Les États-Unis veulent contrer les menées « agressives » de la Chine et de la Russie dans la région Arctique

Cela fait déjà plus de dix ans que les grandes manoeuvres dans le Grand Nord ont commencé. Sans doute depuis que la Russie a planté son drapeau sur la dorsale de Lomonossov, afin d’affirmer que cette chaîne de montagnes sous-marine est une extension de son plateau continental. Ce que contestent le Canada et le Danemark, pour qui cette dorsale se rattache aux plaques continentale de l’Amérique du Nord et du Groenland. Cette dispute n’est pas sans importance puisqu’elle illustre les revendications territoriales des uns et des autres dans la région Arctique.

Ainsi, en 2015, la Russie a déposé une demande auprès de la Commission des limites du plateau continental afin de revendiquer pas moins de 1,2 millions de kilomètres carrés dans cette partie du monde, qu’elle estime hautement stratégique pour la défense de ses intérêts, au point d’y restaurer d’importantes capacités militaires qui avaient disparu au lendemain de la Guerre Froide. Évidemment, les autres membres du Conseil de l’Arctique [pays nordiques et scandinaves, Canada et États-Unis] ne voient pas ces développements d’un bon oeil, même si le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a encore récemment affirmé que Moscou « ne menaçait personne » et que son objectif était seulement d’y « assurer sa sécurité. »

Cela étant, ces différends territoriaux, qui n’épargnent pas d’anciens alliés comme les États-Unis et le Canada [en raison d’un désaccord sur la délimitation maritime en mer de Beaufort] ont des motivations d’ordre militaire mais et surtout économiques. Le changement climatique aidant, les importantes et prometteuses ressources naturelles [pétrole, gaz, minerais rares, etc] que recèle l’Arctique seront plus faciles à exploiter. Et la fonte des glaces permet d’envisager de nouvelles routes maritimes commerciales qui réduiront les temps de transport.

D’où l’intérêt de la Chine, qui, en janvier 2018, a présenté un livre blanc sur l’Arctique, afin de préciser de façon transparente ses ambitions dans cette région. Et son objectif est claire : « édifier une route de la Soie polaire grâce au développement de voies de transport maritime dans l’Arctique » en travaillant avec d’autres pays. Il s’agit d’une « initiative de coopération stratégique majeure », avait commenté, à l’époque, Kong Xuanyou, vice-ministre chinois des Affaires étrangères.

Quoi qu’il en soit, l’intérêt des uns et des autres pour l’Arctique ne manque pas d’avoir des conséquences sécuritaires. Pour Washington, il s’agit d’avoir un oeil sur ce que font les Russes et les Chinois dans cette région.

« L’Arctique est une région sur laquelle nous devons vraiment nous concentrer et investir avant tout. Ce n’est plus une zone tampon. […] La Chine et la Russie y ont établi une assise sensiblement plus solide, le long des approches nord des États-Unis et du Canada » et il faut donc « prendre des mesures actives pour assurer notre capacité à détecter, contrecarrer et contrecarrer les menaces potentielles dans cette région », avait ainsi expliqué, en février, le général Terrence O’Shaughnessy, de l’US Northern Command et du NORAD [North American Aerospace Defense Command / Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord], lors d’une audition parlementaire.

La « stratégie pour l’Arctique » [.pdf], dévoilée récemment par l’US Coast Guard, ne dit pas autre chose. Le document souligne ainsi que « les changements spectaculaires dans l’environnement physique » de cette région font qu’elle est devenue un « espace stratégiquement concurrentiel pour la première fois depuis la fin de la Guerre Froide. »

« Si la concurrence n’empêche pas la coopération, l’US Coast Guard cherchera toujours des occasions de collaborer pour résoudre des problèmes complexes. Cependant, le Service doit le faire dans le contexte des intérêts relatifs à la sécurité nationale », indique le document, qui n’hésite pas à évoquer le « réchauffement de l’Arctique » pour expliquer cette situation nouvelle.

« Les concurrents des États-Unis se sont montrés disposés à travailler dans des cadres établis, lorsque cela leur était avantageux, mais ils sont tout aussi disposés à travailler en dehors de ces cadres pour promouvoir leurs ambitions ou nuire aux intérêts d’autrui », avance également l’US Coast Guard.

D’où les propos tenus le 6 mai par le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, à l’occasion d’une réunion ministérielle du Conseil de l’Arctique organisée à Rovaniemi [Finlande]. À noter que, durant son intervention, il s’est gardé de parler de changement climatique… Ce qui est une performance en soi car cette évolution explique en grande partie les ambitions des uns et des autres dans le Grand Nord…

« La région est devenue un espace de pouvoir mondial et de concurrence », a commencé par dire M. Pompeo. Mais, a-t-il poursuivi, le « fait que l’Arctique soit un endroit sauvage ne veut pas dire qu’il devrait devenir un endroit sans foi ni loi. » Et il a ensuite décoché ses premières flèches contre la Chine.

« L’attitude agressive de la Chine ailleurs nous donnera une idée de la manière dont elle traitera l’Arctique », a en effet lancé M. Pompeo. « Voulons-nous que l’océan Arctique se transforme en une nouvelle mer de Chine méridionale, truffée d’efforts de militarisation et de revendications territoriales rivales », a-t-il ensuite demandé, en faisant référence aux visées chinoises en Asie du Sud-Est.

Puis le secrétaire d’État américain a reproché à Moscou de « remilitariser » cette région, en dénonçant ses « actions provocatrices » et son « comportement agressif ». « La Russie laisse déjà dans la neige des empreintes de bottes », a-t-il accusé.

Aussi, a-t-il promis, « l’administration du président Trump va désormais s’attacher à contrecarrer ces deux pays. » Et d’ajouter : Les États-Unis « mènent des manoeuvres militaires, renforcent leur présence militaire, reconstruisent leur flotte de brise-glaces et augmentent le financement de leurs garde-côtes. » En outre, Washington entend également « renforcer sa présence dans toute la région » ainsi que son « engagement avec ses partenaires arctiques. »

Curieusement, M. Lavrov n’a pas souhaité commenter les propos de son homologue américain, estimant que ce dernier avait fait une « déclaration politique conçue pour provoquer un certain effet. » Mais sans doute aura-t-il l’occasion de revenir sur ce sujet quand il l’accueillera à Sotchi, le 14 mai prochain…

En revanche, Pékin a vivement réagi. « Ces critiques sont totalement contraires aux faits […] et cachent des arrières-pensées malveillantes » a fait valoir Geng Shuang, un porte-parole du ministère chinois des Affaires. « Nous ne faisons pas de calculs géopolitiques et ne cherchons pas à constituer de petits cercles fermés aux autres », a-t-il continué. « La Chine a toujours participé aux affaires de l’Arctique avec une attitude ouverte, coopérative et visant les bénéfices mutuels. Nous n’interviendrons pas dans les affaires qui sont strictement du ressort des pays arctiques. Mais nous ne resteront pas à l’écart des questions arctiques trans-régionales ou de nature planétaire », a-t-il conclu.

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