Berlin exclut de participer à une mission navale sous commandement américain dans le Golfe persique

Étant donné que plus d’un cinquième de la demande de pétrole transite par le détroit d’Ormuz, chaque incident qui s’y produit fait immédiatement flamber le prix du baril. Cela s’est encore vérifié le 13 juin dernier, quand deux pétroliers furent la cible de nouveaux actes de sabotage : le cours de l’or noir grimpa de 4%.

Au total, depuis mai, six pétroliers ont été victimes de sabotage. Et, pour le moment, il n’y aucune certitude absolue sur le commanditaire de ces actions, même si l’Iran fait figure de principal suspect. Du moins, c’est ce qu’affirment les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Arabie Saoudite… ainsi que l’association mutualiste norvégienne DNK.

Principaux concernés, les Émirats arabes unis, proches alliés du royaume saoudien, ont quant à eux fait preuve de retenue… Et une délégation de garde-côtes émiratis a même reçue en Iran pour parler de « coopération frontalière, du trafic des personnes et du trafic illégal ». Ce qui ne s’était plus vu depuis 2013.

Cela étant ces sabotages ont été éclipsés par l’affaire du drone américain abattu par la défense aérienne iranienne ainsi que par la saisie, par l’Iran, de deux pétroliers, dont le MT Riah et le Stena Impero, ce dernier étant immatriculé au Royaume-Uni.

L’arraisonnement de ce pétrolier avait été annoncé par Téhéran, qui avait promis une réponse à l’interception du pétrolier iranien Grace 1 au large de Gibraltar, les autorités britanniques ayant motivé cette action en affirmant que ce navire acheminait du pétrole vers un port syrien, en violation des sanctions imposées par l’Union européenne à la Syrie.

Suite à cela, et avant de quitter ses fonctions de chef de la diplomatie britannique, Jeremy Hunt a proposé la mise en place d’une « mission navale européenne » afin de protéger les navires devant transiter par le détroit d’Ormuz.

Cette proposition était sans doute motivée par les rapports envoyés à Londres par la frégate HMS Montrose, déployée dans le Golfe persique. Selon des propos tenus ce 31 juillet par son commandant, les Iraniens chercheraient à « tester » la détermination britannique. « Ils vont dire que notre présence est illégitime, même si nous sommes dans les eaux internationales en toute légalité. Ils peuvent aussi faire lancer des bateaux à grande vitesse dans notre direction, pour tester nos niveaux d’alerte », a-t-il expliqué sur les ondes de la BBC.

Si de tels procédés ne sont pas nouveaux, leur fréquence s’est en revanche intensifiée. « J’ai eu 85 interactions avec les forces iraniennes au cours des 27 derniers jours, ce qui vous donne une idée de l’intensité », a affirmé le « pacha » de la frégate HMS Montrose.

Quoi qu’il en soit, l’initiative proposée par M. Hunt devait se démarquer d’une coalition internationale que Washington voudrait mettre sur pied pour assurer la liberté de navigation non seulement dans le détroit d’Ormuz mais aussi dans celui de Bab el-Mandeb, qui, permettant d’accéder à la mer Rouge depuis l’océan Indien, est sous la menace des rebelles yéménites Houthis, soutenus par l’Iran.

Cette proposition « ne fait pas partie de la politique des États-Unis de pression maximum sur l’Iran parce que nous restons déterminés à préserver l’accord nucléaire iranien », avait tenu à souligner M. Hunt. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, alla dans ce sens.

« Nous sommes dans la condamnation de cette action [la saisie du Stena Impero, ndlr] mais aussi dans la recherche d’une meilleure sécurisation de la zone maritime du Golfe persique. […] C’est pour cette raison que nous engageons en ce moment une initiative européenne avec les Britanniques, avec les Allemands, pour faire en sorte qu’il y ait une mission de suivi et d’observation de la sécurité maritime dans le Golfe », avait expliqué le patron du Quai d’Orsay, à l’Assemblée nationale.

De leur côté, et alors que M. Hunt a depuis été remplacé par Dominic Raab à la tête du Foreign Office, les États-Unis voudraient que cette « mission européenne » fasse partie de la coalition qu’ils cherchent à mettre sur pied. D’où la pression mise par Washington sur Berlin.

« Nous avons formellement demandé à l’Allemagne de se joindre à la France et à la Grande-Bretagne pour aider à protéger le détroit d’Ormuz et combattre l’agression iranienne », a en effet indiqué, le 30 juillet, Tamara Sternberg-Greller, la porte-parole de l’ambassade des États-Unis à Berlin. « Des membres du gouvernement allemand ont été clairs sur le fait que la liberté de navigation devait être protégée [dans le détroit d’Ormuz]. Notre question est la suivante : protégée par qui? », a-t-elle demandé.

Visiblement, et après que l’Iran a estimé qu’une mission navale européenne dans les eaux du Golfe serait « provocateur », Berlin n’a nullement l’intention de mobiliser des moyens dans le cadre de cette coalition voulue par les États-Unis.

Vice-chancelier et ministre des Finances, le social-démocrate Olaf Scholz, s’est même dit « très sceptique » à l’idée d’une participation allemande. « Beaucoup ont dit que nous voulions discuter avec nos partenaires français et britanniques de la manière d’observer la situation, mais il n’est fait aucune mention d’une mission telle qu’elle a été demandée », a-t-il dit, à l’antenne de la ZDF, ce 31 juillet.

« Empêcher une escalade continue entre l’Iran et les autres acteurs du conflit constitue également une bonne protection pour le transport maritime », a ensuite estimé M. Scholz. « Il faut éviter toute escalade militaire dans la région. Or, une mission de ce genre porterait en elle le risque d’être aspirée dans un conflit plus large. C’est pourquoi je pense que ce n’est pas une bonne idée », a-t-il insisté M. Scholz.

Le Parti social-démocrate [SPD], membre de la coalition gouvernementale allemande, s’oppose, a priori, à toute participation à une mission navale, européenne ou non.

Une « participation à une mission militaire ne relevant d’aucune décision du Conseil de sécurité serait irresponsable », a en effet déclaré, à Der Spiegel, Rolf Mützenich, le chef de file des sociaux-démocrates au Bundestag.

Plus tard, la porte-parole du gouvernement allemand, Ulrike Demmer, a précisé la position de Berlin.

« La priorité doit être donnée, à notre avis, aux efforts diplomatiques […]. Le gouvernement allemand est réticent face à la proposition concrète des États-Unis et c’est pourquoi elle n’a pas proposé d’y participer car l’approche globale de notre politique vis-à-vis de l’Iran diffère nettement de l’approche américaine actuelle [sur le nucléaire iranien, ndlr] « , a déclaré Mme Demmer.

En revanche, a-t-elle poursuivi, le « gouvernement allemand continue naturellement de considérer envisageable la proposition d’une mission de protection maritime de pays européens. » Et d’ajouter : « Comme déjà dit, nous échangeons à ce sujet avec nos partenaires européens, en particulier avec la France et la Grande-Bretagne. »

Photo : Frégate de type F-125 « Bade-Wurtemberg »

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