Le Pakistan cultive l’ambiguïté sur sa doctrine nucléaire pour attirer l’attention sur la situation au Cachemire

En février, l’attentat commis à Pulwama, au Jammu-et-Cachemire, contre des paramilitaires indiens [plus de 40 tués] et revendiqué par le groupe terroriste Jaish-e-Mohammad [JEM], avait donné lieu à une brusque montée des tensions entre l’Inde et le Pakistan, avec, à la clé, des raids aériens de part et d’autre de la Ligne de contrôle [LoC], qui coupe la région du Cachemire en deux partie [l’une indienne, la plus importante, l’autre pakistanaise].

Pour autant, l’Inde et le Pakistan se gardèrent de brandir la menace nucléaire, alors qu’ils ne s’en étaient guère privés lors d’incidents survenus après leur accession au statut de puissance nucléaire, à la fin des années 1990. C’est d’ailleurs ce qu’a souligné l’éditorialiste Moeed Yusuf, de l’US Institute of Peace, dans les colonnes du quotidien pakistanais Dawn.

« Pourquoi les deux pays n’utilisent-ils pas la menace nucléaire aujourd’hui, malgré l’escalade des tensions? Parce qu’ils ont désormais parfaitement confiance dans la stratégie de dissuasion – le simple fait de disposer de l’arme atomique oblige les deux camps à être prudents, notamment lors des crises les plus graves. C’est une bonne nouvelle, car le chantage au nucléaire peut créer des malentendus et susciter la panique », a ainsi écrit M. Yusuf, en avril dernier.

Mais sans doute ne fallait-il pas se réjouir trop vite. Début août, et conformément à ce qu’il avait promis durant la campagne des élections législatives qu’il venait de remporter à nouveau, le Premier ministre indien, Narendra Modi, décida de révoquer l’article 370 de la Constitution, c’est à dire l’autonomie dont jouissait jusqu’alors l’État du Jammu-et-Cachemire. De quoi mettre le feu aux poudres, dans cette région à majorité musulmane et revendiquée par le Pakistan.

Dans un premier temps, Islamabad privilégia l’option diplomatique pour régler cette nouvelle crise avec New Delhi. Puis, le discours se muscla progressivement. »L’armée pakistanaise dispose d’informations solides selon lesquelles ils [les Indiens] ont l’intention de faire quelque chose au Cachemire pakistanais », a accusé Imran Khan, le Premier ministre du Pakistan, le 14 août.

Cependant, le premier à avoir évoqué l’arme nucléaire fut le ministre indien de la Défense, Rajnath Singh. En effet, ce dernier sous-entendit, le 16 août, que New Delhi pourrait revoir sa doctrine de « non-emploi en premier » de l’arme nucléaire. Si l’Inde demeure « fortement attachée » à ce principe, ce « qui se produira à l’avenir dépendra des circonstances », avait-il affirmé. Et notamment de l’attitude du Pakistan.

Car, contrairement à New Delhi, Islamabad entretient l’incertitude doute sur sa doctrine nucléaire, qui n’a jamais été formalisée dans un document. Toutefois, on suppose, résume un article de la Documentation française, que le Pakistan cible « l’Inde comme unique objectif d’attaques nucléaires et se réserve la possibilité de l’utiliser en premier, et non à titre de représaille ». Et d’ajouter qu’une telle position est « fondée sur le fait que les forces indiennes conventionnelles sont largement supérieures à celles du Pakistan et que l’étroitesse de son territoire le rend très vulnérable. »

Et, ces derniers jours, les responsables pakistanais s’attachent à entretenir cette incertidude sur leurs intentions. Le 29 août, dans une tribune envoyée au New York Times, Imran Khan a évoqué la question nucléaire.

« La Seconde Guerre mondiale s’est produite suite à [une politique] d’apaisement à Munich. Une menace similaire plane à nouveau sur le monde mais cette fois sous la menace [de l’arme] nucléaire », a en effet écrit le Premier ministre pakistanais.

Puis, le 2 septembre, devant la communauté sikh de Lahore, il a joué l’apaisement. « Nous sommes tous les deux des puissances nucléaires. Si ces tensions augmentent, le monde pourrait être en danger. Nous n’engageront jamais les hostilités », a assuré M. Khan, selon une traduction de ses propos par l’agence Reuters. Et d’ajouter : « Je veux dire à l’Inde que la guerre n’est une solution à aucun problème. Le vainqueur de la guerre est aussi un perdant. La guerre engendre une foule d’autres problèmes. »

Seulement, le même jour, son ministre des Chemins de fer, Sheikh Rasheed Ahmad, a prévenu, selon le quotidien pakistanais The News, que le Pakistan disposait de « bombes nucléaires tactiques », ce qui « pourrait toucher [et détruire] une zone ciblée ».

Puis, le 3 septembre, le ministère pakistanais des Affaires étrangères est revenu sur les déclarations faites la veille par Imran Khan en affirmant qu’elles avaient été sorties de leur contexte.

« Les commentaires du Premier ministre sur l’approche pakistanaise à l’égard du conflit entre deux États dotés de l’arme nucléaire sont sortis de leur contexte. Bien qu’un conflit ne devrait pas avoir lieu entre deux États dotés d’armes nucléaires, la politique nucléaire du Pakistan ne changera pas », a fait valoir un porte-parole de la diplomatie pakistanaise.

En agitant de nouveau la question nucléaire, il est probable que le Pakistan cherche avant tout à attirer l’attention de la communauté internationale sur le Cachemire… Car, pour le moment, ce territoire n’intéresse pas grand monde. Lors du G7, le président américain, Donald Trump, a fait savoir qu’il ne s’en mêlerait pas, estimant que le Premier ministre indien avait la situation sous contrôle. Même chose pour son homologue français, Emmanuel Macron. « Il appartient  »à l’Inde et au Pakisan de résoudre leurs différends dans le cadre bilatéral. Il est de la responsabilité des deux parties d’éviter toute dégradation sur le terrain de nature à conduire à une escalade », a-t-il déclaré, le 22 août.

C’est d’ailleurs avec cet oeil qu’il faut sans doute regarder l’essai du 29 août d’un missile balistique pakistanais Ghaznavi, « capable d’emporter différents types d’ogive. » Évidemment, dans le contexte actuel, un tel lancement aurait pu donner lieu à une « erreur de calcul ». Mais le risque était minime. « Nous étions au courant du test. Nous en avions été informés par le Pakistan », a assuré Raveesh Kumar, le ministre indien des Affaires étrangères. En clair, les mesures de confiance mutuelle établies par New Delhi et Islamabad fonctionnent toujours.

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