Des experts des Nations unies enquêtent sur le rôle des drones émiratis en Libye

Soutenu par le Congrès général national [CGN], qui, dominé par les islamistes, refusa les résultats des élections législatives de juin 2014, ainsi que par les milices du mouvement Fajr Libya, qui lui assurèrent le contrôle de Tripoli, le gouvernement de salut national mené par Omar al-Hassi s’opposa à celui d’Abdallah al-Thani, alors investi par la Chambre des représentants nouvellement élue et installée à Tobrouk.

Ce gouvernement de salut national, proche des Frères Musulmans, était soutenu par le Qatar et la Turquie, tandis que celui de M. al-Thani, alors reconnu comme légitime par la communauté internationale, pouvait s’appuyer sur l’Égypte, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis.

Durant l’année 2015, et alors que ces rivalités politiques profitaient à la branche libyenne de l’État islamique ainsi qu’à d’autres formations jihadistes, les deux camps négocièrent un accord sous l’égide des Nations unies. Accord qui prévoya la mise en place d’un gouvernement d’unité nationale [GNA], conduit par Fayez al-Sarraj.

Seulement, s’étant substitué – non sans mal – au gouvernement de salut national, ce GNA ne fut pas reconnu par la Chambre des représentants de Tobrouk. Et sa reconnaissance par la communauté internationale n’y changea rien.

D’où la situation actuelle, qui se résume à une confrontation entre Fayez al-Sarraj et le maréchal Khalifa Haftar, « l’homme fort » du gouvernement de Tobrouk puisqu’il dirige les opérations militaires menées en son nom par l’Armée nationale libyenne [ANL].

Cela étant, le GNA a en quelque sorte hérité des soutiens de son prédécesseur. En clair, la Turquie et le Qatar [voire l’Iran] ont pris fait et cause pour lui lors de l’offensive lancée début avril en direction de Tripoli par l’ANL du maréchal Haftar, lequel a gardé la confiance des Émirats arabes unis, de l’Égypte et de l’Arabie Saoudite.

Depuis 2016, on sait que les Émirats arabes unis ont déployés des forces aériennes sur la base aérienne d’Al-Khadim, située à une centaine de kilomètres de Benghazi, afin d’appuyer l’ANL dans ses opérations anti-jihadistes. Ainsi, en mai 2018, un drone Wing Loong II, de fabrication chinoise et mis en oeuvre par les militaires émiratis, a directement été engagé dans la bataille de Derna, qui opposait les troupes du maréchal Haftar à des combattants proches de la mouvance d’al-Qaïda.

Et plusieurs éléments laissent à penser que de tels appareils ont été utilisés pour mener, à Tripoli, des frappes aériennes contre des milices qui disent soutenir le GNA. Des restes de missiles, dont les photographies ont été mises en ligne, ont permis d’identifier des munitions chinoises de type Blue Arrow-7 [LJ-7], lesquelles peuvent être emportées par des drones Wing Loong II.

Or, explique Arnaud Delalande, qui suit de près l’évolution des forces en présence en Libye, « les Émirats en possèdent et en ont déployé sur le base d’al-Khadim. Ils ont également été utilisés au Yémen par la coalition sous commandement saoudien. Les Wing Loong ont aussi intégré la force aérienne égyptienne depuis octobre. »

Reste qu’un embargo sur les armes est actuellement imposé à la Libye, ce qui motive, d’ailleurs, l’enquête des experts de l’ONU puisqu’aucune des parties en Libye n’est supposée disposer de drones Wing Lonng II. Ce que le ministre des Affaires étrangères du Qatar, Mohammed ben Abdelrrahmane Al-Thani, a rappelé le 16 avril dernier. « La guerre ne s’arrêtera pas avec les appels lancés dès le premier jour et que [le maréchal Kkalifa] Haftar a ignorés ni, comme l’a demandé Tripoli, en libérant de l’embargo le gouvernement [d’union nationale de Fayez al-]Sarraj pour lui permettre d’acheter des armes pour se défendre », a-t-il dit. Et d’ajouter que la communauté internationale ne pourra faire cesser les combats qu' »en rendant effectif l’embargo aussi envers Haftar et en empêchant que ces pays qui l’ont équipé en munitions et en armements très modernes continuent à le faire. »

En attendant, selon un rapport auquel l’AFP a eu accès, les Nations unies ont ouvert une enquête sur les frappes présumés de drones ayant eu lieu à Tripoli.

« Le groupe d’experts enquête sur l’utilisation probable de variantes du drone Wing Loong par l’ANL ou par une tierce partie en soutien de l’ANL », indique le rapport de l’ONU, pour qui il est « presque certain » que les missiles utilisés pour ces frappes n’ont « pas été fournis directement par le fabricant ou par la Chine à la Libye. »

Quoi qu’il en soit, les Émirats ont récemment [et une nouvelle fois] justifié leur soutien au maréchal Haftar. Affirmant que des « milices extrémistes » contrôlent Tripoli en disant soutenir le GNA, le le ministre émirati des Affaires étrangères, Anwar Gargash, a estimé que la « priorité en Libye doit être de contrer l’extrémisme et le terrorisme et de soutenir la stabilité. »

Un point de vue que n’est pas loin de partager Paris, du moins sur les milices pro-GNA. « On trouve parmi les miliciens des responsables de hold-up, des spécialistes de la prédation et des jihadistes » ainsi que des « groupes mafieux de passeurs, qui torturent et mettent en esclavage des migrants », a déclaré Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, dans un entretien donné au Figaro. « Ils ne se battent pas pour Sarraj mais pour la protection de leurs activités criminelles », a-t-il insisté.

Cela étant, l’implication « éventuelle » de drones dans la bataille pour le contrôle de la capitale libyenne qui fait rage actuellement ne serait une première pour la force aérienne émiratie. Durant l’été 2014, cette dernière avait bombardé des positions islamistes à Tripoli avec ses Mirage 2000-9.

Par ailleurs, le 30 avril, les forces pro-GNA ont diffusé des photographies montrant les restes d’un drone de renseignement Orlan-10, de conception russe. Cet appareil aurait été abattu dans les environs de Syrte.

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