M. Le Drian fixe le cadre du rapprochement entre la France et la Russie, voulu par le président Macron

Lors de son discours prononcé lors de l’ouverture de la Conférence des ambassadeurs, le 27 août, le président Macron a dit vouloir « repenser » le lien de la France avec la Russie tout en invitant le Quai d’Orsay à faire preuve « d’audace ».

« Pousser la Russie loin de l’Europe est une profonde erreur » et il « faut stratégiquement explorer les voies d’un tel rapprochement et y poser nos conditions », a en effet affirmé M. Macron, estimant qu’il n’est pas l’intérêt de Paris de voir Moscou se rapprocher de Pékin. Et d’appeler les diplomates à rompre avec leur éventuelle défiance face à la Russie, même si, a-t-il dit, elle a pu être justifiée par le passé. Pour cela, le chef de l’État a utilisé la curieuse expression « d’État profond » pour désigner ceux qui seraient susceptibles de s’opposer à cette nouvelle orientation diplomatique.

Cela étant, au cours de ces 300 dernières années, c’est à dire que les deux pays ont établi des relations diplomatiques [avec la visite de Pierre le Grand à Versailles, après la mort de Louis XIV qui avait refusé de l’accueillir, ndlr], les rapports entre la France et la Russie ont été tumultueux.

Ils furent notamment marqués par la campagne de Russie, qui, menée par Napoléon Ier en 1812, donna ensuite lieu à la bataille de Paris [1814], puis par la guerre de Crimée [1853-56]. Cependant, en octobre 1896, lors d’une visite du Nicolas II à Paris, une alliance franco-russe fut scellée [et le pont Alexandre III fut nommé ainsi en l’honneur du père du tsar].

La révolution bolchévique de 1917 changea la donne puisque le nouveau pouvoir ne reconnut pas l’alliance passée avec la France, laquelle prévoyait une assistance militaire mutuelle. S’ajouta l’affaire des emprunts russes… que le nouveau régime communiste refusa de rembourser.

Cependant, dans les années 1930, Paris et Moscou tentèrent un nouveau rapprochement. Ce qui aboutit au traité « franco-soviétique d’assistance mutuelle », signé par Pierre Laval [le même qui sera fusillé à la Libération] et Vladimir Potemkine. « Au cas où la France ou l’URSS seraient l’objet d’une agression non provoquée de la part d’un État européen, malgré les intentions sincèrement pacifiques des deux pays, l’URSS et réciproquement la France, se prêteront immédiatement aide et assistance », stipulait l’article 2 de ce texte… qui ne fut jamais appliqué.

Lors de la Seconde Guerre Mondiale, les relations avec Moscou se réchauffèrent, notamment avec la décision du chef de la France Libre, le général de Gaulle, d’envoyer les aviateurs du groupe de chasse Normandie sur le front russe. Un nouveau traité franco-soviétique fut ensuite signé en décembre 1944.

Puis, dans les années 1950, l’assistance [matérielle] soviétique au Vietminh durant la guerre d’Indochine ainsi que le soutien de Moscou aux indépendantistes algériens ou encore la menace d’une « riposte nucléaire », proférée par le maréchal Boulganine, contre la France et le Royaume-Uni lors de l’affaire de Suez [*] ne contribuèrent pas, comme on peut s’en douter, à un éventuel rapprochement. Qui plus est dans un contexte de Guerre Froide.

De retour au pouvoir, en 1958, le général de Gaulle entreprit un rapprochement avec la « Russie soviétique », après l’avoir cependant vivement critiquée après la construction du mur de Berlin et pris fait et cause pour les États-Unis dans la crise des missiles à Cuba. De là naquit l’expression « L’Europe de l’Atlantique à l’Oural », qui revient encore régulièrement dans les débats. Dans le même temps, il fit sortir la France du commandement militaire intégré de l’Otan, après l’avoir dotée de l’arme nucléaire [qui était en cours de développement avant son arrivée à l’Élysée, ndlr]. Seulement, l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie [1968] mit un sérieux coup de frein à ce rapprochement entre Paris et Moscou.

Une autre phase de la relation franco-russe fut amorcée après la guerre russo-géorgienne de 2008, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, lequel fit réintégrer la France au sein du commandement militaire intégré de l’Otan [ce qui donna lieu à de vives critiques à l’époque…]. Et ce rapprochement alla jusqu’à la vente de deux Bâtiments de projection et de commandement [BPC] à la marine russe. Une vente à laquelle était opposé l’amiral Édouard Guillaud, alors chef d’état-major particulier du président de la République. Mais les responsables politiques en place, comme Hervé Morin, ministre de la Défense, estimèrent qu’il fallait « tourner la page de la Guerre Froide »… alors que la Russie venait de reprendre ses vols de bombardiers stratégiques dans l’Atlantique-Nord et de décider de suspendre le Traité sur les Forces conventionnelles en Europe [FCE]… en partie pour répondre au projet de bouclier antimissile des États-Unis et de l’Otan.

L’annexion de la Crimée, en 2014, marqua un nouveau tournant, avec des sanctions prises à l’égard de la Russie par l’Union européenne, les mesures de réassurance décidées par l’Otan au bénéfice des pays baltes et de la Pologne, les violations des espaces aériens de plusieurs pays par des avions russes, etc… Et le gouvernement de François Hollande annula la vente des deux BPC promis à la marine russe.

Ministre de la Défense du président Hollande et désormais chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, qui, par ailleurs, ne s’était pas privé de critiquer l’action de la Russie en Centrafrique, est revenu sur ce rapprochement avec Moscou que souhaite le président Macron, le 29 août.

« Il y a une évidence géographique, historique et culturelle qu’on perd trop souvent de vue : la Russie est en Europe », a commencé par dire le chef du Quai d’Orsay. Ce qui n’est pas tout à fait exact : certes, la Russie est en Europe, mais elle est aussi en Asie, à moins de considérer la Sibérie, voire le Caucase, comme étant et l’Eurasie.

Mais ce rapprochement ne se fera pas à n’importe quel prix, si l’on saisit bien le propos de M. Le Drian, qui a parlé d’un « dialogue lucide, exigeant, inscrit dans le long terme, tenace, mené dans le souci de protéger nos intérêts et ceux de nos alliés » et qui « doit viser au rapprochement progressif de la Russie avec les principes européens. » Et d’ajouter : « Les dix principes d’Helsinki […] me semblent toujours adaptés à notre temps et à notre identité européenne. »

Or, les principes auxquels M. Le Drian a fait allusion sont ceux qui furent définis en 1975 par les accords d’Helsinki, signés à l’issue de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe par les États-Unis, le Canada, l’Union soviétique et tous les pays européens [à l’exception de l’Albanie et d’Andorre].

Ces accords, non contraignants juridiquement, posent dix principes, dont le « respect des droits inhérents à la souveraineté », le « non-recours à la menace ou à l’emploi de la force », « l’inviolabilité des frontières », « l’intégrité territoriale des États », la « non-intervention dans les affaires intérieures », le « respect des droits de l’homme et des libértés fondamentales » ou encore « l’égalité des droits des peuples et droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. »

Reste à voir ce qu’en pensera la Russie… En tout cas, M. Le Drian devrait vite le savoir puisqu’il doit se rendre à Moscou d’ici quelques semaines, avec Florence Parly, la ministre des Armées, pour « commencer à évoquer ce qui pourrait redevenir une architecture de sécurité et de confiance. »

[*] Carnets du Temps n°43 – Centre d’études stratégiques aérospatiales – 2008

Photo : « Une » du Petit Journal – 12 septembre 1887

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