La France et l’Allemagne ont trouvé un accord sur les exportations d’équipements militaires

Lors de la conférence de presse ayant suivi le Conseil des ministres franco-allemand du 16 octobre, organisé à Toulouse, le président Macron a lancé une petite « pique » à ceux qui, en Allemagne [voire en France], sont très sourcilleux quand il s’agit d’évoquer les exportations d’équipements militaires.

« J’inviterai d’ailleurs chacun, quand on regarde la destination finale, à regarder les exportations qui viennent directement du pays d’origine, comme celles qui passent parfois par nos industriels à travers de pays tiers. Cela permettra d’avoir des débats plus instruits sur ces sujets », a en effet lancé M. Macron, en faisant sans doute référence aux pratiques du groupe allemand Rheinmetall qui, via sa filiale sud-africaine [Rheinmetall Denel Munition], livre des munitions à l’Arabie Saoudite, pays soumis à un embargo sur les armes décidé par Berlin en octobre 2018.

Cette mesure a fait que l’Allemagne a bloqué des contrats obtenus par des industriels européens auprès de l’Arabie Saoudite [mais pas seulement…] parce qu’ils utilisaient des composants fabriqués outre-Rhin.

Cela étant, il y avait déjà des difficultés avant l’embargo décrété par Berlin à l’égard de Riyad. Et certains industriels français [Arquus, MBDA, Nexter, Lohr, etc] eurent du mal à honorer des commandes destinés à des pays du Moyen-Orient. Et cela, malgré les accords Debré-Schmidt de 1972, relatifs aux règles sur les « exportations vers les pays tiers des matériels d’armement développés et/ou produits en coopération. »

Pour rappel, cet accord indique qu' »aucun des deux gouvernements n’empêchera l’autre gouvernement d’exporter ou de laisser exporter dans des pays tiers des matériels d’armement issus de développement ou de production menés en coopération » et que « chacun des deux gouvernements s’engage à délivrer sans retard et selon les procédures prévues par les lois nationales les autorisations d’exportation nécessaires pour la fourniture de ces composants au pays exportateur. »

D’où des négociations entre Paris et Berlin pour trouver un nouvel accord, alors que des projets franco-allemands d’armement majeurs sont en cours, comme le Système de combat aérien du futur [SCAF] et le Main Ground Combat System [MGCS, char du futur].

À la veille du Conseil des ministres franco-allemand de Toulouse, il n’était pas encore de voir les négociations aboutir, selon une confidence faite par Florence Parly, la ministre des Armées, aux sénateurs. Mais comme c’est souvent dans la dernière ligne droite que les derniers obstacles sont levés, la France et l’Allemagne ont fini par trouver un accord.

Ainsi, selon la déclaration franco-allemande publiée à l’issue de ce Conseil, « les deux parties ont conclu leurs négociations aboutissant
à un accord juridiquement contraignant dont les dernières étapes vont être mises en oeuvre dès que possible. »

« L’accord sur les exportations d’armement scelle une confiance mutuelle entre la France et l’Allemagne et constitue la condition du succès de projets communs comme le char et l’avion du futur [l’accord de l’autre pays pour exporter ces équipements sera donné automatiquement] », a ensuite indiqué l’Élysée.

De son côté, la chancelière allemande, Angela Merkel, a précisé que cet accord reposait sur la règle dite de minimis, c’est à dire que, par exemple, Berlin ne pourra pas s’opposer à la vente d’un équipement militaire si la part allemande allemande dans le prix de vente n’excède pas une certaine limite [qui n’a pas été officiellement précisée… mais le chiffre qui court est de 20%]. Et réciproquement.

« C’est un accord assez large qui nous satisfait et qui, tout en respectant la souveraineté des États, permet de créer des conditions favorables aux projets de coopération », a confié le cabinet de Mme Parly, à l’AFP.

Par ailleurs, les discussions ont permis d’avancer sur les deux programmes d’armement menés en coopération. Ainsi, les contrats d’études relatifs aux démonstrateurs du SCAF devraient être notifiés à Dassault Aviation et à Airbus en janvier prochain, alors qu’ils auraient dû l’être en juin, lors du Salon de l’aéronautique et de l’espace du Bourget. Leur montant sera de 150 millions d’euros sur deux ans.

Quant au MGCS, une lettre d’intention a enfin été signée, après un accord sur la répartition des tâches conclu entre Nexter, Krauss-Maffei Wegmann [associé au sein de KNDS] et Rheinmetall. La notification des contrats de développement est prévue pour le « premier semestre 2020. »

Ce programme a été retardé par les ambitions de Rheinmetall, qui a l’intention de prendre le contrôle de Krauss Maffei Wegmann… et donc la direction du projet.

Selon Les Échos, une « Combat project team », dirigée par l’Allemagne, sera mise en place pour piloter ce programme. Et une étude d’architecture et de concept a été répartie en 9 lots, que les industriels auront à se partager, tout en veillant à respecter la règle du 50-50 entre la France et l’Allemagne.

Reste que ces avancées seront soumises au bon vouloir du Bundestag [chambre basse du Parlement allemand], lequel a son mot à dire sur chaque contrat d’une valeur supérieure à un certain montant. En clair, il peut remettre en cause, à tout moment, les programmes SCAF et MGCS. Ce qui est d’ailleurs la source d’une partie des difficultés rencontrées par ces derniers.

« Toute décision dépassant 25 millions d’euros est en réalité à la main des parlementaires [allemands] qui, par ailleurs, gèrent à la fois des enjeux de très long terme et puis, parfois, ont aussi des considérations de plus court terme, plus nationales », a résumé, diplomatiquement, Mme Parly, lors de son audition devant les sénateurs. En clair, les députés du Bundestag peuvent être sensibles aux doléances exprimées par les industriels allemands…

« Quel que soit le programme d’armement, le Bundestag se mêle des répartitions industrielles. La commission du Budget met son nez dans les affaires gérées par le ministère de la Défense et chacun essaie au sein de cette commission de retirer quelque chose pour sa propre circonscription », a ainsi expliqué Gaëlle Winter, chercheuse associée à la Fondation pour la recherche stratégique [FRS], à l’AFP.

« La coopération franco-allemande n’est pas toujours aisée », a reconnu Mme Merkel. « Pourquoi le serait elle plus facile que, par exemple, la coopération politique au niveau national, dans nos pays? En Allemagne, nous avons toujours des difficultés entre l’État fédéral et les Ländern. Et si on veut bien travailler, il faut se rapprocher sur certains points, trouver des solutions communes et ainsi avancer », a-t-elle continué. Les députés allemands auront-ils saisi le message?

Photo : MGCS © Nexter

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