La France veut « clarifier le statut de la Turquie comme alliée de l’Otan »

Le 30 octobre, et comme le Sénat le fit avant elle, l’Assemblée nationale a voté, à l’unanimité, une résolution – non contraignante – pour condamner l’offensive lancée par la Turquie contre les milices kurdes syriennes [YPG] dans le nord-est de la Syrie.

Pour rappel, cette opération avait été rendue possible par la décision du président Trump de retirer les forces américaines alors présentes dans la zone de sécurité que la Turquie voulait instaurer à sa frontière, afin d’éviter l’infiltration sur son territoire de combattants kurdes syriens qu’elle considère comme terroriste et pour y installer une bonne partie des réfugiés syriens qu’elle a accueillis.

Cette opération, appelée « Source de paix » et menée avec l’appui de groupes rebelles syriens, est actuellement suspendue après qu’un accord entre Ankara et Moscou a été trouvé à Sotchi [Russie]. Toutefois, l’initiative de la Turquie, membre de l’Otan, a été vivement critiquée, notamment parce que les milices kurdes, membres des Forces démocratiques syriennes [FDS] ont tenu un rôle crucial dans la défaite du califat établi par l’État islamique [EI ou Daesh]. En outre, elle risquait de ruiner les efforts consentis depuis 5 ans pour éradiquer la menace incarnée par l’organisation jihadiste.

Lors du débat sur cette résolution condamnant l’intervention turque, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a rappelé que « ce sont les forces de la coalition, au deuxième rang desquelles se trouvait la France, et dont faisaient partie les forces irakiennes » […] ainsi que « les Forces démocratiques syriennes […]qui ont notamment permis de libérer la ville symbolique de Raqqa, à laquelle nous portons un intérêt tout particulier. » Aussi, a-t-il continué, il « ne faudrait pas que d’autres vainqueurs se déclarent a posteriori. »

En outre, M. Le Drian a estimé que la mort du chef de Daesh, Abu Bakr al-Baghdadi, n’est pas un « coup fatal » porté contre l’organisation jihadiste. Elle « n’est qu’une étape en vue de la défaite définitive » car le « combat n’est pas terminé » et « nous devons le poursuivre collectivement, avec une détermination intacte, dans le cadre de la coalition. »

D’autant plus, a poursuivi le ministre, que « le chaos créé par l’offensive d’Ankara » est de nature à favoriser la résurgence de l’EI. Mais l’opération militaire turque n’est pas le seul facteur favorable à l’EI étant donné que ce dernier, revenu à la clandestinité, reste très actif en Irak, où la situation politique actuellement, extrêmement tendue, « ne fait que renforcer sa capacité de résurgence. » Sur ce point, « tous mes interlocuteurs, à Bagdad comme à Erbil, m’ont fait part de leur profonde inquiétude », a-t-il confié.

S’agissant des combattants FDS, qui réunissent les miliciens kurdes et des combattants arabes, dont certains sont de confession chrétienne, M. Le Drian a assuré que la France est toujours « en relation » avec eux.

« Quelle que soit l’évolution des événements sur le terrain, nous serons attentifs à la situation des FDS, qui ont payé le prix du sang face à Daech, aux côtés de nos forces, de celles de la coalition : ce combat commun nous oblige et nous sommes redevables à l’égard des Forces démocratiques syriennes », a affirmé le chef de la diplomatie française.

Quoi qu’il en soit, ce dernier n’a pas ménagé ses critiques à l’égard de la Turquie, notamment en condamnant son projet de « réinstallation forcée de réfugiés syriens » dans le nord-est de la Syrie et en refusant le « chantage » exercé sur les Européens par son président, Recep Tayyip Erdogan, avec la menace d’un nouveau flux massif de migrants.

En outre, pour M. Le Drian, l’offensive turque « nous éloigne d’une solution politique à la crise syrienne, dont dépendent à la fois notre sécurité, l’avenir de la Syrie et la sécurité de ses voisins. »

Aussi, dans ce contexte, il apparaît urgent pour la France de convoquer une réunion des pays membres de la coalition anti-jihadiste, dirigée par les États-Unis. Et elle aura lieu le 14 novembre prochain. Selon M. Le Drian, il s’agira de clarifier les positions de chacun.

« Nous souhaitons que chacun des membres de la coalition assume ses responsabilités et que, les uns et les autres, nous en tirions des conclusions. Dans ce contexte nouveau, une clarification des intentions de chaque partenaire de la coalition s’impose », a expliqué le ministre aux députés.

« La question est simple : comment poursuivre ensemble la lutte contre Daech? La réponse doit être claire. La parole doit être fidèle. Elle doit être aussi en cohérence, ainsi qu’en soutien et en maintien du respect et de l’autonomie des Forces démocratiques syriennes », a détaillé M. Le Drian.

Enfin, la France entend profiter du prochain sommet de l’Otan, organisé en décembre à Londres, pour mettre, là aussi, les choses au clair. « La réunion doit être l’occasion d’un échange important entre alliés, d’un échange franc et exigeant, d’un échange avec la position américaine comme avec la position turque », a dit M. Le Drian. Et surtout, a-t-il aussi affirmé, il « importera aussi de clarifier […] le statut de la Turquie comme alliée de l’Otan. »

Ces dernières années, Ankara a amorcé un rapprochement avec Moscou. Ce qui s’est notamment traduit, au niveau militaire, par l’achat de systèmes russes de défense aérienne S-400. Et, visiblement, le gouvernement turc ne devrait pas s’en tenir là étant donné qu’il est désormais question d’un achat de 36 à 48 avions de combat Su-35 Flanker E.

« Nous avons suspendu notre aide à la Turquie et que nous aurons, au cours des deux rencontres à venir, une position extrêmement ferme, claire et exigeante », a assuré M. Le Drian.

Enfin, pour le ministre, les récents développements en Syrie font que l’on est à « un tournant stratégique ». Et cela « nous montre l’impérieuse nécessité d’un vrai sursaut européen », a-t-il dit. « Nous devons aller vers plus de souveraineté européenne et plus d’autonomie stratégique européenne. Le temps du partage des responsabilités est venu. L’Europe doit assumer les siennes. Le temps de l’exigence européenne est également venu. Sinon, l’Europe sortira de l’Histoire », a-t-il conclu.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]