Le ministère des Armées va recruter des auteurs de science fiction et des futurologues pour plancher sur les technologies « disruptives »

Le 11 juillet, l’Agence de l’innovation de Défense [AID] a présenté un « Document d’orientation de l’innovation de Défense » [DOID] qui précise la stratégie du ministère des Armées en la matière ainsi que les principaux axes d’effort qu’il entend suivre lors des prochaines années.

« L’innovation répond en premier lieu à un enjeu opérationnel : garantir à nos armées de manière pérenne et réactive la supériorité opérationnelle qui leur permettra de défendre nos intérêts vitaux et d’assurer la sécurité des Français, sur notre sol comme en dehors de nos frontières, tout en se maintenant dans le groupe des puissances militaires qui comptent dans le monde », fait valoir l’AID.

Sans trop entrer dans les détails relatifs à l’organisation et aux processus qui permettront de capter et d’encourager les innovations au sein du ministère des Armées, le document lève le voile sur les domaines capacitaires jugés prioritaires pour l’avenir.

Ainsi, on trouve dans la liste figurant dans ce DOID des thèmes désormais familiers, comme le combat collaboratif, l’intelligence artificielle [vue comme un moyen permettant d’exploiter rapidement des « situations tactiques complexes » en accélérant les tâches de détection-reconnaissance-identification], la robotique, le big data, les armes hypersoniques, l’informatique quantique ou encore l’amélioration de la protection et des senseurs. Mais pas seulement.

En effet, au chapitre du combat terrestre, il est question de « technologies de guidage et de miniaturisation » qui « permettront d’améliorer la précision des obus de char, d’artillerie ou de mortier
et de faire progresser la capacité TAVD [Tir au-delà de la vue directe] ». En outre, des travaux sur les « technologies à énergie dirigée [laser, ndlr] complèteront ces capacités, notamment pour faire face aux nouvelles menaces de type drone. »

Il s’agit, y est-il expliqué, de « poursuivre les efforts de transformation du combat de contact aéroterrestre en préparant notamment les prochains incréments du programme SCORPION » ainsi que les « les futurs programmes structurants dans le domaine terrestre tel que le Main Ground Combat System » [MGCS – char du combat du futur].

Des armes à énergie dirigée, il en est aussi question pour le combat naval. De même que « l’artillerie électrique », c’est à dire le canon électromagnétique. Ce qui nécessitera des innovations relatives à l’énergie [architecture électrique, stockage massif de haute intensité…]. Comme pour les capacités terrestres, l’effort portera également sur le combat collaboratif, la supériorité informationnelle et la robotique. Des thèmes, là encore, communs au domaine aérien puisqu’ils sont à la base du SCAF [système de combat aérien du futur].

À noter que le DOID parle aussi d’opérations « en coopération drones-hélicoptères », grâce à un « démonstrateur visant à développer des briques qui pourront être réutilisées sur l’ensemble des plateformes. »

Si les travaux prévus pour les capacités en matière de renseignement, de réseaux, de cyber et de systèmes de commandement et de contrôle sont évoqués de façon générale, le chapitre dédié à l’espace évoque plus précisément le « développement d’une solution nationale de radionavigation couplant les constellations GPS et Galileo. »

En réalité, il s’agit du programme OMEGA [Opération de Modernisation des Equipements GNSS des Armées], dont le principe a récemment été décidé par Florence Parly, la ministre des Armées. Il vise en effet à développer une capacité autonome de géolocalisation pour l’ensemble de systèmes d’armes [avions, navires, etc] en s’appuyant sur le système européen Galileo et les satellites américains GPS III. Et cela, afin de se prémunir contre le brouillage des données de géolocalisation.

Justement, sur ce point précis, le DOID parle d’étudier des « solutions alternatives aux satellites pour le positionnement et la navigation. » A priori, il s’agit d’aller au-delà de système de navigation inertiels. Toujours dans le domaine spatial, le document confirme la recherche de « moyens d’action dans l’espace pour contrer une menace. »

La logistique est évidemment un autre domaine propice à la mise en oeuvre de solutions innovantes. Sans surprise, là encore, le DOID cite les objets connectés, la maintenance prédictive, l’impression 3D, la réalité augmentée et les « textiles intelligents » mais aussi la gestion optimisée en eau et en énergie ainsi que la réduction des déchets en opération.

En matière de santé, le DOID ne parle pas de « soldat augmenté ». Un sujet évoqué par le général Jean-Pierre Bosser, désormais chef d’état-major de l’armée de Terre « sortant », lors de sa dernière audition parlementaire.

« La question est de savoir si on imagine demain un soldat augmenté, à qui nous allons faire prendre des pilules et des produits pour qu’il puisse mener la guerre jour et nuit, ou s’il s’agit plutôt du soldat non diminué. Nous percevons, avec l’aide des chercheurs de l’Institut de recherche biomédicale des armées [IRBA] qui travaillent pour l’armée de Terre, que nos soldats pourraient encore gagner en efficacité, à trois conditions : avoir un sommeil satisfaisant, une alimentation de qualité et une activité physique parfaitement adaptée à la préparation opérationnelle », avait-il expliqué aux députés.

Mais il n’est pas explicitement question de « soldat non diminué » dans le DOID. Ce dernier parle surtout de travaux qui « viseront en premier lieu à identifier et caractériser les risques pour la santé des environnements d’emploi des armées. » Et d’ajouter : « Les progrès des techniques d’hygiène et de protection contre les agents infectieux, les innovations sur l’ergonomie des systèmes d’armes et sur la sécurité des missions, participent également à cette mission de prévention. »

Il s’agira également d’améliorer, s’agissant des pratiques de soins, d’améliorer le diagnostic et la prise en charge, via des « techniques robustes et facilement déployables, avec le recours éventuel à des acteurs distribués en réseau, à la télémédecine et la robotique. » Et de préciser que « les innovations en matière de reconstruction tissulaire et de réhabilitation en période postcritique seront également recherchées. »

Mais le suivi des militaires pourrait évoluer significativement à l’avenir étant donné que, indique le DOID, l’évaluation de leurs « performances physiques et cognitives » ainsi que « les risques auxquels ils sont exposés au cours de la carrière » sera un « axe d’effort » qui permettra de « déterminer l’aptitude à l’emploi, d’adapter les conditions d’exercice et de documenter la décision d’aptitude [initiale ou après un épisode pathologique].

Enfin, et au-delà de ces technologies dont il est déjà beaucoup question par ailleurs, il s’agit pour l’AID d’orienter l’effort en matière d’innovation en fonction de scénarios de « disruption ». Pour cela, une équipe rassemblant des auteurs de science fiction et des futurologues, va être constituée.

Appelée « Red Team », cette « cellule », composée de « 4 à 5 personnes » aura la tâche d’échafauder « des hypothèses stratégiques valides, de nature à bouleverser les plans capacitaires. » Il s’agira ainsi d’apporter une réflexion sur les « conséquences stratégiques de l’arrivée de technologies disruptives » et de définir les « usages asymétriques possibles des technologies par des éléments malveillants étatiques ou non étatiques. »

L’existence cette « Red Team » sera publique. En revanche, ses travaux resteront confidentiels « compte tenu de leur sensibilité et pour se prémunir d’inspirer de potentiels adversaires », précise le document.

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