Un rapport plaide pour « européaniser » les interventions françaises en mer de Chine méridionale

En déployant des capacités d’interdiction et de déni d’accès [A2/AD pour Anti-Access/Area Denial] sur des récifs situés en mer de Chine méridionale et dont la souveraineté est revendiquée par ses voisins, Pékin pratique la politique du fait accompli afin d’assoir, ses prétentions territoriales dans cette région. Cela, en dépit de l’avis de Cour permanente d’arbitrage, pour qui ces dernières ne reposent sur « aucun fondement juridique ».

Or, comme le souligne un rapport sur la situation en mer de Chine méridionale [.pdf], publié le mois dernier par la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, cette « tactique du fait accompli […] est en contradiction avec la Charte des Nations Unies, et notamment son article 2 alinéa 4, en vertu duquel ‘les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies’. »

Par ailleurs, cette politique du fait accompli s’accompagne d’une stratégie visant à diviser les pays de l’Association des nations de l’Asie du sud-est [ASEAN] et à faire pression sur ceux susceptibles de nourrir des prétentions sur les récifs « poldérisés » par la Chine dans le cadre de relations bilatérales. C’est ce qui explique pourquoi Pékin ne souhaite pas que ces contentieux territoriaux puissent trouver un réglement international.

Or, les pays de l’ASEAN n’ont nullement envie de se mettre la Chine à dos, ce qui fait qu’ils sont divisés sur la conduite à tenir. Le rapport des députés Delphine O et Jean-Luc Reitzer souligne que cette organisation régionale est divisée en quatre groupes sur les questions relatives à la mer de Chine méridionale : « les plaignants revendicatifs [le Vietnam], les plaignants passifs [Philippines, Malaisie, Brunei], les inquiets n’ayant pas de revendications [Singapour, Indonésie], et les indifférents, voire les pro-Chinois [Thaïlande, Cambodge, Birmanie, Laos]. »

Cette situation écarte, du moins en apparence, tout risque de confrontation en mer de Chine. « Globalement, tous les pays insistent sur la priorité de préserver la paix et la stabilité et de favoriser la coopération régionale », notent les rapporteurs.

Seulement, ajoutent-ils, « l’impression d’accalmie politique qui prévaut depuis deux ans ne tient nullement à des avancées substantielles dans la résolution des contentieux de la mer de Chine, ni à une attitude plus conciliante » de Pékin. En revanche, elle « tient bien davantage à l’extrême prudence des dirigeants de l’ASEAN qui, sans renoncer à leurs revendications, veulent éviter les provocations et sont incités à ne pas soulever le sujet de la mer de Chine. »

Et, cherchant à « éviter de se retrouver coincés dans un face-à-face avec la Chine, ces mêmes dirigeants de l’ASEAN, du moins ceux concernés par ces contentieux territoriaux avec Pékin, multiplient les partenariats et les coopérations militaires avec d’autres pays tiers, comme les États-Unis, la France, l’Australie ou encore le Royaume-Uni. Pour ces derniers, la mer de Chine méridionale est riche d’enjeux, en particulier pour le commerce maritime mondial.

En effet, l’accès à cette région pourrait être remise en cause par la révision de la loi maritime chinoise qui, annoncée en 2017, serait susceptible d’y restreindre la navigation des navires étrangers et de créer des « zones spécialement définies » où la circulation y serait ponctuellement interdite.

« La militarisation des îles artificielles de la mer de Chine est un sujet d’inquiétude […], notamment parce que les installations chinoises suscitent un effort militaire accru de la part des autres pays riverains, et entraînent une présence renforcée des bâtiments de guerre américains » et cela « accroît ainsi le risque d’une escalade militaire, dont les répercussions pourraient être très graves pour le commerce maritime international », note le rapport des députés. En outre, « la mise en place par la Chine de ‘moyens d’interdiction de zone’ […] qui pourrait interdire de facto l’accès à la zone pour d’autres États, constitue une menace importante pour la liberté de navigation », poursuit-il.

Pour l’Union européenne, l’axe mer de Chine/Océan Indien/Suez/Méditerranée/Manche représente 50% de ses échanges commerciaux. Autant dire qu’un blocus dans cette zone aurait des conséquences économiques catastrophiques. Mais elles serait cependant moindres que pour le Japon, dont les importations de pétrole dépendent à 80% de cette voie.

C’est la raison pour laquelle les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et la France conduisent régulièrement des opérations dites FONOP afin de garantir la liberté de navigation en mer de Chine méridionale ainsi que dans les cieux de celle-ci. Et, Contrairement aux passages de l’US Navy et la Royal Navy, ceux de la Marine nationale n’avaient jamais suscité de protestation de la part de Pékin jusqu’à récemment. En avril, les autorités chinoises s’étaient émues de la présence de la frégate Vendémiaire dans le détroit de Taïwan.

« L’implication militaire de la France en mer de Chine du sud, via les transits inoffensifs de la Marine nationale et, occasionnellement, les patrouilles de l’armée de l’Air, semble se situer dans le juste milieu. Elle convient aux pays riverains de l’ASEAN, lesquels redoutent toute provocation à l’égard de la Chine, qui lui donnerait des arguments pour renforcer la militarisation et freiner les négociations. Elle convient également à peu près aux Chinois, même si elle les agace, car les opérations françaises sont discrètes et respectueuses des ‘points sensibles’ de la Chine », expliquent cependant Delphine O et Jean-Luc Reitzer.

Cela étant, pour ces deux députés, l’action militaire française en mer de Chine méridionale est « insuffisamment efficace » car elle ne dissuade nullement Pékin de continuer à militariser les îlots qu’elle occupe et que « rien n’interdit de penser qu’elle pourrait prendre le risque d’une escalade, en particulier si elle sentait son infériorité stratégique se réduire vis-à-vis des États-Unis. » Mais, dans ce cas, on pourrait dire la même chose des actions américaines dans la région…

Quoi qu’il en soit, il paraît compliqué, aux yeux des deux rapporteurs, d’en faire davantage. « si la France renforçait son implication, ne serait-ce pas considéré comme une provocation par la Chine, qui pourrait choisir de ‘punir’ la France en affectant nos intérêts économiques? Cette position serait-elle donc soutenable à moyen terme? », se demandent-ils.

Aussi, la solution passe-t-elle, à leurs yeux, par une « européanisation » des interventions de la France en mer de Chine méridionale, afin d’en diluer le risque politique à l’égard de Pékin. Et cela, sans « rechercher pour autant à en faire une opération de l’Union européenne ».

Sans trop d’originalité, les deux députés recommandent de « construire une coopération avec l’Allemagne, de plus en plus éveillée à ces enjeux, et qui partage la vision de la France sur l’attitude chinoise et le respect du droit international. » Et d’expliquer que Berlin serait plus favorable que par le passé à une « plus grande implication sur la question de la mer de Chine du Sud. » Mais encore faut-il que la Deutsche Marine ait la capacité de se projeter dans cette région… Ce qui n’est pas gagné. « Dans l’attente de bâtiments disponibles, il serait à tout le moins souhaitable de systématiser l’embarquement de personnels allemands ou d’autres nationalités à bord des navires français transitant en mer de Chine », lit-on dans le rapport.

Une autre piste serait d’approfondir la coopération franco-britannique, en y intégrant l’Allemagne. « Cette stratégie aurait le mérite d’offrir un champ de coopération d’intérêt commun dans le cadre du Brexit, dans un contexte où le Royaume-Uni a marqué son intention de se réinvestir dans la région », font valoir les députés. Et ces derniers d’ajouter : « Les Britanniques plaident pour un partage d’efforts davantage qu’une unification des efforts : un travail collectif permettrait d’assurer le maintien d’une présence européenne à tout moment dans la zone. »

Troisième idée développée par les rapporteurs : impliquer « plus directement » les pays européens ayant une position proche de celle de la France, comme les Pays-Bas et le Danemark. « L’implication donnerait une dimension réellement européenne à ces opérations », notent-ils.

Enfin, une dernière option consisterait à impliquer des pays d’Europe centrale et orientale, « traditionnellement très réticents à s’opposer à la Chine en raison de liens économiques très forts. » Mais, pour les deux députés, un « partenariat avec la Pologne, devenue nettement plus réticente à l’égard de la Chine, pourrait être exploré. » Et cela aurait une « portée symbolique assez forte, démentant ainsi la division de l’Europe entre Est et Ouest face » à Pékin. Mais ce serait oublier que, dans le même temps, des membres de l’UE, comme l’Italie et le Portugal, comptent également profiter de la puissance économique chinoise…

Pour les rapporteurs, de telles opérations en mer de Chine, « conduites en coopération européenne devraient faire l’objet d’une communication conjointe et systématique des différents pays, afin de leur donner plus de poids et de visibilité. » Mais on n’en est pas encore là…

Photo : DGRIS

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