Avec le nouveau sous-marin « Suffren », la Force océanique stratégique va faire un bond technologique et capacitaire

Ce 12 juillet est un grand jour pour la Marine nationale en général et la Force océanique stratégique [FOST] en particulier puisqu’il marquera le lancement officiel, à Cherbourg, du « Suffren », le premier des six sous-marins nucléaire d’attaque [SNA] prévus par le programme « Barracuda », lancé en 1998 par la Direction générale de l’armement [DGA] et dont le coût [développement et construction] est estimé à 9,5 milliards d’euros.

Ces sous-marins remplaceront les SNA de la classe Rubis, dont le premier exemplaire – le Rubis – a été mis en service en 1983. D’ailleurs, le SNA Saphir vient de rejoindre Cherbourg en vue de son désarmement.

Par rapport aux SNA de la classe Rubis, ceux de type Barracuda permettront à la FOST de faire un bond technologique et capacitaire, étant donné les innovations et les armes qu’ils embarqueront.

Ainsi, le « Suffren » sera deux fois plus imposant que le « Rubis », avec un déplacement en surface de 4.700 tonnes et de 5.300 tonnes en plongée. D’une longueur de 99 mètres [soit presque l’équivalent d’un terrain de football] pour un diamètre de 8,8 mètres, il sera mis en oeuvre par un équipage mixte de 65 marins. Pouvant rester en plongée à une profondeur supérieure à 300 mètres, son autonomie [70 jours] sera accrue de 25% par rapport aux SNA d’ancienne génération. En outre, son constructeur, Naval Group, assure que sa disponibilité sera de 270 jours par an grâce à une maintenance « optimisée ». L’industriel indique qu’une interruption pour entretien et réparation [IPER] sera toutefois nécessaire tous les 10 ans environ.

Pour évoluer dans les profondeurs, le « Suffren » est doté d’un réacteur nucléaire à eau pressurisée, qui, dérivé des chaufferies K-15 équipant le porte-avions Charles de Gaulle et les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] de la classe Triomphant, utilise de même uranium faiblement enrichi que les centrales nucléaires françaises. À ce sujet, précise Naval Group, « 1 g d’uranium 235 permet de produire plus d’énergie qu’une tonne d’hydrocarbures ». Enfin, il dispose également de deux turbines de propulsion, de deux turbo-alternateurs et de deux moteurs électriques.

S’agissant des évolutions technologiques, l’intelligence artificielle [IA] sera présente à bord du Suffren. Certes, comme l’a souligné l’miral Bernard-Antoine Morio de l’Isle, le commandant de la FOST, lors d’une récente audition parlementaire, elle l’est déjà sur les sous-marins.

« C’est dans le contrôle commande des réacteurs qu’elle est tout d’abord apparue. Lors d’une avarie sur le réacteur, le ‘contrôle commande’ propose des options pour revenir à l’état sûr. Il peut y avoir également des actions correctrices automatiques dont l’opérateur suit le déroulement », a en effet expliqué l’amiral Morio de l’Isle. Et pour le Suffren, a-t-il précisé, l’IA « concernera aussi la sécurité plongée du bateau. »

Le système d’exploitation du Suffren permettra « de commander et de surveiller, à distance, la totalité des installations [chaufferie, propulsion, électricité, sécurité plongée systèmes auxiliaires, stabilité] », explique Naval Group.

Il sera ainsi le « premier sous-marin a proposé un tel niveau d’automatisation », l’équipage étant en mesure de « conduire » le navire et de « gérer la vie à bord, à distance », depuis deux pupitres, dont « le poste de conduite propulsion [PCP], dédié à la conduite de l’usine électrique, de la chaufferie et de la propulsion, et le « poste central navigation opérations » [PCNO], dédié au contrôle et au commandement du sous-marin.

Doté d’un système de combat entièrement digitalisé, le Suffren sera dépourvu d’un équipement jusqu’alors considéré comme étant une caractéristique des sous-marins. Exit, donc, le périscope… remplacé par un mât optronique de veille et un mât optronique d’attaque non-pénétrant, munis de caméras jour haute définition, infrarouge et à intensification de lumière. Cela lui permettra d’observer la surface de jour comme de nuit.

Doté de liaisons de données tactiques assurant son interopérabilité et transmises par un système de communications modernisé, ce système de combat « intègre de nombreux sous-systèmes [sonar, radar, navigation, armes] assurant des capacités de veille et de lutte au-dessus et au-dessous de la surface de la mer », assure Naval Group. Enfin, le Suffren aura une manoeuvrabilité accrue, grâce aux barres en X de son « appareil à gouverner ».

Ces évolutions technologiques ouvrent le champ des possibles en matière capacitaire. La discrétion étant fondamentale dans le combat sous-marin, le Suffren, malgré sa masse et sa longueur, et grâce à un système de « pompe hélice », il sera dix fois plus silencieux que les SNA de la classe Rubis. Dans le même temps, la performance de ses sonars sera quintuplée… Un atout de taille quand on sait que les sous-marins en service sont toujours de plus en plus nombreux [il y en aurait 450 aujourd’hui] tout en étant plus performants.

Le Suffren sera aussi optimisé pour les opérations spéciales, grâce à son « Dry Deck Shelter » [hangar de pont], qui est une sorte de sas où sera logé le propulseur sous-marin de troisième génération [PSM3G] qui, utilisé par le commando marine Hubert, peut emporter une dizaine de nageurs de combat, pilote compris.

Imaginé il y a plus de 10 ans par le commando Hubert et produit par ECA Group, le PSM3G permettra d’infiltration discrète de nageurs de combat. « C’est un véritable outil anti-déni d’accès. […] Il y a très peu de nations qui possédent ce type de vecteur et maîtrisent la capacité globale du triptyque PSM-DDS-SNA. Les capacités opérationnelles du PSM3G sont révolutionnaires par rapport à l’actuel PSM2G », assurait, en décembre 2017, la Marine nationale.

Par ailleurs, ce « Dry Deck Shelter » autorisera la mise en oeuvre de drones sous-marins.

Mais le bon capacitaire le plus important concerne l’action vers la terre, avec les missiles de croisière navals [MdCN] que pourra emporter le Suffren, ce qui fera de lui le premier sous-marin français à être dotée d’une « capacité stratégique de frappe dans la profondeur ». En outre, pouvant emporter deux fois plus de munitions qu’un SNA de la classe Rubis, il sera en mesure de mettre en oeuvre des torpilles lourdes F-21 et des missiles antinavires SM-39 Exocet.

Le développement et la construction du Suffren [qui compte 700.000 composants], aura exigé plus de 70 millions d’heures de travail à Naval Group et à TechnicAtome ainsi qu’à la centaine de sous-traitants et PME impliqués dans ce programme. Sans oublier le travail effectué par la DGA et la Direction des Applications Militaires [DAM] du Commissariat à l’énergie atomique [CEA].

D’ailleurs, la complexité d’un tel sous-marin a donné lieu à quelques retards… le Suffren ayant dû initialement être lancé en 2017. Ce qui a contraint la Marine nationale à prolonger la vie opérationnelle du Rubis. Il y a trois ans, Laurent Collet-Billon, alors Délégué général pour l’armement, avait évoqué un « problème de qualité du travail » pour expliquer ce contre-temps.

Quoi qu’il en soit, le Suffren entamera ses essais au premier semestre 2020. Et sa mise en service fera entrer la FOST dans une nouvelle ère… qui devrait durer une bonne quarantaine d’années.

Photos : 1/ Naval Group 2/ Marine nationale

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