Mme Parly répond aux critiques américaines sur les projets visant à renforcer l’autonomie stratégique européenne

Récemment, deux responsables du Pentagone et l’ambassadeur des États-Unis auprès de l’Union européenne [UE] ont vertement critiqué les initiatives européennes dans le domaine militaire, en particulier les modalités relatives au Fonds européen de la Défense [FEDef], qui sera doté de 13 milliards d’euros pour la période 2021-2027 afin de financer l’innovation technologique et encourager les projets menés en coopération sur le Vieux Continent.

Pour éligibles au FEDef, les industriels devront avoir obligatoirement leurs infrastructures au sein de l’UE et leurs décisions ne devront pas être contrôlées par une « entité installée » hors de l’UE. En clair, une filiale européenne d’un groupe étranger ne pourra pas bénéficier d’un financement. Aussi, Washington y voit une mesure « protectionniste », ce qui justifie ses menaces de « sanctions ».

Dans une tribune publiée par le Huffington Post, la ministre française des Armées, Florence Parly, a répondu aux critiques américaines sur les initiatives visant à doter l’UE de plus d’autonomie stratégique dans le domaine de la défense.

Déjà, en novembre, le président Trump était monté au créneau en qualifiant le projet d' »armée européenne » évoqué par son homologue français, Emmanuel Macron, de « très insultant ».

Dans un entretien donné à l’AFP le 31 janvier dernier, Mme Parly avait expliqué que l’expression armée européenne était « une image utilisée par le président Macron pour mieux faire comprendre ce que l’UE fait pour sa défense. » C’est à dire qu’il n’est pas question d’une « armée européenne unique » et fédérale mais d’aller vers plus d’autonomie européenne en matière de défense. Et c’est ce qu’elle a de nouveau mis en avant dans sa dernière tribune.

« Non, l’Europe de la défense, ce n’est pas ‘very insulting’, comme l’exprimait récemment sur Twitter l’un de nos meilleurs alliés. Ce n’est pas un protectionnisme déguisé. L’Europe de la défense, c’est simplement prendre notre destin en main. C’est tendre vers l’autonomie. Pourquoi? Car une puissance n’existe pas si elle n’est pas capable de décider et d’agir elle-même », a écrit Mme Parly.

« Alors oui, nous développerons une industrie européenne, une innovation européenne, des technologies européennes – et des emplois en Europe. Les 13 milliards du Fonds européen de défense ne resteront pas confinés dans des couloirs bruxellois: ils irrigueront tous les territoires européens. Quand on parle d’Europe de la défense, on parle aussi de ça », a continué la ministre.

Plus tard, lors de la séance des questions au gouvernement, à l’Assemblée nationale, Mme Pary a enfoncé le clou, en se montrant plus directe à l’égard des critiques américaines.

« L’Europe de la défense se renforce grâce au Fonds européen de la défense, qui est une véritable révolution puisque jamais, jusqu’à présent, l’Europe n’avait investi un seul euro en faveur de la défense », a commencé par rappeler la ministre.

« Nous n’oublions pas que les États-Unis sont un allié et un partenaire stratégique. Mais il faut aussi que nos amis américains comprennent que les progrès que nous accomplissons entre Européens ne se font ni contre eux, ni sans eux », a-t-elle enchaîné.

Alors, a-t-elle continué, « oui, nous allons développer une industrie européenne, une innovation européenne, des technologies européennes » et « non, […] ce n’est pas un protectionnisme malsain ou déguisé » car c’est « simplement une manière de prendre notre destin en main et d’assurer la protection de 500 millions de citoyens européens. »

Cela étant, lors d’une audition au Sénat, Louis Gautier, ancien secrétaire général de la Défense et de la sécurité nationale et actuellement chargé d’une mission sur la défense de l’Europe, a fait part d’au moins deux points d’attention sur le futur FEDef.

Tout d’abord, l’ancien SGDN a souligné les « effets très positifs » des initiatives prises par l’UE en matière de défense au regard de la « dégradation continue de la situation stratégique Européens, notamment suite à divers événements » comme « la dénonciation de l’Accord de Vienne, le désengagement diplomatique américain sur le théâtre syro-irakien, le retrait du Fonds monétaire international, la prolifération de nouvelles gammes de missiles, l’intensification des menaces cyber et, enfin, le démantèlement de l’architecture européenne de sécurité. »

S’agissant des projets que financera le FEDef, M. Gautier estime qu’une « vision strictement capacitaire est insuffisante ». Car, a-t-il demandé, « si la défense européenne n’est pas fondée sur une doctrine militaire, comment opérer des choix capacitaires dé-corrélés des enjeux opérationnels? »

« Le dimensionnement des capacités militaires européennes doit couvrir tout le spectre des opérations possibles et rendre possible la gestion de crises touchant le cyber, les infrastructures critiques européennes et la sécurisation des frontières. La capacité à intervenir à la périphérie de l’Union doit également être privilégiée. Or, aujourd’hui, ces différents domaines d’intervention ne bénéficient même pas d’un portage, fût-il institutionnel, au sein de l’Union européenne! », a observé M. Gautier.

Enfin, le second point d’attention concerne le faible nombre d’États « disposant d’une réelle industrie de défense parmi les 27 [donc, sans le Royaume-Uni, ndlr]. » Pour M. Gautier, « cette réalité est un obstacle à la réussite du FEDef, que tous les membres de l’Union ont accepté de financer mais qui, au final, est voué à porter principalement des projets industriels conduits par seulement quelques États : la France, l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne. »

Aussi, selon lui, il « ne faut donc pas freiner les projets, même portés par quelques-uns, qui favorisent une intégration accrue, sans pour autant mépriser l’inscription d’une défense européenne dans un cadre plénier. » En effet, a-t-il poursuivi, « les enjeux de sécurité nous concernent tous » et « toute faille dans la cyber-sécurité d’un seul État membre vulnérabiliserait l’ensemble de l’Union! ». Or, a-t-il conclu, « la force de l’Union européenne doit reposer sur la réaction de ses vingt-sept États-membres lors d’une crise internationale. »

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