Paris est inflexible sur la parité avec Berlin au sujet du projet franco-allemand de char du futur

Officiellement, comme l’a indiqué récemment son ambassadeur en poste à Paris, Nikolaus Meyer-Landrut, aux sénateurs français, l’Allemagne ne dérogera pas à la règle des 50-50 dans les programmes d’armement qu’elle mène en coopération avec la France, à savoir le Système de combat aérien futur [SCAF] et le Main Ground Combat System [MGCS], c’est à dire le char lourd de combat de la prochaine génération.

Ce dernier doit être en partie développé par KNDS, c’est à dire la co-entreprise formée par Krauss-Maffei Wegmann [KMW] et Nexter Systems, dont le capital est détenu à parts égales par la famille Bode-Wegmann et Giat Industries [c’est à dire l’État français].

« Les deux projets communs lancés le 13 juillet [2017] sont structurants pour notre industrie et pour notre défense. Les acteurs allemands y sont attachés. Pour ce qui est de la répartition, l’Allemagne ne diverge pas de la règle du 50/50 entre les industriels français et allemands. Nous avons demandé aux industriels de faire une proposition commune, pour que les gouvernements puissent lancer des perspectives de travail en marge du Salon du Bourget », a en effet assuré le diplomate.

Mais, en coulisse, une autre musique se fait entendre. Du moins, c’est ce que suggère Armin Papperger, le Pdg de Rheinmetall. Peu après le décès, en octobre 2018, de Manfred Bode, le « patriarche » de famille Bode-Wegmann, ce dernier a relancé l’idée de rapprocher son groupe avec Krauss Maffei Wegmann. Or, un tel projet a toujours eu les faveurs des autorités allemandes, au point d’avoir même été privilégié pendant un temps aux dépens de l’alliance avec Nexter.

En novembre, Rheinmetall a ainsi annoncé son intention de mettre la main sur KMW. Une telle opération est d’ailleurs logique étant donné que les deux industriels sont à la fois concurrents et partenaires selon les programmes d’armement.

En outre, comme de nombreuses forces terrestres d’Europe et d’ailleurs moderniseront tôt ou tard leurs unités blindées, la mise sur le marché du futur char de combat franco-allemand, l’intérêt de Rheinmetall pour KMW et, par extension, KNDS, n’en est que plus important.

Seulement, avec ses 6,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont 3,2 milliards pour ses seules activités liées à la défense [un résultat qui devrait augmenter puisque ses ventes ont augmenté de 24% dans ce secteur au premier trimestre 2019, ndlr], Rheinmetall pèse autant, si ce n’est plus, que KNDS. D’où le problème : si le groupe de Düsseldorf prend le contrôle de KMW, alors il y a aura forcément un déséquilibre au sein de KNDS aux dépens de la partie française.

« Outre l’acquisition des actions de KNDS, d’autres activités propres pourraient être introduites. Cela permettrait à Rheinmetall de détenir environ 75% du capital de KNDS », estimait, en novembre, la banque UBS.

En mars, Armin Papperger a annoncé la couleur. Ainsi, a-t-il fait valoir, la prise de contrôle de KNDS par Rheinmetall permettrait de former un ensemble qui pèserait 10 milliards d’euros et de contrer la concurrence de plus en plus vive de la Chine et des pays émergents dans le domaine de l’armement terrestre. Quant au partenariat franco-allemande, il n’est pas question d’une « coopération sans intégration sociale car, a-t-il dit « vous pouvez sortir d’une coopération, pas d’une co-entreprise. »

Interrogé, à l’époque, sur les propos du Pdg de Rheinmetall, un porte-parole du ministère allemand de la Défense a simplement répondu : « Une consolidation de l’industrie de la défense est souhaitable. » Mais si l’on suit le raisonnement de M. Papperger, il s’agirait de laisser les clés et la part belle du programme aux industriels allemands, avec ce que cela supposerait pour l’armée de Terre… et l’avenir d’une partie des savoir-faire français.

« Sans remettre en cause le leadership allemand dans ce domaine, il faut reconnaître que la France aura une avance technologique majeure en matière de combat collaboratif connecté avec l’opération Scorpion. Il conviendra donc de veiller à ce que cette dimension du combat terrestre soit dûment prise en compte, faute de quoi les capacités blindées françaises connaîtraient même une régression par rapport aux capacités Scorpion », avait prévenu le député Jean-Charles Larsonneur, dans un rapport pour avis publié en octobre dernier.

Cela étant, il est évidemment hors de question pour Paris que la parité au sein de KNDS soit remise en cause. Et l’État français, qui détient une action spécifique au capital de cette co-entreprise, a les moyens de s’opposer à tout mouvement qui serait contraire à ses intérêts. En tout cas, lors de dernière intervention devant les députés de la commission de la Défense, la ministre des Armées, Florence Parly, a tenu des propos allant dans ce sens.

S’agissant de « l’actionnariat du groupe KNDS, je vais dire une chose très simple : KNDS est une entreprise contrôlée à 50 % par la France et à 50 % par l’Allemagne, et ce partage à vocation à demeurer », a dit la ministre. Et « la question que pose Rheinmetall s’adresse donc à l’Allemagne, mais pas à KNDS », a-t-elle ajouté.

En décembre, après l’annonce des intentions de Rheinmetall, plusieurs solutions avaient été avancées, comme un scénario de type Airbus, avec une parité serait assurée quel que soit le volume d’activité des entités appelées à se regrouper, ou encore l’achat d’actions KMW par l’État français.

Par ailleurs, la question de politique en apparence restrictive de l’Allemagne en matière d’exportation d’armements pose toujours un problème. Au passage, Mme Parly n’a pas manqué de déplorer l’attitude de Berlin, qui a « oublié » de consulter ses partenaires européens au moment de décider un embargo sur les ventes d’armes destinées à l’Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis.

« Il est donc absolument essentiel que nous puissions trouver un point d’accord avec nos partenaires allemands sur les futurs programmes d’équipement que nous allons conduire ensemble. Il faut pouvoir nous mettre d’accord a priori sur le fait que ces programmes d’armement auront vocation à être exportés sinon cela change complètement la physionomie des investissements auxquels nous devrons consentir, par le biais de financements d’État », a prévenu la ministre français.

Quoi qu’il en soit, Mme Parly reste optimiste sur ce dossier. « Les travaux progressent et j’espère être en mesure de rendre publiques prochainement des étapes importantes s’agissant du projet de char du futur », a-t-elle confié aux députés.

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