Face à l’offensive turque, les Forces démocratiques syriennes ont mis fin à leurs opérations contre Daesh

Au fond, et après la série de « tweets » qu’il a publiés après sa décision de laisser le champ libre à la Turquie pour lancer l’opération militaire « Source de paix » contre les milices kurdes syriennes [YPG] dans le nord de la Syrie, on pourrait résumer la pensée du président Trump en citant les mots de Ponce Pilate lors du procès de Jésus : « Je m’en lave les mains ».

Éditorialiste du site Townhall, Kurt Schlichter a expliqué, pour mieux la défendre, la position de Donald Trump dans cette affaire. Étant donné que les Turcs et les Kurdes « s’entretuent depuis longtemps », écrit-il, alors il n’y aurait aucun raison pour que les États-Unis viennent s’en mêler, dans la mesure où ils doivent se concentrer sur la Chine ou la Russie. Or, poursuit-il, une « ‘non’ du Bureau ovale n’arrêtera pas un bataillon de char Leopard et si vous voulez les arrêter [les Turcs], vous devez être prêts à le faire. Cela signifie la guerre et le président […] a dit : ‘non, merci' ».

En outre, s’il admet que les Kurdes ont aidé la coalition dirigée par les États-Unis à combattre l’État islamique [EI ou Daesh], Kurt Schlichter estime qu’ils auraient de toute façon combattu l’organisation jihadiste… Mais il ne dit pas s’ils y seraient parvenus seuls…

« Soyons honnêtes, les Kurdes ne se sont pas impliqués avec nous en Normandie, à Ichon, à Khe Sanh ou à Kandahar. Les Kurdes syriens se sont alliés avec nous dans leur pays parce que nous partagions le même intérêt : anéantir Daesh. De plus, le PKK [Parti des travailleurs du Kurdistan, avec lequel les YPG cultivent des liens] est un groupe terroriste qui combat les Turcs. Ces ‘rouges’ [le PKK est marxiste-léniniste, ndlr] ne sont pas nos amis », conclut l’éditorialiste de Townhall, dont les écrits ont visiblement inspiré M. Trump.

« Les Kurdes se battent pour leur terre, il faut que vous compreniez. […] Ils ne nous ont pas aidés pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils ne nous ont pas aidés en Normandie, par exemple », a en effet déclaré le chef de la Maison Blanche, alors qu’il était sous le feu des questions de la presse après le déclenchement de l’opération turque dans le nord de la Syrie.

« Nous avons dépensé énormément d’argent pour aider les Kurdes, que ce soit en munitions, en armes, ou en argent. […] Ceci étant dit, nous aimons les Kurdes », a poursuivi M. Trump, avant de prévenir que la Turquie s’exposerait à des sanctions « si elle conduisait son offensive de manière aussi inhumaine que possible. »

Seulement, après la défaite de Daesh à Baghouz, en mars dernier , les Forces démocratiques syriennes [FDS], auxquelles les YPG fournissent le gros des troupes, détiennent actuellement environ 11.000 prisonniers liés à l’organisation jihadiste, dont 2.000 ressortissants européens.

Sur ce point, M. Trump semble aussi s’en laver les mains. « Ils [les jihadistes] vont aller en Europe. C’est là qu’ils veulent aller. Ils veulent rentrer chez eux. Mais l’Europe n’a pas voulu que nous leur rendions. Nous aurions pu les leur retourner. L’Europe aurait pu les traduire en justice, ils auraient pu en faire ce qu’ils voulaient, mais ils ne l’ont pas voulu », a-t-il dit. Et puis, aurait-il confié à Fox News, ce sera aux Turcs de s’en occuper.

Quoi qu’il en soit, et avant le revirement de la Maison Blanche, l’objectif de la coalition anti-jihadiste était d’éviter une opération turque contre les YPG afin de permettre à ces dernières de se concentrer sur la lutte contre la guérilla animée désormais par Daesh. Et cela alors que le groupe terroriste, selon un rapport des Nations unis publié en août, s’attache à renforcer « les conditions propices à son éventuelle résurgence. »

En outre, et comme l’a souligné un autre rapport, publié cette fois par l’Inspection générale du Pentagone, les FDS, qui ont perdu 11.000 combattants pour abattre le « califat » de Daesh, n’ont pas les capacités « pour soutenir des opérations de contre-insurrection pendant que l’État islamique […] établit des cellules clandestines. »

Aussi, il était question de créer une force de stabilisation de 50.000 à 60.000 combattants afin d’empêcher toute résurgence jihadiste. D’où l’importance d’un appui de la coalition, apporté par des moyens aériens ponctuels et surtout la présence de forces spéciales américaines, françaises et britanniques. C’est donc ce dispositif qui a volé en éclat après l’annonce faite par M. Trump le 7 octobre.

Devant faire face à l’offensive turque, laquelle mobilise des milliers de supplétifs syriens soutenus par Ankara, une source militaire kurde des FDS a annoncé ce qui était à craindre.

« Les Forces démocratiques syriennes ont arrêté les opérations anti-EI car il est impossible de mener à bien de telles opérations quand vous êtes menacés par une grande armée à la frontière nord », a confié cette source à Reuters, le 9 octobre. Un responsable américain a affirmé à l’agence de presse que cette suspension des opérations anti-Daesh avait également des répercussions sur l’entraînement des FDS.

Aussi, M. Trump a beau dire que l’opération turque est une « mauvaise idée »… Mais en attendant, c’est sa décision qui est brocardée par d’anciens militaires américains. Dont le général Joseph Votel, qui était encore récemment à la tête de l’US Centcom, le commandement chargé des opérations au Moyen-Orient et en Asie centrale.

« Cette politique soudaine d’abandon menace de défaire cinq années de combat contre l’EI et va sérieusement atteindre la crédibilité et la fiabilité des Américains dans toutes les batailles futures dans lesquelles nous aurons besoin d’alliés forts », a fait valoir le général Votel, dans les colonnes du magazine The Atlantic.

Pour le général Mark Herling, ancien commandant des forces terrestres américaines en Europe, la décision de M. Trump « présage désastre à venir pour les États-Unis ». Et d’expliquer : « Nos anciens alliés dans la lutte contre l’EI sont attaqués par un allié de l’Otan, la Turquie. Les répercussions pour les États-Unis et l’Otan seront durables et au détriment de la sécurité de l’Europe et du monde. »

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