Action de l’État en mer : La Cour des comptes veut étendre les pouvoirs de la Marine nationale

L’Action de l’État en mer [AEM], au titre de laquelle la Marine nationale tient un rôle évidemment prépondérant, donne « globalement satisfaction », estime la Cour des comptes, dans un référé publiée ce 17 juin. Pour autant, il y aurait quelques pistes à étudier pour en améliorer l’efficacité.

Ainsi, les magistrats de la rue Cambon ont formulé huit recommandations à cette fin. L’une d’entre-elles consiste mettre en place dans les collectivités d’outre-Mer un dispositif analogue à celui qui est en vigueur en Métropole, afin de gager en lisibilité et en efficacité.

Pour rappel, pour les trois façades maritimes du territoire métrpolitain, un préfet maritime, qui exerce une autorité tant civile que militaire, a la main sur les moyens que met la Marine nationale pour les missions relevant de l’AEM. Tel n’est pas le cas outre-Mer, avec « des responsabilités réparties sur deux têtes : le préfet qui est délégué du gouvernement pour l’action de l’État en mer et le commandant de zone maritime qui l’assiste, mais n’est pas son adjoint. »

Aussi, poursuit la Cour des comptes, « en cas de crise maritime majeure, elle ne présenterait pas les mêmes garanties d’efficacité car le préfet, qui est une autorité civile, ne peut, contrairement au préfet maritime, engager les forces navales sans délai. Il n’est pas non plus l’interlocuteur le plus légitime pour mettre en place la coordination avec les marines des États étrangers entourant les collectivités d’autre-mer, qu’exigerait la gestion d’une crise maritime. »

Cependant, dans sa réponse, le Premier ministre, Édouard Philippe, n’y est pas favorable. « L’application de cette recommandation remettrait profondément en cause les équilibres actuels en instituant localement un double commandement, potentiellement source de concurrence, sur des territoires aux échelles d’intervention incomparables avec la métropole », a-t-il expliqué.

Par ailleurs, constatant les « retards pris dans les programmes de remplacement des patrouilleurs de haute mer et des avions de surveillance maritime », lesquels ont « pour conséquence des réductions de capacité de la Marine nationale, particulièrement préoccupantes outre-mer », la Cour des comptes estime qu’une telle situation pourrait être évidée par « l’établissement d’un schéma directeur de la ‘fonction garde-côtes’, qui permettrait une programmation cohérente de l’acquisition des moyens par les différentes administrations concourant à l’action de l’État en mer. »

Sur ce point, la Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25 prévoit le renouvellement des patouilleurs de la Marine nationale dans le cadre du programme BATSIMAR. Ainsi, 6 unités seront livrées pour l’outre-Mer d’ici 2024 et 10 patrouilleurs de haute mer seront commandé, dont deux seront livrés d’ici 2025.

Mais sur le plan juridique que la Cour des comptes a formulé des recommandations de bon sens, dont certaines… sont déjà mises en application.

« Dans la mer territoriale française, la Marine nationale exerce la police des pêches et de l’environnement mais n’est pas habilitée, contrairement aux douanes et à la gendarmerie maritime, à constater les infractions relatives à la lutte contre le narcotrafic, l’immigration illégale et le brigandage maritime », souligne l’étude de la Cour des comptes.

Aussi, estime-t-elle, il est « indispensable, pour lutter contre ce type d’infractions, d’étendre à la Marine nationale les compétences de police en mer territoriale » d’autant plus que cela « mettrait fin également à une situation paradoxale dans laquelle la Marine nationale peut intervenir en mer territoriale étrangère pour lutter contre le trafic de stupéfiants en vertu de certaines conventions internationales comme l’accord de coopération régionale de San José de 2003 , alors même qu’elle ne dispose pas de telles
prérogatives dans les eaux territoriales françaises. »

Or, dans sa réponse à ce référé de la Cour des comptes, le Premier ministre a fait remarquer qu’une telle disposition a été prise par le gouvernement en mai dernier, par l’ordonnance n°2019-414 modifiant la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994 relative « à la lutte contre la piraterie et aux modalités de l’exercice par l’Etat de ses pouvoirs de police en mer » ainsi que par le décret n° 2019-415.

En revanche, tel n’est le cas d’une autre recommandation faite par la Cour des comptes. En effet, cette dernière estime que la Marine nationale doit pouvoir disposer de nouveaux outils techniques et juridiques pour ses missions relevant de l’AEM.

« Des évolutions sont nécessaires pour permettre l’accès de la Marine nationale aux fichiers biométriques de la police nationale à des fins de renseignement, de protection ou à la demande d’un État étranger ou de l’Union européenne pour la lutte contre le narcotrafic, le terrorisme, ou en cas de recueil de personnes à bord des bâtiments de la Marine nationale [naufragés, migrants, ressortissants évacués] », lit-on dans le référé.

Qui plus est, « les pillages réguliers de la mer territoriale et de la ZEE en Nouvelle-Calédonie ou dans le canal du Mozambique par des flottilles étrangères ravitaillées de l’extérieur, justifient que des dispositifs juridiques appropriés soient mis en place pour autoriser le droit de poursuite du navire-mère qui travaille hors ZEE de concert avec un autre navire violant les lois de l’État côtier », fait valoir la Cour des comptes.

Enfin, les magistrats plaident en faveur d’une modification du Code de procédure pénale pour que la Marine nationale puisse bénéficier de « de l’affectation gratuite des biens saisis, essentiellement des navires » [au même titre que la gendarmerie, la police et les douanes, ndlr].

Dans sa réponse, le Premier ministre s’est dit ouvert à ces suggestions. Mais leur mise en pratique doit se faire en prenant quelques précautions, a-t-il souligné.

« La modification des textes et la définition d’un processus exact de recours à la biométrie par la Marine nationale recueillent mon approbation de principe. Mais la sensibilité du sujet
nécessite la constitution préalable d’un groupe de travail réunissant les expertises du ministère de l’intérieur, du ministère de la justice, du ministère des armées et du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale [SGDSN] », a expliqué M. Philippe, avant d’annoncer que ce groupe de travail « sera constitué dans les prochaines semaines ».

Même chose pour le « droit de poursuite » d’un navire-mère hors de la zone économique exclusive. Le chef du gouvernement y est également favorable mais à la condition qu’une réflexion soit conduite avec le ministère des Affaires étrangères pour préciser le « vecteur juridique adapté car les textes organisant ce droit sont de niveau international et peuvent relever de la compétence des organisations régionales de gestion des pêches. »

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