Les lacunes des troupes irakiennes et des Forces démocratiques syriennes profitent à Daesh

Le mois dernier, l’Équipe des Nations unies d’appui analytique et de surveillance des sanctions concernant l’État islamique [et al-Qaïda] avait affirmé que l’organisation jihadiste était en train de « renforcer les conditions propices à son éventuelle résurgence » au Levant. Ce qu’a confirmé, quelques jours plus tard, un rapport de l’Inspection générale du Pentagone relatif à l’opération Inherent Resolve [.pdf], c’est à dire à la coalition internationale dirigée par les États-Unis.

Mais ce document va encore plus loin que l’estimation faite par les experts de l’ONU puisqu’il décrit un processus déjà bien avancé. En réalité, l’EI avait anticipé la perte du « califat » qu’il avait autoproclamé en juillet 2014 en se préparant à retrouver la clandestinité et à mener des opérations de guérilla. Et, jusqu’à présent, il a su maintenir une chaîne de commandement stable, en particulier en Irak et il dispose d’un « trésor de guerre » conséquent, estimé à 30/50 millions de dollars.

Sur cette question des ressources financières, le rapport de l’Inspection générale du Pentagone indique que l’organisation jihadiste a « commencé à rétablir des capacités illicites de collecte de fonds en Syrie […] à l’extorsion de fonds et à la perception d’impôts auprès des résidents et des entreprises dans les zones où elle opérait ». Et si il est « peu probable » qu’elle puisse obtenir des revenus aussi important qu’à l’époque où elle contrôlait les puits de pétrole, les fonds qu’elle collecte « l’aideront à faire face à ses dépenses sans épuiser ses réserves ».

Par ailleurs, que ce soit en Irak ou en Syrie, l’EI mise sur les tensions ethniques [opposition entre Arabes et Kurdes] et religieuses [antagonisme sunnite/chiite] pour tirer son épingle du jeu. D’après le rapport du Pentagone, il pourrait également exploiter à son profit « d’autres différences culturelles, comme l’égalité entre hommes et femmes au sein des milices kurdes syriennes qui s’oppose à la ‘société arabe traditionnelle’ pour obtenir un soutien ».

L’EI cherche aussi à tirer profit des difficultés qu’ont les autorités irakiennes et syriennes à assurer les services les plus élémentaires aux populations autrefois sous son joug. Bénéficiant de relais familiaux et tribaux parmi ces dernières, il n’aurait pas de peine à recruter des sympathisants pour ses cellules dormantes, qui seraient de plus en plus nombreuses. En outre, pour son recrutement, l’organisation viserait aussi les jeunes des camps de déplacés, qui accueillent les familles de ses ex-combattants, comme celui, en Syrie, d’al-Hol, où, le 15 juillet, un enfant a accroché le drapeau de Daesh en haut d’un pylône, sous les acclamations de femmes cachées sous leur niqab.

Le souci est que les capacités actuelles des Forces démocratiques syriennes [FDS, alliance arabo-kurde] et des Forces de sécurité irakienne [FSI] sont insuffisantes pour faire face à cette situation.

Pour les premières, ces déficits capacitaires sont apparus dès leur victoire à Baghouz, qui a marqué la fin du « califat » physique de l’EI, en mars dernier. En effet, explique le rapport, les FDS manquaient déjà de « personnel, d’équipements et de renseignements pour soutenir des opérations de contre-insurrection pendant que les combattants de l’État islamique […] établissaient des cellules clandestines ». L’autre problème est qu’une partie de leurs moyens est détournée pour assurer la surveillance des camps où sont logés les jihadistes capturés.

Les FSI et les FDS « ne sont toujours pas en mesure de mener des opérations à long terme, de mener plusieurs opérations simultanément, ou de conserver un territoire où elles ont chassés les militants de l’EI », indique le rapport.

Ainsi, malgré les nombreuses opérations qu’ells ont menées [le document avance le nombre de 1.000] au cours du dernier trimestre, et les progrès qu’elles ont réalisés grâce aux formations qui leur ont été données par la coalition [dont les « Task Forceé françaises Monsabert et Narvik], les Forces de sécurité irakiennes n’ont pu qu’enregistrer des gains à « court terme ».

En clair, ces opérations sont comme des coups de pied dans une fourmilière étant donné que, selon le rapport, les combattants de l’EI « déplacés » lors de ces dernières « ont la capacité de retourner dans leurs anciennes zones de soutien avec une relative facilité ». Et d’ajouter que certaines zones, comme celle des Monts Hamrin, constituent un « terrain restrictif où Daesh est capable de conserver une puissance de combat ».

La frontière irako-syrienne est un autre point d’attention étant donné qu’elle est loin d’être totalement sécurisée. « L’État islamique se déplace probablement par petits groupes de 20 personnes ou moins afin de réduire le risque de détections et donc […] de capture », estime le rapport. Et d’ajouter que le commandement de la coalition a déclaré que les FSI n’y avaient planifié aucune opération de surveillance au cours du dernier trimestre.

Cela étant, le rapport indique que le Hachd al-Chaabi [Unités de mobilisation populaire], qui fédére des milices chiites, mène aussi des actions contre l’EI. Cependant, précise-t-il, « certains dirigeants et unités » de cette organisation « sont étroitement liés à l’Iran et se concentrent sur la protection des intérêts iraniens en Irak. » Et, selon la DIA [l’agence de renseignement du Pentagone, ndlr], de nombreux membres sont « impliqués dans des activités criminelles telles que l’extorsion de fonds et la contrebande. » Et l’EI ne manque pas d’exploiter cette « activité iranienne en Irak » pour sa propagande auprès des sunnites irakiens.

Plus généralement, un autre point faible des forces irakiennes concerne les capacités ISR [Intelligence, surveillance, reconnaissance]. Si elles disposent de drones MALE [Moyenne Altitude Longue Endurance] CH-4 de facture chinoise, seulement un sur dix [au moins] est opérationnel. A priori, l’indisponibilité de ces appareils serait due à des problèmes de maintenance. Il est aussi problème que la qualité de ces engins soit sujette à caution, dans la mesure où d’autres opérateurs, comme la Jordanie, ont décidé de les retirer du service.

D’une endurance de 14 heures, les CH-4 sont dotés de capteurs électro-optiques et infrarouges, ce qui fourni une capacité de surveillance précieuse… En outre, ils peuvent être armés par des missiles AR-1B.

Les CH-4 ne sont pas le seuls drones utilisés par les FSI à avoir des problèmes… Les ScanEagle de Boeing/Insitu ont aussi des soucis de maintenance et « d’interférence de signaux », a indiqué le rapport. Au cours du dernier trimestre, ces appareils n’ont assuré que deux sorties seulement. Aucune précision sur l’origine de ces « interférence » n’a été donnée…

Les capacités ISR des forces irakiennes reposent donc sur des avions légers Cessna 208 Caravan. Mais des « pénuries ont entraîné une diminution de 50% du nombre de sorties ISR par rapport à la même période de l’année dernière », lit-on dans le rapport. Reste la capacité ISR des chasseurs-bombardiers F-16 IQ irakiens… Mais son impact opérationnel a été « négligeable » étant donné qu’elle en est « à ses débuts » et qu’elle est « extrêmement coûteuse à utiliser. »

La coalition pourrait fournir les capacités ISR qui font actuellement défaut… Mais ces dernières reposent en grande partie sur des moyens américains… Moyens qui ont été détournés, au cours de ces derniers mois, « pour surveiller les activités iraniennes dans la région ».

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