F-35 : L’administration américaine tergiverse après la livraison des premiers éléments du système S-400 russe à la Turquie

Les autorités américaines avaient prévenu : la Turquie ne pourra pas utiliser le système de défense aérienne russe S-400 et l’avion de combat F-35A, dont elle a commandé 100 exemplaires. Et, pour donner plus de poids à son avertissements, elles ont décidé de suspendre la livraison aux forces turques des équipements nécessaires à la mise en oeuvre de ces appareils conçus par Lockheed-Martin et de mettre un terme à la formation des pilotes et des techniciens turcs assurée par l’US Air Force.

En outre, la livraison de batteries S-400 exposerait Ankara à des sanctions américaines, en vertu de la loi dite CAATSA [Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act], laquelle prévoit des mesures contre les entités passant des contrats avec l’industrie russe de l’armement.

Pour les États-Unis comme pour l’Otan, la cohabitation du système S-400 avec le F-35A compromettrait les liaisons de données tactiques de l’avion de combat américain [alors que c’est l’un de ses points forts] et permettrait à la Russie d’en savoir davantage sur ses caractéristiques liées à la furtivité.

Mais la détermination d’Ankara à se procurer les systèmes russes est restée inébranlable. Et les premiers composants des S-400 destinés aux forces turques ont été livrés le 12 juillet. Ce qui n’a étonnamment donné lieu à aucun commentaire particulier de la part de Washington, le Pentagone ayant même reporté, puis annulé une conférence de presse devant aborder ce sujet.

Il aura donc fallu attendre quatre jours pour avoir une réaction américaine officielle. Et elle aura été surprenante dans la mesure où le président Trump a adopté une attitude plutôt conciliante à l’égard d’Ankara.

« J’ai de bonnes relations avec le président Erdogan », a-t-il dit. « Honnêtement, c’est une situation très complexe » et « injuste », a ensuite estimé le chef de la Maison Blanche, avant d’en imputer la responsabilité à Barack Obama, son prédécesseur.

« Parce qu’ils ont un système de missiles fabriqué en Russie il leur est interdit d’acheter » les F-35, a ensuite résumé M. Trump. « Je dirais que Lockheed n’est pas vraiment content. C’est beaucoup d’emplois », a-t-il continué. « L’administration Obama ne voulait pas leur vendre des missiles Patriot », […] Cela a duré très longtemps » et quand Washington a changé d’avis, « la Turquie avait déjà signé avec la Russie et payé beaucoup d’argent », a-t-il ensuite raconté.

Seulement, les choses ne se sont pas exactement passées ainsi. En 2009, l’administration avait recommandé au Congrès d’accepter un « possible » contrat portant sur la livraison à la Turquie de 13 batteries de défense aérienne Patriot pour près de 8 milliards de dollars. Mais comme Ankara exigeait des transferts de technologie, l’affaire n’avait pas pu être conclue.

Par la suite, la Turquie lança l’appel d’offres T-Loramids, avec les candidatures du S-300 russie, du Patriot PAC-3 américain, du SAMP/T du consortium franco-italien Eurosam et du Hongqi-9/FD 2000 chinois. Pour des raisons de coût et de transfert de technologies, les autorités turques choisirent ce dernier. Ce qui, à l’époque, provoqua des réactions négatives au sein de l’Otan, pour les mêmes raisons avancées que pour l’achat de batteries S-400.

Les négocations avec Pékin s’étant mal passées, Ankara abandonna son projet d’acquérir le système Hongqi-9/FD. Et opta donc pour le S-400 russe, dans le cadre d’un spectaculaire rapprochement diplomatique avec Moscou. Dans le même temps, et à sa demande, l’Otan avait déployé des batteries de défense aérienne le long de la frontière turco-syrienne…

Dans cette affaire, l’exécutif américain ne devrait pas avoir d’autre choix que de prendre des sanctions à l’égard de la Turquie, conformément à la loi CAATSA. Et cela, même si cette dernière prévoit des dérogations. En outre, le Congrès veillera au grain.

« La loi a été rédigée de manière très stricte. […] Un terrain d’entente sera difficile à trouver parce que nous avons expliqué à maintes reprises que si la Turquie achète le S-400, elle ne pourra pas disposer du F-35. Et le CAATSA suggère également que des sanctions doivent être appliquées », a fait valoir le sénateur démocrate Jack Reed, un membre du comité sénatorial des Forces armées, auprès de Defense News. Et cette opinion est partagée autant par les républicains que par les démocrates.

En théorie, le président Trump peut accorder une dérogation à la Turquie. Mais à la condition, précise la loi CAATSA, qu’il puisse certifier que l’achat de matériel russe ne mettra pas en danger les alliances et les opérations multilatérales auxquelles les forces américaines participent, n’augmentera pas le risque de compromettre les systèmes de défense américains et n’aura pas un impact négatif sur la coopération en matière de défense avec le pays concerné.

En outre, le chef de la Maison Blanche devra aussi s’assurer que le pays susceptible de bénéficier d’une telle dérogation à la loi CAATSA prend des mesures pour réduire la part d’équipements militaires russes au sein de ses forces armées et/ou qu’il coopére sur d’autres « questions cruciales pour la sécurité nationale des États-Unis ». Ces dispositions avaient été prises à la demande de James Mattis, l’ex-chef du Pentagone, afin de ne pas pénaliser d’éventuel contrats d’armement avec l’Inde.

Cela étant, la loi prévoit également un large éventail de sanctions… Ce qui laisse un peu de marge de manoeuvre à l’exécutif américain. Seulement, après les déclarations du Pentagone et du Congrès, on voit mal comment M. Trump ne pas prendre des mesures à la hauteur de l’enjeu, sauf à prendre un risque politique.

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