Selon un rapport, le financement de l’innovation de défense est « trop complexe, peu lisible et mal adapté »

Depuis que l’innovation est devenue une priorité – si ce n’est « la » priorité – du ministère des Armées-, on voit fleurir des structures aux noms anglophones [Battle Lab Terre, Air Wafare Center, Navy Lab, Innovation Défense Lab] et proliférer des « clusters » [GIMNOTE, ORION, Lahitolle, etc]. Sans oublier les « cellules » dédiées, comme, au sein de l’armée de l’Air, la CITN [cellule d’innovation et de transformation numérique]. Ce tableau ne serait pas complet sans la Mission d’innovation participative [MIP], établie depuis 1988, et l’Agence de l’innovation de défense [AID], qui a vu le jour il y un an.

« Le foisonnement de structures est une phase normale », admet un rapport du Sénat qui, intitulé « Innovation de défense : dépasser l’effet de mode », a été publié au coeur de cet été [.pdf]. « Mais, prévient-il, il faut ‘organiser l’entonnoir et la mise en cohérence’, ce qui implique d’ailleurs de savoir tuer dans l’oeuf les projets inopérants et accélérer les projets prometteurs. » Et, à ce titre, « l’AID doit ainsi fédérer des actions disparates et être fédératrice sans être prédatrice de l’innovation mise en oeuvre dans les clusters, les centres d’innovation des armées, les pôles de compétitivité, les réseaux animés par les associations d’industriels, etc. »

Mais pour gagner en efficacité, sans doute faudrait-il aussi revoir les dispositifs financiers de soutien à l’innovation… Parmi les principaux qui ont été créés au cours de ces dernières années, on trouve les programmes ASTRID [Accompagnement spécifique de travaux de recherche et d’innovation défense, mis en place en 2011], ASTRID-Maturation, RAPID [régime d’appui pour l’innovation duale] ou encore le cofinancement de projets d’intérêt dual de l’Agence nationale de la recherche [ANR] au bénéfice des laboratoires, la participation du ministère des Armées au Fonds unique interministériel [FUI], qui finance les projets des pôles de compétitivité et le Fonds d’investissement Définvest.

Et il vient encore s’ajouter le crédit Impôt Recherche [CIR] et le Crédit Impôt Innovation [CII].

Or, pour les sénateurs Cédric Perrin et Jean-Noël Guérini, les « mécanismes de soutien à l’innovation s’empilent, et ont trop rarement la dimension interministérielle qui accroîtrait leur efficacité. »

En effet, poursuivent-ils, ces « dispositifs sont nombreux, et leur imbrication est complexe, entre les différents stades de l’innovation, les différents opérateurs et les différents acteurs susceptibles de recevoir soutien et financement. » Et le paradoxe est que ce système de financement n’est pas… complet.

« Il n’apporte pas à ce jour de réponse satisfaisante à la ‘vallée de la mort’, c’est-à-dire au financement des démonstrateurs » et il « ne permet pas de garantir l’autonomie stratégique en gardant françaises des start-up ou jeunes pousses qui peinent à trouver le capital nécessaire à leur croissance. »

Pour les deux rapporteurs, le cas de Definvest en est un exemple. « Il avait vocation à soutenir des PME déjà installées en les alimentant en capital développement. Or ces premières applications l’ont réorienté vers le capital risque en soutien à l’innovation. Cela pose la question d’une certaine pénurie en capital développement », soulignent-ils. Et d’ajouter : « Des voix s’élèvent pour réorienter Définvest ou créer un instrument de capital développement, doté, non de 50 millions sur 5 ans, mais de 500 millions d’euros pour faire face aux besoins, et permettre à notre pays de voir ses start-ups devenir des licornes. »

Par ailleurs, le rapport souligne également les difficultés de compréhension entre le ministère des Armées et les entreprises innovantes.

« L’expression des besoins opérationnels de défense & sécurité (D&S) est très peu lisible pour les start-ups, les PME et les ETI civiles. Or pour déterminer si une innovation aura un impact dans le domaine de la D&S, il faut une connaissance précise des problèmes opérationnels prioritaires, ce qui n’est le cas des jeunes pousses technologiques », font valoir les rapporteurs.

Qui plus est, et c’est une autre difficulté, les « startups, PME et ETI technologiques civiles et de leurs investisseurs hésitent à s’engager sur le marché » de la défense et de la sécurité, qui est perçu comme étant « à temps long, complexe, et relativement binaire. » Et « ceci nécessite des compétences et des financements particuliers qui ont toutes les raisons de ne pas attirer en priorité les entrepreneurs et les investisseurs vers ces marchés au stade initial », expliquent les deux sénateurs.

En outre, « les marchés de la défense ont la réputation de ne connaître que de longs délais de paiement, alors que les start-ups vivent sur le haut de leur bilan, leur trésorerie, prendre six mois pour conclure un marché et aboutir au paiement, ce qui serait déjà particulièrement rapide par rapport aux moyennes du secteur, peut-être trop lent pour une start-up », ajoutent-ils.

Autre difficulté, le ministère des Armées peine à gérer ses relations avec « des acteurs d’un genre nouveau qui s’accommodent peu de la rigidité des process, des difficultés à mobiliser des ressources sur des sujets à la marge du périmètre actuel des corps, etc ». Ce qui se traduit par des « questionnements relatifs à la propriété intellectuelle » et des « réticences à la prise de participation au capital. »

Pour améliorer cette situation, le rapport recommande de mettre d’abord l’accent sur la recherche privée.

« En France, le dispositif ASTRID permet de financer des thèses, mais le soutien à la recherche privée n’est pas prévu. Un effort particulier doit être fait dans ce domaine. Il s’agirait de favoriser des champs dans lesquels la France a de réels points forts, tels que les mathématiques, essentielles dans le domaine de l’Intelligence artificielle, ou les nanotechnologies. Dans ces domaines d’excellence, la France doit absolument conserver ses capacités de recherches et financer la supériorité technologique des armées de demain. Encore faut-il s’assurer que les talents et découvertes demeurent au service de la France », détaillent les rapporteurs.

Ces derniers plaident également pour un « mécanisme d’amorçage et démarrage des start-ups innovantes » qui permettrait de les « acculturer au secteur de la défense. » Sur ce point, « le Programme d’accélérateur de start-ups du GICAT paraît efficace, il contribue à l’évolution de la relation entre les grands industriels de la BITD et les PME et ETI qui bénéficient d’un mentorat et d’une aide à identification des fonds »; soulignent-ils. D’où leur proposition visant à le « dupliquer ».

Puis MM. Perrin et Guérini font aussi observer que les start-up non duales sont exclues des mécanismes de financement de l’innovation de défense. Selon eux, ce serait une erreur car la Darpa, l’agence de recherche du Pentagone, « ne s’interdit pas de telles incursions dans le domaine civil ».

Enfin, le rapport propose deux autres mesures. La première consisterait à établir un partenariat avec la direction générale des entreprises du ministère de l’Économie afin de mettre en place un observatoire des PME et start-ups innovantes. Il s’agirait ainsi de « surveiller les évolutions de ces entreprises innovantes de petit format au contact de l’écosystème de défense, et les transferts de propriété intellectuelle. »

La seconde prône la « création d’un mécanisme de soutien au financement des démonstrateurs et prototypes des PME, ETI et start-ups innovantes. »

« Le financement des premières étapes de preuve d’une idée ne semble pas poser de problème alors que la vallée de la mort qui concerne le stade du financement du prototype ou du démonstrateur, continue de bien porter son nom. Pour cela, des mécanismes tels que la labellisation pourrait avoir un fort effet de levier et attirer les capitaux privés, aujourd’hui manquants », estiment les deux sénateurs.

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