Les armes hypersoniques vont-elles rendre le porte-avions obsolète?

Lors d’une audition dans le cadre d’une mission parlementaire franco-britannique, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], l’amiral Christophe Prazuck, fit part de son scepticisme à l’égard du missile balistique chinois DF-21, décrit depuis plusieurs années comme étant un « tueur de porte-avions ».

« Mettre en avant un missile de nature balistique, qui volerait à une vitesse faramineuse et serait doté d’un autodirecteur me paraît étonnant du fait des phénomènes d’échauffement créés par de tels niveaux de vitesse. […] De plus, guider un objet qui irait à très grande vitesse vers une cible mouvante comme un bateau me paraît plutôt compliqué et, pour tout dire, je n’y crois pas », avait expliqué le CEMM, en estimant que ce DF-21 participait surtout à une « stratégique d’influence ».

Lors de son dernier passage devant les députés, en juillet, l’amiral Prazuck n’a pas eu à répondre sur la menace que feront à terme peser les missiles hypersoniques sur les porte-avions et, plus généralement les bâtiments de surface. La Chine développe ainsi le CH-AS-X-13 chinois, qui, à vocation anti-navire, devrait être mis en oeuvre par des bombardiers Xian H-6. Quant à la Russie, elle travaille sur de tels engins « hypervéloces », tels que le « Zirkon » et le Kh-47M2 « Kinjal ».

Or, de telles questions intéressent la Marine nationale, qui, à terme, devrait disposer d’un nouveau porte-avions quand ces armes hypersoniques seront pleinement opérationnelles. En tout cas, le nouveau chef de l’US Navy, l’amiral Michael Gilday, n’y a pas coupé lors de son audition de « confirmation », menée par le comité des forces armées du Sénat américain.

D’autant plus que certains sénateurs n’ont pas caché leur exaspération face aux surcoûts engendrés par la mise au point du porte-avions USS Gerald Ford, tête de série d’une nouvelle classe de navire et pour lequel 13 milliards de dollars ont déjà été investis. Après avoir eu des soucis au niveau de ses catapultes électromagnétiques, de son dispositif d’arrêt [Advanced Arresting Gear] et de son radar, ses ascenseurs posent désormais problème… Et, en l’état actuel des choses, il n’est pas en mesure d’accueillir le F-35C… D’où les commentaires acerbes de Jim Inhofe, le président de ce comité sénatorial.

Alors que l’US Navy doit mener de front d’autres programmes importants, comme le développement des futurs sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] de la classe Columbia, ces investissements en matière de capacités aéronavales pourraient être réduits à néant si rien n’est fait pour contrer la menace des armes hypersoniques. Tel est l’avis du sénateur [indépendant] Angus King.

« Vous êtes le commandant de l’USS Gerald Ford, alors en patrouille sur la côte Est de l’Islande. Il est tôt le matin. Et vous apprenez qu’un missile hypersonque a été lancé. Vous avez 13 à 15 minutes pour réagir. Le missile vole à 6.000 km/h en dégageant un nuage de plasma qui absorbe les ondes radar. Nous avons un système infrarouge inadéquat. Que faites-vous? », a demandé le sénateur King à l’amiral Gilday, qui s’est trouvé embarrassé pour repondre… [voir vidéo ci-dessus, à 1h23]

Pour illustrer son propos, Angus King a fait un parallèle avec la bataille d’Azincourt, marquée par l’apparition d’une nouvelle tendance : la prédominance des armes à distance [incarnées par l’arc anglais Long Bow, d’une portée de 160 à 250 mètres, avec une cadence de d’une dizaine de tirs à la minute] sur celles dites de mêlée. Or, a-t-il souligné, les États-Unis sont à la traîne dans le domaine des armes hypersoniques, contrairement aux Russes et aux Chinois.

Avec de tels missiles, le « radar est inutile, les capteurs infrarouges sont le seul moyen de les pister ». Et « ils ne se déplacent pas seulement à 6.000 km/h. Ils sont maniables et dnc pas faciles à intercepter », a souligné le parlementaire. Aussi, a-t-il ajouté, « chaque porte-avions que nous possédons peut disparaître lors d’une attaque coordonnée. Et en quelques minutes. Mourmansk [en Russie] n’est qu’à 12 minutes de la mer de Norvège à 6.000 km/h », a-t-il fait valoir.

« Je pense que cela soulève une question sur le rôle du porte-avions si nous ne pouvons pas trouver un moyen de contrer cette menace », a ensuite estimé Angus King, rapporte Defense News. « Je ne veux pas de cible indéfendable d’une valeur de 12 milliards de dollars. Je ne suis pas disposé à dire que le porte-avions est obsolète mais je dis que cette arme [le missile hypersonique, nldr] compromet sa viabilité », a-t-il ajouté. « J’espère donc que vous allez faire comprendre à la Marine, aux agences de recherche et au secteur privé que cela doit être une priorité urgente », a-t-il dit à l’amiral Gilday.

Par ailleurs, le retard pris par les États-Unis [et les Occidentaux en général] dans le développement des armes hypersoniques créé une « situation dangereuse » dans le mesure où l’équilibre de la dissuasion s’en trouve affecté.

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