Les États-Unis lâchent les milices kurdes syriennes et laissent le champ libre à une offensive turque

Après son annonce sur le retrait des forces américaines du nord de la Syrie, le président Trump avait menacé de « dévaster l’économie turque » dans le cas où la Turquie lancerait une offensive contre les milices kurdes syriennes [YPG], alors en première ligne contre alors en première ligne contre l’État islamique [EI ou Daesh], avec le soutien de la coalition anti-jihadiste dirigée par les États-Unis.

Dans le même temps, le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, affirma qu’il voulait s’assurer que les Turcs n’allaient pas « massacrer les Kurdes ». Une position qui édulcorera un peu lors d’un sommet de l’Otan, en avril, en prévenant qu’une action militaire unilatérale turque aurait des « conséquences potentiellement dévastatrices. »

Depuis, Daesh a perdu les derniers territoires qu’il contrôlait après avoir été défait à Baghouz par les Forces démocratiques syriennes [FDS], dont les YPG fournissent le gros des troupes. Pour autant, l’organisation jihadiste continue d’être une menace étant donné qu’elle a renoué avec la clandestinité et la guérilla. L’EI « renforce les conditions propices à son éventuelle résurgence », a même prévenu un rapport des Nations unies, publié cet été.

Seulement, la Turquie n’a jamais lâché son intention de lancer une opération militaire contre les YPG, considérées à Ankara comme terroristes, en raison de leurs liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan [PKK]. Et cela d’autant plus que ces milices kurdes syriennes contrôlent des territoires jouxtant le territoire turc, à l’est de l’Euphrate.

Pour autant, les États-Unis, et leurs alliés au sein de la coalition anti-jihadiste, dont la France, se sont opposés constamment aux intentions turques. En août dernier, et alors que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, montrait encore de l’impatience, le chef du Pentagone, Mark Esper, a déclaré qu’une offensive de la Turquie contre les Kurde syriens serait « inacceptable ». Et d’assurer qu’il n’était nullement question d’abandonner les YPG, et, plus largement, les FDS.

C’est dans ce contexte que des négociations entre Washington et Ankara ont débouché sur un accord prévoyant l’instauration d’une zone de sécurité dans le nord de la Syrie, le retrait des milices Kurdes et des patrouilles conjointes menées par les forces américaines et turques. La première a eu lieu au début du mois de septembre.

Mais M. Erdogan, estimant que la mise en musique de cet accord prenait trop de temps, est revenu à la charge. « À ce stade, nous n’avons d’autre choix que de poursuivre sur notre propre voie », a-t-il dit, le 1er octobre. « Nous avons tout essayé. Nous avons été extrêmement patients. […] « Nous ne pouvons plus perdre un instant », a-t-il insisté.

Même chose, six jours plus tard. « Nous avons effectué nos préparatifs, achevé nos plans d’opération, donné les instructions nécessaires », a prévenu M. Erdogan, précisant que l’opération dans le nord de la Syrie pourrait débuter « aussi tôt qu’aujourd’hui, demain. Et d’ajouter : « Nous [la] conduirons sur terre et dans les airs ».

Et, apparemment, le président turc a eu gain de cause… En effet, via un communiqué publié dans la nuit du 6 au 7 octobre, la Maison Blanche a indiqué que les troupes américaines présentes dans le nord de la Syrie allaient « s’éloigner » de la frontière turque afin de permettre l’opération militaire voulue par M. Erdogan contre les YPG.

« La Turquie va bientôt mettre en oeuvre son opération prévue de longue date dans le Nord de la Syrie. Les forces américaines ne vont pas soutenir ou être impliquées dans l’opération et les forces américaines, qui ont vaincu le ‘califat’ territorial de l’État islamique, ne seront plus à proximité immédiate », ont en effet indiqué les services de M. Trump, qui a pris cette décision après un entretien téléphonique après son homologue turc.

On notera au passage que M. Trump attribue aux seules forces américaines le mérite d’avoir défait le califat de l’EI, l’action des FDS, ainsi que celle des autres membres de la coalition étant passées par pertes et profits.

Le communiqué de la Maison Blanche a également évoqué l’éventualité de confier à la Turquie la responsabilité des combattants européens de l’EI actuellement prisonniers des FDS.

« Le gouvernement des États-Unis a pressé la France, l’Allemagne et d’autres pays européens, d’où viennent beaucoup des combattants de l’EI capturés, de les reprendre, mais ils ne veulent pas et refusent », indique en effet le texte. « La Turquie va maintenant être responsable pour tous les combattants de l’EI dans la zone, capturés dans les deux dernières années », y est-il ajouté.

En septembre, M. Trump avait menacé les pays européens, en particulier la France et l’Allemagne, de libérer les jihadistes de l’EI originaires du Vieux Continent. « Je vais finir par dire : je suis désolé, mais ou bien vous les récupérez, ou alors nous les ramenons à votre frontière. Parce que les États-Unis ne vont pas mettre les milliers et les milliers de personnes que nous avons capturés à Guantanamo, les garder prisonniers à Guantanamo pendant 50 ans. »

De son côté, Ankara a indiqué que M. Erdogan avait exprimé à Donald Trump « sa frustration concernant l’absence de mise en oeuvre par l’armée et les services de sécurité américains de l’accord », conclu en août dernier. En outre, le président turc a été invité par son homologue américain à la Maison Blanche… De quoi renforcer le sentiment de lâchage en rase campagne des YPG, dont l’organe politique a par ailleurs été exclus du Comité constitutionnel récemment créé par les Nations unies pour amender la Constitutiion syrienne, voire pour en proposer une nouvelle.

En attendant, les FDS ont averti qu’une offensive turque, dont on ignore encore les objectifs [se limitera-t-elle à créer une zone tampon ou bien poussera-t-elle jusqu’à Manbij, que la Turquie a longtemps dans le collimateur?], risquerait de remettre des combattants de l’EI dans la nature.

« Une opération militaire turque annulerait des années de combats fructueux des Forces démocratiques syriennes contre l’EI et permettrait aux chefs de l’organisation encore en vie de sortir de leur cachette », ont-elles fait valoir.

Quoi qu’il en soit, le retrait des troupes américaines n’a pas tardé. Selon les FDS et l’Observatoire syrien des droits de l’Homme, elles ont déjà quitté les positions qu’elles occupaient à Ras al-Aïn et à Tal Abyad.

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