Lieutenant Jacques Joubert des Ouches, disparu au large d’Utah Beach, le 6 juin 1944

Contrairement à ce que suggèrent bon nombre de commentaires faits à l’occasion des cérémonies du 75e anniversaire de l’opération Overlord, les 177 fusiliers-marins du commando Kieffer ne furent pas les seuls Français « en uniforme » à participer au Débarquement en Normandie, qui mobilisa 156.000 soldats alliés.

En effet, dans la nuit du 5 au 6 juin, 4 sticks de parachutistes français [4e SAS, ex-4e Bataillon d’infanterie de l’Air devenu 2e Régiment de chasseurs parachutistes] furent largués en Bretagne pour encadrer les maquis locaux. Et plusieurs navires des Forces navales françaises libres appuyèrent les opérations de débarquement sur les plages normandes, dont les croiseurs Georges Leygues et Montcalm à Omaha Beach ainsi que le torpilleur La Combattante, à Juno Beach.

Dans les airs, les Forces aériennes françaises libres [FAFL] ne furent pas en reste. Dès l’aube du 6 juin, les Halifax du groupe Guyenne bombardèrent les défenses côtières allemandes de Maisy, lesquelles « couvraient » les secteurs d’Omaha Beach et d’Utah Beach. Peu après, le groupe Lorraine répandait un rideau de fumée pour aveugler l’ennemi. Mais l’un de ses Douglas ne revint pas de cette mission tant audacieuse que dangereuse : le sous-lieutenant Canut (navigateur) et les sergents Boissieux (pilote) et Henson y laissèrent la vie.

Plusieurs unités des FAFL furent engagées durant cette journée [ainsi que les 15 pilotes français « détachés » au sein de squadrons de la Royal Air Force, comme l’as Pierre Clostermann ou encore le futur général Jacques Andrieux]. Ainsi, les groupes de chasse Île-de-France, Alsace, Cigognes et Berry participèrent aux opérations dans les cieux normands.

Les Spitifire du Berry à décollèrent de leur base de Shoreham dès les premières heures de l’opération Overlord pour assurer la couverture aérienne d’Utah Beach. L’un d’entre eux était piloté par le lieutenant Jacques Joubert des Ouches.

Né en le 2 mai 1920 à Meudon, ce fils de général s’engage à 19 ans au sein de l’armée de l’Air comme élève pilote de chasse. Il est affecté à l’École de pilotage n°23 de Morlaix quand, le 17 juin 1940, le maréchal Pétain dit aux Français, le « coeur serré », qu’il « faut cesser le combat. » Mais le jeune aviateur ne l’entend pas ainsi et s’embarque, le lendemain, avec ses camarades, à bord d’un langoustier pour rejoindre un « pays qui continue la lutte », c’est à dire l’Angleterre.

Engagé au sein des FAFL, Jacques Joubert des Ouches est d’abord affecté au Groupe de Combat n°1. Il prend part à l’opération de Dakar [septembre 1940] et à celle de Douala. Puis, en novembre, après avoir été promu caporal-chef, il reprend son entraînement à Camberley, en vue de rejoindre un squadron de la Royal Air Force.

Nommé sous-officier puis aspirant en février 1942, il est successivement au 61 Operationnal Training Unit, au 87 Squadron puis avec le 232 Squadron, avec lequel il prend part à l’opération Jubilee [Dieppe, août 1942]. En décembre de la même année, il endommage deux Focke Wulf 190 au-dessus de la Manche.

En 1943, promu lieutenant, Jacques Joubert des Ouches est affecté comme moniteur à l’école de chasse Meknès [Maroc]. Mais, voulant avant tout en découdre, il n’y restera pas longtemps. En ayant sans doute fait jouer ses relations, il parvient à se faire muter au groupe de chasse Berry, alors en formation à Alger. Puis, en février 1944, cette unité est transférée au Royaume-Uni, précisément à Ayr, en Écosse.

Titulaire, à 24 ans, de la Croix de Guerre avec 5 palmes, comptant 220 heures de vol sur avion de guerre et après avoir participé à 160 missions offensives, le lieutenant Joubert des Ouches décolle donc de Shoreham en direction de la pointe du Contentin.

La formation du Berry survole le secteur assigné aux aviateurs français depuis 45 minutes quand le moteur du Spitfire du lieutenant Joubert des Ouches commence à cafouiller. Son coéquipier raconte, Félix Boyer de Bouillane, raconte [*] :

Nous étions alors à une hauteur de 2.500 pieds. Mais son appareil commençait à perdre de l’altitude. Comme j’étais près de lui, je pus le voir distinctement ouvrir le ‘hood’ et accomplir les différentes opérations qui précèdent le saut. Sa vitesse baissait rapidement, et bien que j’eûs réduit u maximum, je commençais à la distancer. Aussi, comme c’était la seule méthode, je fis rapidement un virage serré, mais ensuite je cessai de le voir à travers les nuages qui couvraient environ les quatre cinquième du ciel. Je piquai dans l’espoir de le revoir au-dessous des nuages ou à la surface de la mer. L’ensemble ne dura pas plus de deux minutes et le dernier point où je le vis était à environ 2 miles au nord de Saint-Marcouf. Environ 3 minutes après le dernier message du lieutenant Joubert, le capitaine Guizard l’appela sur Bouton-C mais ne reçut pas de réponse. Je patrouillai à une hauteur d’environ 1.000 pieds sur le secteur, d’après mes estimatios, il devait se trouver.

Mais, malheureusement, plus personne ne devait revoir le lieutenant Joubert des Ouches… Dans une lettre écrite à ses parents, le 5 juin, le jeune officier, qui sera fait Compagnon de la Libération à titre posthume, avait eu ces mots prémonitoires. « C’est le grand jour, pensez à nous. Je vous remercie pour l’éducation que vous m’avez donnée. Je ne regrette rien. Après la victoire, ne nous oubliez pas. »

Outre le lieutenant Joubert des Ouches, le sous-lieutenant Bernard Canut [26 ans] et les sergents Boissieux [22 ans] et Henson [20 ans], douze Français tombèrent pour leur pays, ce 6 juin 1944 : Émile Bouétard [28 ans, 4e SAS] ainsi que, parmi le commando Kieffer, Raymond Dumenoir [32 ans], Raymond Flesch [24 ans], Jean Rousseau [23 ans], Émile Renault [22 ans], Paul Rollin [20 ans], Jean Létang [23 ans], Marcel Labas [22 ans], Augustin Hubert [26 ans], Jean Lemoigne [31 ans], Robert Lion [35 ans].

[*] Les Français du Jour J – Benjamin Massieu – Éditions Pierre de Taillac

Photo : 1/ Spitfire LFXVI RAF 345Sq [groupe Berry] 2/ LTN Joubert des Ouches (c) Ordre de la Libération

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