La Turquie fait un pas de plus vers l’achat d’avions de combat russes Su-57 « Frazor » et Su-35 « Flanker-E »

Mi-juillet, les États-Unis annoncèrent une décision qui semblait alors inéluctable, à savoir l’exclusion de la Turquie du programme de chasseur-bombardier de 5e génération F-35 Lightning II, conduit par Lockheed-Martin. Et cela, malgré des avertissements maintes fois répétés au sujet de son intention de se procurer des systèmes russes de défense aérienne S-400, Ankara fit la sourde oreille.

En effet, le F-35A, commandé à 100 exemplaires par la Turquie, ne peut pas cohabiter avec le système S-400, « conçu pour abattre un avion » de 5e génération, comme celui développé par Lockheed-Martin, firent valoir les responsables américains.

En clair, ces derniers redoudaient de voir la Russie être en mesure d’en apprendre beaucoup sur le F-35A, notamment sur ses caractéristiques liées à sa furtivité ainsi que sur ses liaisons de données tactiques. Soit sur ces deux principaux points forts.

Plus d’un mois après l’annonce de l’exclusion de la Turquie du programme F-35, le chef du Pentagone, Mark Esper, a mis une condition – irréaliste en l’état – à un éventuel retournement de situation : Ankara doit stocker les S-400 ailleurs que sur son territoire.

« Ils [les Turcs] doivent se débarrasser des S-400 et les retirer complètement du pays pour que nous puissions envisager » un retour de la Turquie dans le programme F-35, a déclaré M. Esper, le 28 août, devant la presse.

« J’ai été très clair dans mes commentaires publics comme dans mes conversations privées avec mon homologue turc : c’est le F-35 ou le S-400. Ce n’est pas les deux. Ce n’est pas placer l’un dans le garage et rouler avec l’autre. C’est l’un ou l’autre. Voilà où nous en sommes et c’est regrettable », a ajouté le chef du Pentagone.

Ces propos ont été tenus alors que la Russie a commencé la livraison d’un second lot de systèmes S-400 à la Turquie… Et surtout après un déplacement du président turc, Recep Tayyip Erdogan, à Moscou, où il a rencontré son homologue russe, Vladimir Poutine, pour évoquer la situation à Idleb [nord de la Syrie] et où il a visité le salon aéronautique MAKS 2019.

À cette occasion, M. Erdogan a pu voir de très près le Su-57 « Frazor », le nouveau chasseur-bombardier russe de 5e génération. D’après plusieurs agences de presse [dont Associated Press et Interfax], le président turc a demandé à M. Poutine si cet appareil était « disponible à la vente pour des clients étrangers ». Et le chef du Kremlin de lui répondre : « Oui, vous pouvez l’acheter ».

Plus tard, en évoquant de « nouvelles possibilités de coopération mutuellement bénéfique », M. Poutine a dit que la Russie était « au courant des projets concernant le développement de l’économie [turque] dans les hautes technologies. » Aussi, a-t-il continué, « nous pourrions combiner nos efforts dans les domaines où nos compétences sont les plus puissantes et les plus demandées. »

Chef du Service fédéral de coopération militaire et technique, Dmitry Shugaev a confié que Moscou et Ankara allaient « continuer à discuter des sujets à l’ordre du jour », dont la « livraison possible de Su-35 ou de Su-57 » car la partie turque a « manifesté un grand intérêt ». Cependant, a-t-il ajouté, « il est trop tôt pour parler de négocier un contrat » dans la mesure où « il n’y a toujours pas de demande » de la part de la Turquie. Mais « des consultations devraient avoir lieu », a-t-il conclu.

Le directeur de coopération internationale du consortium russe Rostec, Viktor Kladov, a laissé entendre la même chose. Son exclusion du programme F-35 « pousse évidemment la Turquie à chercher un remplaçant. Nous avons présenté le Su-35 et le Su-57. […] Je n’exclus pas certaines décisions dans le futur », a-t-il dit.

En tout cas, il est certain que la Turquie cherche une alternative au F-35 [voire plusieurs]. C’est ce qu’a encore rappelé le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, lors d’un déplacement à Tallinn [Estonie], le 28 août.

« Nous avons besoin d’appareils de combat. Si nous ne pouvons pas acheter des F-35, nous chercherons d’autres solutions », a en effet affirmé le chef de la diplomatie turque.

À Moscou, M. Erdogan a insisté sur « la production en commun » avec la Russie, comme pour les S-400 [deux systèmes seront produits en Turquie, ndlr]. « La formation de notre personnel est en cours. Nous voulons continuer cette coopération dans de nombreux domaines de l’industrie de la défense, qu’il s’agisse d’avions de transport ou d’avions de chasse », a-t-il expliqué.

D’après le journal turc Hürriyet, M. Poutine a dit avoir parlé avec M. Erdogan « de la coopération sur le Su-35 et de l’éventuel travail conjoint sur le nouveau Su-57 ».

L’industrie turque sera-t-elle impliquée dans le programme Su-57 Frazor? Ce n’est pas exclu, dans la mesure où elle travaille aussi sur un projet d’avion de combat de 5e génération, le TF-X [la « prunelle de nos yeux », a dit le président turc, selon une retranscription du Kremlin].

Évidemment, une telle issue ne fera pas les affaires des États-Unis [qui n’ont pas pris de sanctions à l’égard d’Ankara pour l’achat de S-400], ni, dans une certaine mesure, celles de l’Otan, dont la Turquie est membre depuis 1952. Sa géographie fait que ce pays occupe une position stratégique pour l’Alliance, étant donné qu’il contrôle l’accès à la Mer Noire depuis la Méditerranée.

« Quand je regarde la Turquie et les États-Unis, il est très clair pour moi que nous avons beaucoup plus de domaines de convergence que de divergence », a fait valoir le général Joseph Dunford, le chef d’état-major interarmées américain « sortant ». « Ces domaines de divergence sont en quelque sorte des problèmes à court terme. Ce sont des problèmes difficiles, cela ne fait aucun doute, mais ce sont des problèmes sur lesquels nous pouvons travailler », a-t-il poursuivi. Et d’insister : « Si vous examinez les intérêts nationaux turcs et les intérêts nationaux américains, ils sont beaucoup plus proches de tout autre interlocuteur avec lequel la Turquie pourrait avoir affaire actuellement. » Vraiment?

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