L’administration Trump bloque l’aide militaire promise par le Congrès à l’Ukraine

Alors que le SBU, le service de renseignement ukrainien, s’est donné beaucoup de mal pour l’arrêter [dans des conditions rocambolesques…] alors qu’il se trouvait dans le Donbass [sud-est de l’Ukraine], Volodymyr Tsemakh, ex-chef de la défense aérienne des séparatistes soutenus par la Russie, pourrait faire partie d’un échange de prisonniers « massif » entre Kiev et Moscou.

Cet accord serait susceptible de permettre la libération du cinéaste Oleg Sentsov, arrêté en Crimée en 2014 et condamné par la justice russe à 20 ans de prison pour « terrorisme » et « trafic d’armes », au terme d’un procès qualifié de « stalinien » par les organisations de défense des droits de l’homme… Ainsi que celle de 24 marins ukrainiens, capturés par la garde-côtière russe en novembre 2018, dans le détroit de Kertch.

Seulement, le souci est que Volodymyr Tsemakh est un témoin clé de l’affaire du vol MH-17, abattu en juillet 2014 au-dessus du Donbass par un système de défense aérienne russe Buk. La justice néerlandaise, qui a déjà mis en accusation trois ressortissants russes et un séparatiste ukrainien dans ce dossier, a fait valoir que son transfert en Russie rendre « probablement » plus compliquée son audition par l’équipe internationale d’enquêteurs [JIT].

« Nous sommes très inquiets que M. Tsemakh disparaisse et ne soit pas disponible pour l’enquête du JIT », a commenté Piet Ploeg, président d’une association néerlandaise des victimes, selon l’AFP. « Il est possible que nous ne le revoyions jamais », a-t-il ajouté. D’où l’appel au président ukrainien Volodymyr Zelensky lancé par 40 députés européens de ne pas remettre ce « témoin clé » à Moscou.

Quoi qu’il en soit, l’éventualité de cet échange de prisonniers entre Kiev et Moscou et l’arrivée au pouvoir de M. Zelensky ont fait dire au ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, que le dossier russo-ukrainien « bougeait un peu ». Et d’ajouter : « Les conditions sont réunies pour qu’il y ait très rapidement une réunion en format Normandie » [discussions entre la France, l’Allemagne, l’Ukraine et la Russie, ndlr].

La situation bouge aussi « un peu » du côté américain. Rompant avec la ligne imposée par son prédécesseur, Barack Obama, qui ne voulait pas livrer d’armes létales à l’Ukraine pour ne pas envenimer la situation alors que venaient d’être signés les accords Minsk 2, le président Trump avait donné, en 2017, son feu vert à la cession de missiles antichar Javelin aux forces gouvernementales ukrainiennes. Et, en mars, il était question d’en faire de même avec des missiles antinavires Harpoon.

Actuellement, les États-Unis apportent une aide de 250 millions de dollars à l’Ukraine, dont 50 millions doivent servir à financer des programmes militaires. En juin, le Sénat américain a revu à la hausse ce montant, en le portant à 300 millions de dollars, dans le cadre de la « National Defense Authorization Act » [NDAA] pour la prochaine année fiscale.

Mais, comme pour d’autres dossiers, il est prêté au M. Trump l’intention de faire machine arrière… En tout cas, selon le site d’informations politiques Politico, l’administration américaine garde les 250 millions promis à l’Ukraine sous le coude.

Le chef de la Maison Blanche a « demandé à son équipe de sécurité nationale d’examiner l’Initiative d’assistance à la sécurité de l’Ukraine afin de s’assurer que l’argent est utilisé dans le meilleur intérêt des États-Unis », a confié un haut responsable de l’administration américaine à Politico.

Et les sommes destinées à l’Ukraine ne peuvent pas être débloquées tant qu’elles font l’objet d’un tel examen. Or, l’autorisation pour les dépenser expire le 30 septembre prochain… D’où la lettre ouverte signée par plusieurs sénateurs et réprésentants américains, lesquels accusent M. Trump à retenir « délibérément » ces fonds et de tenter « une nouvelle fois de contourner les prérogatives constitutionnelles du Congrès. »

Le 1er septembre, le vice-président américain, Mike Pence, a cependant assuré Kiev du soutien de Wahington. Les États-Unis se tiennent « aux côtés du peuple ukrainien et, plus particulièrement depuis 2014, nous défendons l’intégrité territoriale de l’Ukraine », a-t-il dit au président Zelensky, lors d’un déplacement à Varsovie. Et il a une nouvelle fois condamné « l’occupation illégale de la Crimée par la Russie et l’agression russe dans l’est de l’Ukraine ».

Cependant, M. Pence a aussi affirmé, devant la presse, que le président Trump veut s’assurer que l’aide accordée à Kiev va « vraiment vers les investissements qui contribuent à la sécurité et à la stabilité ». Et « c’est une attente du peuple américain. Le président l’a exprimée très clairement », a-t-il ajouté. En clair, les problèmes de corruption expliqueraient la réserve de la Maison Blanche.

Reste que, pour certains observateurs, ce blocage de l’aide destinée à l’Ukraine pose des questions sur la position de M. Trump à l’égard de la Russie. Interrogations que ses propos relatifs à la possible réintégration de Moscou au sein du G7 n’ont fait qu’alimenter.

Une autre explication est néanmoins plausible… Fin août, John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale de M. Trump, s’est rendu à Kiev pour dire tout le mal qu’il pensait au sujet de l’intention du chinois Beijing Skyrizon Aviation de prendre une participation significative au capital du groupe ukrainien Motor Sich, qui conçoit et produit des moteurs destinés à l’aviation. Et de mettre en garde les autorités ukrainiennes contre toute coopération avec la Chine, laquelle ne chercherait qu’à mettre la main sur des technologies militaires.

« Nous avons exposé nos préoccupations concernant … les pratiques commerciales déloyales de la Chine, les menaces à la sécurité nationale que nous avons connues aux États-Unis », a ensuite résumé M. Bolton devant la presse.

Le groupe Motor-Sich produit notamment le turboréacteur Ivtchenko-Progress D-18T, qui équipe les avions An-124 et An-255.

Pékin a alors immédiatement réagi aux propos de M. Bolton, en demandant aux États-Unis de ne pas se mêler des affaires de Kiev. « La Chine et l’Ukraine sont traditionnellement des pays amis et des partenaires stratégiques. Au fil des ans, elles ont coopéré dans divers domaines, sur la base des principes d’égalité et de bénéfice mutuel, lesquels ont apporté de réels bénéfices à leurs peuples », a fait valoir le ministère chinois des Affaires étrangères.

Suite au déplacement de M. Bolton à Kiev, le SBU a annoncé l’ouverture d’une enquête visant Motor Sich pour « acte subversif ». Il est reproché au groupe d’avoir illégalement fourni du matériel militaire à la Russie et aux séparatistes du Donbass.

L’an passé, le service ukrainien avait déjà déjoué une possible vente de Motor Sich à des intérêts chinois en perquisitionnant son siège.

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