Le chef d’état-major de la Marine relativise la menace des futurs missiles anti-navires contre les porte-avions

Durant l’été, lors d’une audition au Congrès américain, le sénateur [indépendant] Angus King mit au supplice l’amiral Michael Gilday, alors appelé à prendre les rênes de l’US Navy, en lui demandant ce qu’il ferait dans le cas où le nouveau porte-avions USS Gerald Ford venait à être visé par un missile hypersonique d’autant plus difficile à détecter que, en volant à 6.000 km/h, il dégagerait un nuage de plasma absorbant les ondes radar.

« Je pense que cela soulève une question sur le rôle du porte-avions si nous ne pouvons pas trouver un moyen de contrer cette menace », estima ensuite le parlementaire américain.

Or, l’amiral Gilday fut bien embarrassé pour répondre… En tout cas, il n’eut pas la même présence d’esprit que son homologue français, l’amiral Christophe Prazuck, à qui une question de même nature a été posée lors d’une récente audition à l’Assemblée nationale [et dont le compte-rendu vient d’être publié].

A priori, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM] n’est pas inquiet. Pas encore, du moins.

« Souvenez-vous de la guerre des Malouines : nos camarades de la Royal Navy avaient été touchés par des missiles Exocet subsoniques qui avaient infligé à leurs bateaux et leurs équipages des dégâts terribles. Jusqu’à un passé très récent, ce type de missiles constituait le nec plus ultra du missile antinavire : volant au ras des flots, très difficile à détecter, mais à une vitesse subsonique, ce qui lui offrait une grande manœuvrabilité », a commencé par rappeler l’amiral Prazuck.

Puis, a-t-il enchaîné, « face à un tel engin, subsonique ou légèrement supersonique, les moyens de défense que nous avions développés étaient largement suffisants : il s’agissait notamment de la famille de missiles Aster. Nous sommes même parvenus à repousser les limites de ce type de missile au cours de l’exercice Formidable Shield 2019 puisque nous avons constaté à cette occasion qu’il était capable d’intercepter un missile volant à Mach 2,5. »

Seulement, pour intercepter un missile, encore faut-il pouvoir le détecter à temps. « Parallèlement au problème de la capacité d’interception se pose celui de la capacité de détection et du temps réservé à la décision : ces sujets deviennent de plus en plus importants pour nous », a admis le CEMM. Et qu’en sera-t-il alors pour des missiles plus rapides?

« Des organismes étatiques, et nos industriels conduisent des études sur les performances et l’évolution de ces menaces. En particulier, des simulations poussées permettent de confronter ces menaces de demain à nos systèmes de défense actuels et de vérifier que nos systèmes futurs seront en mesure d’y faire face efficacement », a rassuré l’amiral Prazuck, sans entrer dans les détails.

Cela étant, lancer un missile supersonique, voire hypersonique, est une chose. Atteindre une cible en mouvement en est une autre, selon le CEMM.

« Notons déjà que, pour atteindre un groupe aéronaval, le missile est le dernier maillon de ce qu’on appelle une ‘kill chain’ : avant de tirer le missile, il faut d’abord localiser un groupe aéronaval en haute mer. Je précise qu’à partir d’une position connue, en 8 heures à 25 nœuds, un groupe aéronaval peut se situer n’importe où dans une zone grande comme la France métropolitaine [et en une demi-heure seulement, dans l’équivalent des Yvelines] », a relevé l’amiral Prazuck.

« Il faut ensuite identifier avec certitude le porte-avions parmi ses escorteurs, voire au milieu d’un trafic commercial dense, car aujourd’hui les réalités de la mondialisation ont gommé toute ségrégation entre trafic commercial et zone de crise », a-t-il poursuivi.

Or, un « cliché satellite d’un groupe de bateaux, tout précis soit-il, est caduque en une poignée de minutes », a fait valoir l’amiral Prazuck. Et ce n’est pas tout car il « convient également de déterminer et actualiser en permanence pour ce missile en vol une position future précise à moins de 100m alors que le groupe aéronaval se déplace à près d’1 km par minute » et de parvenir à « franchir les couches de défense successives qui entourent le porte-avions et qui évoluent elles aussi », a-t-il ajouté.

La Chine, qui dit avoir développé des missiles anti-navires comme le DF-21 [balistique] et DF-100 [de croisière] surnommés « tueurs de porte-avions », est actuellement de mettre les bouchées doubles pour renforcer ses capacités aéronavales. Or, pour l’amiral Prazuck, ce n’est pas vraiment une surprise.

« Face à cette complexité, il n’est donc pas surprenant que les pays qui développent de telles armes ‘tueuses de porte-avions’ redoublent aussi d’efforts pour construire des porte-avions. Et qu’ils se rapprochent à chaque nouvelle génération un peu plus du standard franco-américain : à propulsion nucléaire, pont plat, catapultes et brins d’arrêt, et qui seront encore en service dans la décennie 2060 », a en effet expliqué le chef d’état-major de la Marine nationale.

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