Les États-Unis éjectent la Turquie du programme F-35 en soulignant la « solidité » de leur relation militaire avec Ankara

Membre de l’Alliance atlantique depuis 1952, la Turquie a fait fi des avertissements que lui avaient lancé les États-Unis au sujet de l’avion de combat F-35A en acceptant, le 12 juillet, la livraison des premiers éléments du système de défense aérienne russe S-400.

Estimant que cet équipement fourni par Moscou ne pouvait qu’être incompatible avec la mise en oeuvre du F-35A de Lockheed-Martin, commandé à 100 exemplaires par Ankara, les autorités américaines avaient prévenu : en cas de livraison de systèmes S-400, la Turquie serait exclue du programme F-35, auquel participent ses industriels du secteur de l’aéronautique, et pourrait même faire l’objet de sanctions, au titre de la loi dite CAATSA [Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act] pour avoir signé des contrats avec des groupes russes de l’armement.

Pour donner du poids à ces avertissements, Washington suspendit la livraison à Ankara du matériel nécessaire à la mise en oeuvre du F-35A et annonça l’arrêt de la formation des pilotes et techniciens turcs si la Turquie ne revenait pas sur sa décision de se procurer des batteries S-400 d’ici le 31 juillet.

La livraison des systèmes russes ayant donc commencé et après quelques jours de flottement, marqués par de propos jugés « conciliants » par le président Trump, lequel a parlé d’une « situation compliquée » et « injuste », Washington a fini par trancher dans le vif.

Cela étant, les tergiversations américaines s’expliquent probablement par la volonté de ménager Ankara, qui occupe au sein de l’Otan. Pays majoritairement musulman dont la position géographique, via les détroits du Bosphore et des Dardanelles, permet de contrôler, voire de verrouiller, l’accès de la flotte russe de la Mer noire à la Méditerranée, la Turquie accueille la base d’Incirlik, le radar d’alerte avancée de Kürecik et le centre de commandement à Izmir [Allied Land Forces Southeastern Europe].

Quoi qu’il en soit, et avec la pression politique mise par le Congrès sur l’exécutif, le couperet est donc tombé. « La décision de la Turquie d’acquérir des systèmes de défense antiaériens russes S-400 rend impossible toute implication permanente dans le F-35 », a annoncé la Maison Blanche, dans un communiqué publié le 17 juillet au soir.

« Le F-35 ne peut pas coexister avec une plate-forme de collecte de renseignements russe qui sera utilisée pour en apprendre davantage sur ses capacités avancées », a-t-elle ensuite justifié.

Cependant, le texte met les formes… « En tant qu’alliés de l’Otan, nos relations sont à plusieurs niveaux et ne sont pas uniquement axées sur le F-35. Notre relation militaire est solide et nous continuerons de coopérer étroitement avec la Turquie, tout en tenant compte des contraintes liées à la présence du système S-400 », a souligné la Maison Blanche.

En réponse, le ministère turc des Affaires étrangères a dénoncé une « démarche unilatérale incompatible avec l’esprit d’alliance », qui « ne repose sur aucune justification légitime. » Cette décision « va inévitablement porter un préjudice irréparable à notre relation », a-t-il ajouté.

« Le fait que notre proposition de créer un groupe de travail avec l’Otan pour discuter de cette question n’ait pas été partagée est l’indicateur le plus évident des préjugés des États-Unis et du manque de volonté de résoudre cette question de bonne foi », a insisté la diplomatie turque, pour qui le partenariat stratégique entre Washington et Ankara doit « aller au-delà des mots, en particulier dans la lutte contre des groupes terroristes tels que Daesh, le PKK, les unités de protection du peuple [YPG, kurdes syriens, ndlr] et le groupe terroriste Güleniste [FETÖ]. »

Plus tard, au Pentagone, la sous-secrétaire à la Défense pour l’acquisition, Ellen Lord, et le sous-secrétaire à la Défense, chargé de la Politique, David Trachtenberg, ont donné quelques explications.

« Une grande partie de la force du F-35 réside dans ses capacités furtives. Par conséquent, donner la possibilité de les détecter compromettrait la sécurité à long terme du programme F-35. Nous cherchons uniquement à protéger la sécurité à long terme du F-35. programme », a ainsi fait valoir Ellen Lord, citée par Defense News. Et d’ajouter : « À ce stade, les Turcs ont pris une décision. Nous avons dit que le F-35 et le S-400 sont incompatibles. Nous allons travailler pour mettre fin à la relation. »

D’ici mars 2020, la participation des industriels turcs au programme F-35 sera « annulée », ce qui devrait coûter 9 milliards de dollars sur la durée du programme. La production des composants concernés sera donc reprise par des entreprises américaines. « Mais l’objectif est de céder une partie de ce travail à d’autres partenaires », fait valoir le Pentagone.

En outre, Lockheed-Martin a déjà anticipé le mouvement. « Au cours des derniers mois, nous nous sommes efforcés d’établir des sources d’approvisionnement alternatives aux États-Unis afin de nous adapter rapidement à la fin des contributions actuelles de la Turquie au programme. Ces actions limiteront tout impact futur sur la production […] et nous restons sur la bonne voie pour respecter notre engagement de livrer 131 F-35 cette année », a expliqué l’industriel.

Reste maintenant à voir quels seront les « clients » qui hériteront des F-35A destinés aux forces aériennes turques et si Washington sanctionnera Ankara au titre de la loi CAATSA, comme le réclament certains élus du Congrès.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]