En évoquant Napoléon Bonaparte, M. Trump a-t-il fait référence à l’expédition française de Syrie, en 1799?

Le président Macron a bien pu insister sur la « nécessité absolue d’empêcher une résurgence » de l’État islamique [EI ou Daesh] lors d’un entretien téléphonique avec Donald Trump, son homologue américain… Mais ce n’est pas – ou plus – le souci de ce dernier, qui a laissé le champ libre à la Turquie pour lancer l’opération qu’elle promettait depuis des mois contre les milices syriennes kurdes [YPG] qui, au sein des Forces démocratiques syrienne [FDS], ont défait les derniers restes du « califat » proclamé par l’organisation jihadiste.

« Après avoir vaincu 100% du Califat de l’EI, j’ai largement retiré nos troupes de Syrie. Laissez la Syrie et Assad protéger les Kurdes et combattre la Turquie pour leur propre terre. J’ai dit à mes généraux, pourquoi devrions-nous combattre pour la Syrie et Assad pour protéger le territoire de nos ennemis? Quiconque veut aider la Syrie à protéger les Kurdes me va, que ce soit la Russie, la Chine ou Napoléon Bonaparte. J’espère qu’ils réussiront tous, nous sommes à 7.000 miles de là! », a en effet déclaré M. Trump, via Twitter, le 14 octobre.

Cela étant, si les 1.000 soldats américains ont commencé à évacuer leurs positions dans le nord de la Syrie, il n’est pas question de retirer les 150 autres actuellement déployé à At-Tanf, dans le sud de la Syrie. Initialement, leur présence dans cette région visait à former des groupes rebelles syriens et à dissuader les infiltrations jihadistes vers la Jordanie. Mais désormais, elle vise à empêcher l’Iran de boucler son « arc chiite » vers la Méditerranée…

L’évocation de Napoléon Bonaparte dans le « tweet » de M. Trump est pour le moins surprenante. A-t-il donné dans l’ironie et le cynisme? Ou bien a-t-il fait référence à l’expédition de Syrie de 1799, lancée par le général Bonaparte contre le chef ottoman Djezzar Pacha, dans le cadre de la campagne d’Égypte? Malgré plusieurs succès, comme lors de la bataille du Mont Thabor, cette aventure s’était mal terminée pour l’armée française, éprouvée par une épidémie de peste dans ses rangs.

Quoi qu’il en soit, et d’après Pierre Haski [France Inter], « l’idée de mener une action militaire autonome a traversé l’esprit des responsables français, dimanche [13/10] mais elle a très vite été écartée : trop risquée politiquement et militairement hors de portée. »

Aussi, le conseil restreint de défense qui s’est tenu le même jour a débouché sur un communiqué annonçant que des « mesures » allaient être prises pour « assurer la sécurité des personnels militaires et civils présents dans la zone au titre de la coalition internationale contre Daesh ou de l’action humanitaire  » et mettre en place un « programme de réponse humanitaire d’urgence », en faveur des populations civiles locales.

Étant donné que les forces spéciales françaises [et britanniques] ont besoin d’un appui américain pour la logistique ou bien encore l’évacuation sanitaire, on voit mal comment elles pourraient rester aux côtés des Forces démocratiques syriennes [FDS]. D’autant plus qu’elles courent le risque se trouver prises entre deux feux.

En effet, la décision de Donald Trump, si elle a d’abord réjoui son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, fait aussi les affaires de Damas et de… Moscou. Ainsi que celles de l’EI, dont le chaos ambiant sert toujours les intérêts.

Pour le régime syrien, l’accord trouvé avec l’administration kurde pour intervenir contre les forces turques et leurs supplétifs lui permet de reprendre pied dans une région où il avait été exclu depuis plusieurs années. Le 14 octobre, les troupes gouvernementales syriennes ont fait leur retour à Tabqa, ville stratégique pour son barrage sur l’Euphrate, d’où elles en avaient été chassées en 2014 par l’État islamique.

En outre, la question des jihadistes faits prisonniers par les FDS se pose. Certains d’entre eux ont déjà pu profiter de la situation pour s’évader. Quant à ceux qui n’ont pas encore été en mesure de saisir une telle opportunité, ils pourraient se retrouver soit au mains des forces turques, soit dans celles des troupes syriennes. Dans un cas comme dans l’autre, cela pourrait donner un moyen de pression sur les pays d’où sont originaires les combattants de Daesh prisonniers… Dont la France, qui n’a nullement envie de les voir revenir et qui plaide, au contraire, pour qu’ils soient jugés sur les lieux où ils ont commis leurs crimes.

Enfin, les réactions suscitées par l’offensive turque contre les Kurdes syriens ne peuvent que ravir la Russie, qui tire les ficelles dans la mesure où elle soutient militairement le régime syrien tout en ayant de très bonnes relations avec Ankara, qui s’éloigne de l’UE et se retrouve isolé au sein de l’Otan.

Ainsi, les rapports entre l’Union européenne et la Turquie se sont encore dégradées [alors que la question des forages gaziers turcs dans la zone économique exclusive de la République de Chypre alimente déjà les tensions]. Et le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, n’épargne pas sa peine pour ménager la chèvre et le chou, la plupart des Alliés étant opposés à l’intervention d’Ankara.

Après avoir tenu le bidon d’essence et l’allumette à M. Erdogan, le président Trump a signé un décret appelant Ankara à « mettre fin immédiatement à son offensive » et autorisant des sanctions contre la Turquie. Les ministères turcs de la Défense et de l’Énergie sont également visés par ces mesures.

« Si l’opération de la Turquie continue, elle va aggraver une crise humanitaire déjà grave et en pleine expansion, avec des conséquences potentiellement désastreuses », a expliqué Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine. « Pour éviter de nouvelles sanctions imposées dans le cadre de ce nouveau décret présidentiel, la Turquie doit mettre fin immédiatement à son offensive unilatérale dans le nord-est de la Syrie et reprendre le dialogue avec les Etats-Unis sur la sécurité » dans la région, a-t-il ajouté.

De leur côté, au Congrès, démocrates et républicains [ou du moins certains] semblent avoir trouvé un terrain d’entente pour « annuler immédiatement la dangereuse décision du président sur la Syrie », selon Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants. Et il est question d’amplifier les sanctions économiques contre Ankara, déjà dans le collimateur pour son choix en faveur du système russe de défense aérienne S-400. D’où l’hypothèse de voir la Turquie quitter le commandement militaire intégré de l’Otan, voire l’Alliance.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]