La propagande en ligne de l’État islamique visée par une cyberattaque d’Europol

Si l’État islamique a pu recruter autant de combattants et de sympathisants de par le monde au cours de ces dernières années, c’est en partie grâce à sa propagande diffusée via Internet. Aussi, si les réseaux sociaux ont été sollicités pour désactiver les comptes et les pages jihadistes, plusieurs actions ont été tentées pour la réduire au silence, si ce n’est pour la contrer.

Ainsi, par exemple, en juillet 2016, l’US CENTCOM, le commandement américain pour le Moyen-Orient et l’Asie centrale, avait évoqué un dispositif mis en place à cette fin et reposent sur deux structrures, appelées Digital Engagement Team [DET] et WebOps [animée par Colsa Corp, une entreprise privée]. Mais les résultats ne furent pas toujours au rendez-vous.

Mais l’objectif des forces engagées contre Daesh visait avant tout à dégrader les capacités de commandement et contrôle des jihadistes sur le terrain en neutralisant leurs terminaux informatiques ainsi que leurs smartphones via des logiciels malveillants, comme le fit l’unité Ares de l’US Cybercom. D’autres opérations de la coalition ont visé les serveurs utilisés par l’organisation jihadiste afin de détruire son matériel de propagande. Seulement, la nature décentralisée d’Internet fit que leurs effets furent limités.

Dans le même temps, en août 2016, grâce à la contribution d’États membres de l’Union européenne et de pays tiers, Europol [office européen de police, nldr] lança une première cyber-offensive contre Amaq, l’agence de presse de l’État islamique. Ce qui força cette dernière à mettre en place une infrastructure plus complexe afin de pouvoir continuer ses activités.

En juin 2017, une nouvelle opération fut lancée par Europol, avec le soutien de l’Espagne et des États-Unis. La saisie de serveurs par la Guardia Civil espagnole permit « l’identification d’individus radicalisés dans plus de 100 pays », s’était félicité l’office européen. Mais ce n’était pas encore suffisant.

D’où l’opération internationale de grande ampleur conduite en avril 2018 par Europol, avec le soutien du procureur fédéral belge et Eurojust. Selon le communiqué publié à l’époque, elle avait abouti à la saisie de « preuves numériques » en Bulgarie, en Roumanie et en France, ainsi que la mise hors-service de serveurs situés aux Pays-Bas, au Canada et aux États-Unis. Plusieurs organes de propagande jihadiste avaient été mis déconnectés, dont Amaq et d’autres canaux plus confidentiels.

Seulement, cette opération n’avait pas pu s’attaquer à la source des contenus irrigant la propagande jihadiste en ligne.

« Depuis 2015, […] les activistes médiatiques de l’État islamique ont […] migré vers la semi-clandestinité du deep web, notamment en faisant émerger leur propagande depuis l’application de messagerie chiffrée Telegram. Ils y bénéficient d’une certaine sécurité opérationnelle, qui compense la perte de l’immédiateté de l’accès au grand public dont ils jouissaient sur d’autres plateformes », expliquèrent Laurence Bindner et Raphael Gluck, chercheurs et consultants spécialisés dans l’analyse de la dissémination des contenus terroristes en ligne, dans un article publié en juin 2018.

Or, avaient-il ajouté, « c’est essentiellement de Telegram, la source irrigant le web, qu’activistes et sympathisants puisent les contenus et parviennent à leur frayer un chemin jusqu’aux réseaux sociaux, outils de stockage ou sites web, avec résilience et agilité, témoignant d’une capacité d’adaptation permanente. »

Aussi, l’opération de grande ampleur menée par Europol n’avait pu que dégrader temporairement les organes de propagande en ligne de la mouvance jihadiste.

« Nous en avons été quelque peu surpris et c’est la raison pour laquelle nous avons essayé de faire mieux cette fois-ci », a confié Eric Van Der Sypt, le porte-parole du Parquet fédéral belge, à l’agence Belga, ce 25 novembre. Ce dernier évoquait la dernière cyber-offensive contre la propagande numérique jihadiste que vient de mener Europol, en coordination avec « 12 États membres et par 9 fournisseurs de services en ligne », dont Telegram, Files.fm, Twitter, Instagram et Dropbox.

En effet, via un communiqué, Europol a indiqué avoir désactivé 26.000 comptes, sites et canaux utilisés par la mouvance jihadiste, et en particulier l’EI, pour sa propagande. Ce qui fait que, pour le moment, Amaq n’est plus en mesure de fonctionner. En outre, un individu a été interpellé aux îles Canaries [Espagne] pour avoir diffusé des contenus terroristes via Internet. Et, cette fois, il s’est agi de tarir la source du matériel de propagande. « Une partie importante des acteurs clés du réseau de Daesh présente sur Telegram a été évincée de la plate-forme » indique l’office européen.

D’après une source « proche du dossier » citée par Belga, cette opération, qui a exigé un an de préparation, aura été « compliquée » dans la mesure où les opérateurs d’Europol ont dû faire face à des difficultés imprévues.

Reste maintenant à voir si les effets de cette offensive seront durables ou pas. « On les a mis à terre pour le moment. Mais on n’est pas naïfs, en 2018, une première cyberattaque ne les avait pas empêchés de revenir », a rappelé M. Van Der Sypt.

Fin octobre, l’application chinoise TikTok, qui permet le partage de courtes vidéos, a ainsi dû retirer du contenu jihadiste émanant d’une vingtaine de comptes. « Les messages de l’EI enfreignent les règles de TikTok, mais le volume considérable de contenus [diffusés par l’application] fait qu’il est difficile pour TikTok de surveiller sa plate-forme et d’éradiquer ces vidéos », avait expliqué Darren Davidson, le responsable de l’agence Storyful, spécialisée dans les informations extraites des réseaux sociaux.

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