance critique pour la sécurité des Libyens, pour la stabilité régionale et pour combattre le terrorisme international. » Pour rappel, et en raison de sa proximité avec la confrérie des « Frères musulmans », la Turquie, comme du reste le Qatar, soutient déjà fortement le gouvernement de Tripoli, notamment via la fourniture d’équipements militaires [drones et blindés]

Quoi qu’il en soit, la Grèce a fait part de son « mécontentement » au sujet de ces accords conclus par Ankara et Tripoli. Et le ministère grec des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur libyen en poste à Athènes [et donc relevant du GNA, ndlr] pour obtenir des « informations » sur leur contenu. Le diplomate a jusqu’au 5 décembre pour fournir ce qui lui a été demande. Faute de quoi, « il sera expulsé », a précisé une source diplomatique grecque auprès de l’AFP.

« La signature de ce mémorandum ne peut pas violer les droits souverains des pays tiers » car « ce serait une violation flagrante du droit international de la mer », avait expliqué, le 29 novembre, Alexandros Yennimatas, le porte-parole du ministère grec des Affaires étrangères.

Mais Athènes a l’intention d’aller plus loin. Dans un premier temps, le ministre grec des Affaires étrangères, Nikos Dendias, s’est rendu au Caire pour évoquer le sujet avec Sameh Choukry son homologue égyptien et convenir « d’accélérer la délimitation des zones économiques exclusives de la Grèce et de l’Égypte. »

Puis, le 1er décembre, lors d’un discours prononcé lors du congrès de son parti, « Nouvelle-Démocratie », le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, a élevé le ton et dit vouloir demander le soutien de l’Otan dans cette affaire.

« Une alliance ne peut pas rester indifférente quand un de ses membres viole ouvertement le droit international et vise [à nuire à] un autre membre », a en effet lâché M. Mitsotakis.

Cette question sera donc évoquée lors du prochain sommet de l’Otan, les 3 et 4 décembre, à Londres. Et tout laisse à penser que la Turquie sera au centre des débats, notamment en raison de son offensive dans le nord-est de la Syrie, son rapprochement avec la Syrie et, ses actions en Méditerranée orientale relatives aux ressources gazières.

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