Selon un rapport du Pentagone, l’offensive turque dans le nord de la Syrie profite à l’État islamique

« Ne pas voir la lutte de la Turquie contre Daesh [État islamique ou EI, ndlr], c’est être aveugle, ignorant et obstiné », a récemment dénoncé Hulusi Akar, le ministre turc de la Défense, en réponse aux critiques concernant l’offensive lancée par Ankara dans le nord-est de la Syrie, contre les milices kurdes syriennes [YPG], lesquelles sont pourtant soutenues par la coalition anti-jihadiste dirigée par les États-Unis [opération Inherent Resolve – OIR]. Et cela, avec l’objectif d’instaurer une zone de sécurité.

Pourtant, cette opération militaire turque appelée « Source de paix » et menée avec des groupes rebelles syriens réunis sous la bannière de l' »Armée nationale syrienne », aura été une aubaine pour l’État islamique qui, même s’il a perdu son chef, Abu Bakr al-Baghdadi, lors d’un raid des forces spéciales américaines conduit le 26 octobre, est en train de reconstituer « ses capacités et ses ressources tant en Syrie à court terme qu’à l’échelle mondiale à long terme », selon le dernier rapport de l’inspecteur général du Pentagone au sujet des opérations au Levant.

Pour rappel, l’opération « Source de paix » a été suspendue après une trève négociée à Ankara par le vice-président américain, Mike Pence, suivie d’un accord conclu entre le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et son homologue russe, Vladimir Poutine. Avec une contrepartie : le retrait des YPG du secteur où la Turquie a l’intention d’établir sa zone de sécurité.

Selon le dernier rapport [.pdf] de l’inspecteur général du Pentagone, Glenn A. Fine, qui s’appuie sur de nombreux éléments fournis par la Defense Intelligence Agency [DIA, renseignement militaire américain, ndlr], l’offensive turque, rendue possible par la décision du président Trump de retirer ses troupes du nord-est de la Syrie, a conduit à la suspension de la formation et de l’entraînement des Forces démocratiques syriennes [FDS], dont les YPG constituent l’épine dorsale.

« Les forces américaines dispensaient une formation aux équipes de commandos et aux gardiens de prison. Elles les formaient aux techniques de lutte contre les engins explosifs improvisés ainsi qu’à d’autres savoir-faire spécialisés qui manquaient aux FDS », indique le rapport. Ce qui, selon l’état-major de l’opération Inherent Resolve, était indispensable étant donné que les Kurdes syriens manquaient de personnels et d’équipements supplémentaires pour mener des opérations de contre-insurrection visant l’EI.

Ce retrait des forces américaines [sans doute convient-il désormais de parler de « recul »] a fait que les positions qu’elles occupaient jusqu’alors ont été reprises, pour certaines, par les troupes syriennes et russes. Or, pour le moment, ces dernières n’avaient encore mené aucune opération contre l’EI au moment de la rédaction du rapport en question. Et cela vaut aussi pour la Turquie ainsi que pour ses supplétifs syriens, malgé les promesses faites par Ankara.

Justement, s’agissant de l' »Armée nationale syrienne », dont certains éléments ont commis des crimes de guerre durant l’opération « Source de paix », l’inspecteur général du Pentagone estime qu’il n’y a rien à en attendre dans la lutte contre Daesh. Et pour cause!

« Les forces de l’opposition syrienne ayant participé à l’offensive turque n’ont mené aucune opération de contre-terrorisme contre l’EI […] et il y a peu de chances qu’elles en fassent », dit le rapport. La « DIA a indiqué que certaines des milices soutenues par la Turquie avaient auparavant aidé à faire passer des combattants de l’EI vers des territoires tenus par l’opposition et probablement maintenu des liens étroits » avec l’organisation jihadiste car elles « partagent une interprétation similaire et stricte de la charia », ajoute-t-il.

S’agissant du déploiement militaire américain dans la province de Deir ez-Zor pour y protéger les installations pétrolières, le rapport explique que ces dernières sont un objectif prioritaire pour l’EI, d’autant plus qu’elles sont situées dans une région que ses combattants connaissent bien.

Quant à l’Irak, les succès des opérations de contre-terrorisme menées par les forces de sécurité locales [FSI] avec l’appui de la coalition sont limités par la difficulté qu’éprouvent ces dernières à « tenir le terrain ».

« Les FSI demeurent en grande partie réticentes ou incapables de maintenir le terrain dans les montagnes et dans les oueds du centre et du sud de la province de Kirkuk », note ainsi le rapport, qui évoque également la même chose pour les provinces de Salahedine et de Diyala. Qui plus est, les forces de la coalition internationale, notamment américaines, doivent composer avec l’hostilité des milices chiites inféodées à l’Iran et membre de l’organisation Hachd al-Chaabi.

Quoi qu’il en soit, l’élimination d’Abu Bakr al-Baghdadi, remplacé par un certain Abu Ibrahim al-Hashemi al-Qurashi dont on ne sait pas grand chose, si ce n’est que les groupes affiliés à l’EI lui ont rapidement prêté allégeance, elle ne changera pas grand chose, estime la DIA, citée dans le rapport.

La « mort d’al-Baghdadi aura peu d’effet sur la capacité de l’État islamique à se reconstituer » et l’organisation « maintiendra probablement ses opérations dans la continuité », conclut le renseignement militaire américain.

Photo : Formation de combattants des FDS

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