L’équation du char franco-allemand du futur reste (très) compliquée à résoudre

L’idée de développer un nouveau char franco-allemand ne paraissait simple sur le papier quand elle fut annoncée, en juillet 2017. Il suffisait, en effet, de confier ce projet à KNDS, la co-entreprise qui, réunissant Krauss-Maffei Wegmann et Nexter, est détenue à parts égales par la famille Bode-Wegmann et Giat Industries [c’est à dire l’État français].

D’autant plus que KNDS dispose de toutes les compétences pour mener à bien ce projet, appelé MGCS [Main Ground Combat System] dans la mesure où les savoir-faire de Nexter et de Krauss-Maffei Wegmann sont complémentaires.

« KNDS a été créé […] avec l’objectif stratégique d’en faire le maître d’œuvre naturel du MGCS, en rassemblant le meilleur de la maîtrise d’œuvre terrestre des deux pays », a ainsi rappelé Stéphane Mayer, le Pdg de Nexter, lors d’une récente audition à l’Assemblée nationale.

Seulement, les choses se passent rarement comme on le voudrait. Et l’équation du MGCS présente au moins trois inconnues qu’il faudra cependant rapidement déterminer afin de pouvoir lancer rapidement la première phase de recherche et technologie [R&T].

La première inconnue, selon M. Mayer, concerne la définition des des capacités souhaitées par l’armée de Terre et son homologue allemande. « Plus les besoins sont proches, plus les systèmes des deux pays sont identiques, meilleure est la coopération. Il s’agit donc de rechercher la convergence la plus forte possible », a résumé le Pdg de Nexter.

Or, cela ne va pas nécessairement de soi. Le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], le général Jean-Pierre Bosser, avait ainsi souligné qu’il ne fallait pas « minimiser les difficultés » sur ce point, étant donné les approches différentes dans ce domaine de part et d’autre du Rhin. Pour autant, a rassuré M. Mayer, « d’importants progrès ont été accomplis. »

La seconde inconnue porte sur la politique en matière d’exportation. Un sujet hautement sensible en Allemagne, d’autant plus qu’il fait l’objet d’une « politisation » croissante tout en étant teintée d’une certaine hypocrisie… Sur ce sujet, Paris voudrait que soit adoptée une règle dite « de minimis ». En clair, Berlin ne pourrait pas s’opposer à une vente dès lors que le matériel exporté contient, par exemple, seulement 20% de composants allemands. Pour le moment, ce dossier peine à avancer.

Mais là n’est pas le plus difficile. Du moins pour ce qui concerne le MGCS. Ainsi, comme la maîtrise d’ouvrage du Système de combat aérien du futur [SCAF] a été confiée à la France, l’Allemagne a hérité de celle du futur char de combat. Quant à la maîtrise d’oeuvre, elle sera à parts égales entre les deux pays. Et Paris n’entend pas y déroger, comme l’a encore rappelé Florence Parly, la ministre des Armées.

Et c’est là que tout se complique… Puisque le gouvernement allemand souhaite que Rheinmetall participe au programme MGCS.

« L’Allemagne a décidé d’associer l’autre acteur de défense terrestre allemand, à savoir Rheinmetall. C’est un choix de l’Allemagne qui souhaite répartir la part allemande du programme entre deux acteurs, KMW, filiale de KNDS, et Rheinmetall, groupe coté sur le marché boursier. Ce choix est accepté par la France, mais complique et retarde le programme. », a ainsi expliqué M. Mayer.

Au débat, on avait un gâteau à partager en deux parts égales. Mais avec l’implication de Rheinmetall, il faudra en faire une troisième. La part française ne changera pas… En revanche, les deux industriels allemands, dont un est associé avec Nexter au sein de KNDS, devront se partager celle dévolue à l’Allemagne…

« À ce jour, la France et l’Allemagne ont défini des principes : le partage en deux parts égales ainsi que le leadership allemand, et il a été demandé aux trois industriels – Nexter, KMW et Rheinmetall – de proposer des solutions de répartition des tâches et des responsabilités. Au moment où nous nous parlons, de nombreuses réunions se sont déjà tenues. Des progrès ont été réalisés, néanmoins, la convergence complète est toujours en cours entre les trois sociétés », a affirmé M. Mayer.

Pour la partie française, il s’agit de garantir que, dans ces 50% qui lui reviennent, ses intérêts sont bien pris en compte, « notamment quant aux aspects qualitatifs et au maintien des compétences françaises, qui sont importantes et qu’il appartient à l’industrie, comme à l’État, de préserver au service de l’autonomie stratégique de la France à long terme », explique le Pdg de Nexter.

Cela étant, au moment de l’audition de ce dernier, on savait seulement que la maîtrise d’oeuvre serait allemande… Et il reste à déterminer si elle sera exercée par KMW ou Rheinmetall. Et pour Stéphane Mayer, il ne fait aucun doute que ce rôle doit revenir au premier.

« La position de KNDS – et donc de Nexter – est que la compétence de maîtrise d’œuvre est essentielle au succès et à la maîtrise de ce programme qui sera complexe, car le MGCS est l’un des systèmes les plus complexes de l’armement terrestre, plus innovant que le Leclerc ou que le Leopard à l’époque. Notre choix est celui de KMW, et finalement, au travers de KMW, du groupe KNDS, possédé à 50 % par la France. La question est sensible. Il n’est pas forcément besoin d’en décider tout de suite, mais il faudra, le moment venu, trouver une solution », a-t-il dit.

Seulement, avec ses 6,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 3,2 milliards pour ses seules activités liées à la défense, Rheinmetall, veut mettre la main sur KMW et, par extension, être majoritaire au sein de KNDS. Un scénario que refuse Stéphane Mayer.

« Quand Rheinmetall propose […] une prise de contrôle du groupe KNDS, la France n’a absolument pas intérêt à devenir un gros minoritaire aux côtés d’un grand groupe allemand. Elle n’y a pas intérêt par rapport à sa vision et son action en faveur de l’autonomie stratégique, et les actifs de défense français sont préservés dans le groupe KNDS et Nexter. Elle n’y a pas intérêt non plus du point de vue de la gestion et de la valeur du patrimoine qu’elle détient en possédant, au travers de ministère de l’Économie, 50 % de KNDS », a-t-il fait valoir.

Pour autant, faut-il s’inquiéter des ambitions de Rheinmetall? A priori non, répond M. Mayer. Le groupe de Düsseldorf « oublie assez largement les droits, les intentions et la volonté des deux actionnaires actuels du groupe KNDS » et « du point de vue de KNDS – et je m’exprime aussi en tant que coprésident de KNDS –, sa filiale allemande, KMW, n’est pas à vendre », a-t-il dit. Et d’insister : « Nous n’allons pas nous couper une de nos deux jambes pour continuer à avancer dans des conditions étonnantes. »

Enfin, un autre enjeu sera la place qu’auront les sous-traitants français, comme Thales, MBDA, Safran ou encore Atos.

« La France a pris comme principe fondateur que le MGCS devrait s’intégrer dans la bulle de communication et de combat SCORPION. Il est donc tout à fait naturel que Thales qui en est un des acteurs très importants – aussi bien qu’Atos avec le système d’information et de combat SCORPION – soit impliqué dans le MGCS pour assurer l’intégration de ce nouvel équipement au sein du système de systèmes SCORPION », a estimé M. Mayer.

Or, en matière de combat collaboratif et infovalorisé, la France a une bonne longueur d’avance sur l’Allemagne, qui en est encore au stade de la réflexion, via le programme D-LBO [Digitalisierung Landbasierter Operationen].

« Il faudra, au service de l’interopérabilité entre nos deux armées […] travailler sur ces trois axes : MGCS dans SCORPION, MGCS dans DLBO, et le char français parlant au char allemand. Ce sujet est donc très clairement identifié », a indiqué le Pdg de Nexter.

Photo : Vue d’artiste du MGCS (c) Nexter Systems

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