En signant un accord avec la Grèce, les États-Unis vont accroître leur présence militaire en Méditerranée orientale

Les relations entre les États-Unis et la Turquie ont connu des jours meilleurs… Et les contentieux se multiplient entre les deux pays. Ainsi, et malgré un accord portant sur une zone tampon dans le nord de la Syrie, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a une nouvelle fois menacé de lancer une opération militaire contre les Forces démocratiques syriennes [FDS], que soutient Washington dans le cadre de la coalition anti-jihadiste.

« Nous avons adressé toutes les mises en garde sur la situation à l’est de l’Euphrate et nous avons fait preuve de suffisamment de patience », a en effet encore déclaré M. Erdogan, le 5 octobre. Pour rappel, Ankara considère les milices kurdes syriennes [YPG], lesquelles constituent l’épine dorsale des FDS, comme terroristes, en raison de leur proximité avec le Parti des travailleurs du Kurdistan [PKK], une organisation à l’origine d’une guérilla sanglante en Turquie.

Une autre pomme de discorde est liée au rapprochement d’Ankara avec Moscou, lequel s’est matérialisé par l’acquisition de systèmes russes de défense aérienne S-400… Et sans doute bientôt par celui d’avions de combat Su-35, afin de remédier à l’exclusion de la Turquie du programme F-35 Lightning II.

Et puis il y a la question des ressources gazières au large de la République de Chypre, sur lesquelles lorgne la Turquie en affirmant vouloir défendre les droits de la République turque de Chypre du Nord. Le 4 octobre, Nicosie a vigoureusement dénoncé une nouvelle opération de forage lancée par Ankara dans sa zone économique exclusive [ZEE], plus précisément dans le bloc 7, déjà attribué par les autorités chypriotes aux groupes ENI et Total.

« Les nouvelles opérations de forage, prévues cette fois-ci dans un bloc déjà attribué, constituent une nouvelle grave escalade des violations continues de la part de la Turquie des droits souverains de la République de Chypre. […] Cette nouvelle provocation est un exemple qui montre comment la Turquie fait fi des appels répétés de l’UE et de la communauté internationale à cesser ses activités illégales », a ainsi dénoncé le gouvernement chypriote, qui peut compter sur l’appui de son homologue grec… ainsi que sur celui des États-Unis.

En visite à Athènes, le 5 octobre, le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, a jugé que les forages entrepris par la Turquie au large de la République de Chypre étaient « illégaux » et inacceptables ». Et on se doute bien que de tels propos n’amélioreront pas le climat entre Washington et Ankara.

Or, parce qu’elle permet de contrôler les détroits reliant la Méditerranée à la mer Noire [et donc de surveiller les mouvements de la marine russe] et qu’elle accueille sur son sol des forces américaine, notamment sur la base d’Incirlik, laquelle accueille un dépôt de bombes nucléaires tactiques B-61 pour le compte de l’Otan, la Turquie est importante au niveau stratégique. Mais la Grèce l’est aussi… D’où la présence de M. Pompeo à Athènes, pour signer un accord de défense négocié avec le précédent gouvernement grec, celui dominé par Syriza [gauche radicale] et conduit par Alexis Tsipras.

En effet, le Pentagone avait déjà fait part de son intérêt pour plusieurs bases grecques, susceptibles d’accueillir ses troupes via un système de rotation. Et cela fut perçu comme une volonté de chercher une alternative posssible à la base d’Incirlik… Ce que les responsables militaires américains se gardèrent de confirmer. En revanche, ils insistèrent sur l’importance de la Grèce pour continuer à mener des opérations en Syrie tout en surveillant la situation en Libye et dans les Balkans ainsi que les activités militaires russes en Méditerranée orientale et en mer Noire.

« Si vous regardez la géographie ainsi que les opérations actuelles en Libye et en Syrie tout en considérant les autres opérations potentielles en Méditerranée orientale, la Grèce offre des opportunités importantes », avait résumé le général Joseph Dunford, l’ex-chef d’état-major interarmées américains, en septembre 2018.

Actuellement, les forces américaines ont un accès au port de Souda [en Crète] et peuvent déployer des drones MALE [Moyenne Altitude Longue Endurance] sur la base aérienne de Larissa. L’accord qu’a signé M. Pompeo lors de sa visite à Athènes leur permettra d’utiliser d’autres emprises militaires grecques, comme la base aérienne de Stefanovikeio [dans l’est du pays] et, surtout, le port d’Alexandroupoli, situé à une encablure du détroit des Darnadelles.

« La Grèce peut jouer un rôle stratégique important dans la région » et « peut être un pilier de stabilité », a estimé Mike Pompeo. Pour son homologue grec, Nikos Dendias, « cet accord renforce la coopération stratégique entre les deux pays » et il est « une garantie de stabilité et de développement. »

Cet accord « protège le pays et ses intérêts » en augmentant « la présence américaine dans la région », avait auparavant fait valoir le ministre grec des Affaires étrangères.

Par ailleurs, pour Washington, ce rapprochement avec Athènes, qui n’est « pas lié aux activités de la Turquie », a assuré M. Pompeo, vise également à contrer l’influence grandissante de Pékin, qui a pris possession du port du Pirée. « Si nous voulons faire entrer un navire, un navire de guerre, au Pirée, la Chine peut refuser », s’était récemment inquiété un responsable militaire américain dans les colonnes du magazine Stars and Stripes.

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