Le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire s’inquiète de l’avenir du Service de Santé des Armées

Le concept de « médecine de l’avant », mis en oeuvre par le Service de Santé des Armées [SSA] sur les théâtres d’opérations, a fait la preuve de son efficacité. En effet, les délais de traitement des militaires blessés sont très courts, avec, en moyenne, des soins de survie réalisés 3 minutes après la blessure, des interventions médicales en moins de 7 minutes, des évacuations en moins de 2 heures et des rapatriements vers le territoire nationale en moins de 25 heures. Aussi, souligne le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire [HCECM] dans son dernier rapport, le taux de blessés au combat qui meurent des suites de leurs blessures a fortement diminué au cours de ces dernières années.

Pour assurer cette « médecine de l’avant », 1.846 militaires du SSA, dont 433 médecins [312 généralistes, 77 chirurgiens, 37 anesthésistes réanimateurs et 7 psychiatres] ont été engagés, l’an passé, dans une opération extérieure [OPEX]. En décembre 2018, le service avait ainsi déployé 47 équipes de premiers soins, 10 équipes d’évacuation médicale par avion [ou hélicoptère], 6 équipes chirurgicales et 23 équipes médicales embarquées sur des bâtiments de la Marine nationale.

Cette intense activité opérationnelle n’est pas sans conséquences sur le fonctionnement du SSA, dont le format a, qui plus est, été réduit entre 2010 et 2017. La première est que les militaires du service n’ont pas forcément le temps de suivre une préparation opérationnelle avant leur projection sur un théâtre extérieur. Ou du moins, avance le HCECM, ceux qu’il a rencontrés l’estiment « insuffisante », avec, par exemple, un seul tir avant projection.

Étant donné que les effectifs ont été réduits, certains médecins et personnels soignants sont « projetés » plus souvent qu’à leur tour, ce qui fait la fidélisation tend à s’affaiblir. Au point que le SSA doit faire avec un « sous-effectif moyen de 9% », soit l’équivalent de 165 médecins.

« Il manque par ailleurs 17 % des chirurgiens orthopédiques prévus en organisation et 10 % des chirurgiens viscéraux. Cette situation
est d’autant plus inquiétante que le service est aujourd’hui sur-engagé par rapport au contrat opérationnel qui lui a été fixé : les médecins généralistes sont à 110 ou 120 % des objectifs assignés et les chirurgiens à 200 % », relève le Haut-Comité.

Quant à la féminisation [60% des effectifs du SSA], elle peut « induire ponctuellement des tensions supplémentaires car les projections en opérations concernent une population jeune qui est aussi celle qui accède à la parentalité et aux congés qui l’accompagnent », souligne-t-il.

Conséquence de ce sous-effectif : les opérations étant prioritaires, le SSA a du mal à assurer ses autres missions. « Le constat est que les antennes médicales placées au sein des unités militaires ne sont pas en mesure d’effectuer toutes les visites médicales périodiques dans les délais règlementaires, malgré l’allongement à deux ans de leur durée de validité, même si toutes les visites sont garanties pour les militaires projetés en opérations extérieures », écrit le Haut-Comité.

« Le sous-effectif de médecins généralistes [sous-réalisation d’environ 16 % de la maquette en organisation] et l’importance du volume de médecins déployés en opérations limitent en effet singulièrement l’exercice de la médecine médico-statutaire. Sur les 5 dernières années, la part des militaires de la marine et de la gendarmerie en retard de VMP est restée à un haut niveau [autour de 15 % pour la marine et 10 % pour la gendarmerie] tandis que celle observable dans l’armée de terre [6 %] a significativement augmenté sans atteindre toutefois les seuils hauts de la marine », détaille le HCECM.

Par ailleurs le SSA est contraint de diminuer son soutien aux activités des armées sur le territoire national.

« L’intensité de l’engagement du SSA en opérations extérieures et les limites que le service rencontre en termes de ressources humaines l’ont conduit à diminuer son soutien à des activités en métropole », avance le rapport du HCECM. « Par exemple, les opérations conduites par la gendarmerie autour de Notre-Dame-des-Landes en avril 2018 ont été soutenues par le service départemental d’incendie et de secours de Loire-Atlantique dont certains éléments ont été intégrés aux colonnes d’assaut », rappelle-t-il.

Et le Haut-Comité va même jusqu’à parler de « dégradation de l’accès aux soins des militaires et de leurs familles. »

« La densité des activités opérationnelles conduit à ce que de nombreux soignants de la médecine des forces exercent leur soutien en dehors des centres médicaux des armées, en particulier en opérations, ce qui limite leur soutien au profit des militaires en garnison », note le rapport. En outre, « dans les ‘déserts médicaux’, le SSA ne peut pallier le déficit en cabinets médicaux, dont l’accès
est rendu d’autant plus difficile du fait de la mobilité importante des militaires », ajoute-t-il.

Ainsi, par exemple, on ne compte que 180 médecins dans le département de l’Eure, où est implantée la base aérienne 105 d’Évreux-Fauville, alors que la moyenne nationale est d’environ 330. « Dans une unité visitée, située en province dans une zone peu dense en praticiens, un médecin des armées a téléphoné aux 12 médecins généralistes des environs pour leur demander
d’intégrer leur patientèle, mais aucun n’a répondu favorablement », raconte le HCECM.

La situation est encore plus compliquée dans les départements et territoires d’outre-Mer, où le SSA « n’est plus en capacité aujourd’hui de répondre, à de rares exceptions près, à leur demande, alors même que leur accès aux soins du service de santé des armées est évoqué à l’article L4123-2 du code de la Défense. »

Or, soutient le HCECM, les capacités de la « médecine de l’avant » dépendent directement de l’état des ressources effectivement disponibles dans les centres médicaux des armées et les Hôpitaux d’instruction des armées [HIA], dont seulement quatre font partie d’ensembles hospitaliers militaires [Percy, Laveran, Bégin, Sainte-Anne], les quatre autres ayant désormais une vocation civilo-militaire.

Résultat : au regard de son sous-effectif et du contexte opérationnel, le SSA ne serait « pas en mesure de faire face, avec ses seuls moyens, à un évènement s’accompagnant de pertes massives et d’un grand nombre de blessés. »

Aussi, le Haut-Comité « considère que la sauvegarde des capacités du SSA, et même leur renforcement, sont une nécessité ». Sinon, prévient-il, l’apport opérationnel du SSA serait menacé et la
capacité de la France à intervenir sur des théâtres d’opérations risquerait d’être rendue plus difficile. »

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