Washington adopte un ton plus conciliant à l’égard du maréchal Haftar, qui défie le gouvernement libyen d’unité nationale

Jusqu’en juin 2014, la situation politique en Libye était encore relativement simple : il y avait un seul gouvernement, issu du Congrès général national [CGN], c’est à dire le Parlement – dominé par les islamistes – élu à la faveur des premières élections libres organisées dans le pays depuis la chute du colonel Khadafi.

Les choses se compliquèrent après de nouvelles élections législatives. Refusant le verdict des urnes, le CGN, par ailleurs soutenu par le Qatar et la Turquie, refusa de s’effacer. Ce qui conduisit la Chambre des représentants – le nouveau Parlement libyen – à s’exiler à Tobrouk [est du pays] pour former, avec le soutien de la communauté internationale, un gouvernement rival de celui en place à Tripoli. Ces divisions favorisèrent l’implantation en Libye de groupes jihadistes, comme l’État islamique [EI], qui prit le contrôle de la ville de Syrte.

Les Nations unies tentèrent une médiation pour réconcilier les deux camps, ce qui donna lieu à la signature des accords de Skhirat [Maroc], lesquels prévoyaient l’instauration d’un gouvernement d’union nationale [GNA] conduit par Fayez Al-Sarraj.

Dans le même temps, revenu d’exil des États-Unis, le maréchal Khalifa Haftar, ayant pris les rênes de l’Armée nationale libyenne [ANL], lança une opération anti-jihadiste dans la région de Benghazi, au nom du gouvernement soutenu par la Chambre des représentants. Et cela, avec le soutien de l’Égypte, des Émirats arabes unis et de la Russie, de même qu’avec l’appui – discret – de la France.

Au printemps 2016, avec la bénédiction de la communauté internationale, le GNA s’installa à Tripoli. Seulement, s’il put se prévaloir de la loyauté de milices – pour la plupart islamistes -, son autorité ne fut pas reconnue par le Parlement de Tobrouk. D’où l’existence de deux gouvernements aux vues inconciliables.

Sa priorité étant de combattre les groupes jihadistes, la France se trouva en porte-à-faux. Officiellement, il s’agissait de soutenir le GNA… Mais officieusement, elle apporta un soutien aux forces du maréchal Haftar, comme le montra tragiquement la mort de trois trois membres du Service action de la Direction générale de la sécurité extérieure [DGSE] à Benghazi, en juillet 2016.

De leur côté, les États-Unis s’engagèrent aux côtés du GNA pour chasser l’État islamique de Syrte, dans le cadre de l’opération Odyssey Lightning. Puis, comme l’Italie, ils établirent une coopération avec les autorités de Tripoli. L’Union européenne en fit de même au titre de sa mission EUNAVFOR Sophia, lancée pour lutter contre les réseaux de passeurs de migrants.

Considérant que la solution pour améliorer la situation libyenne ne pouvait pas être militaire, la diplomatie française se livra à un numéro d’équilibriste, en cherchant à faire converger les deux gouvernements vers un compromis politique. Mais telle n’était pas la voie que le maréchal Haftar entendait suivre.

En effet, début avril, il a lancé ses troupes à l’assaut de Tripoli. Pour le moment, cette offensive contre les milices loyales au GNA n’a pas connu d’avancée significative. Et elle a déjà fait plus de 200 tués.

Alors que, en Italie, le quotidien La Repubblica a publié une enquête sur les relations entre Paris et l’homme fort de l’est libyen, le GNA a décidé de supendre « tout lien entre ministère [de l’Intérieur] et la partie française dans le cadre des accords sécuritaires bilatéraux […] à cause de la position du gouvernement français soutenant le criminel Haftar qui agit contre la légitimité. » Ce à quoi Paris a immédiatement répondu en affirmant soutenir « le gouvernement légitime du Premier Ministre Fayez al-Sarraj et la médiation de l’ONU pour une solution politique inclusive en Libye. »

Mais, visiblement, les lignes sont en train de bouger. Ainsi, au Conseil de sécurité des Nations unies, un projet de résolution britannique demandant un cessez-le-feu entre les belligérants et critiquant l’offensive du maréchal Haftar aurait, selon l’agence Reuters, suscité non seulement l’opposition de la Russie mais aussi celle des… États-Unis.

« Les États-Unis et la Russie ont dit jeudi [18 avril] ne pas pouvoir soutenir un projet de résolution présenté au Conseil de sécurité de l’ONU par le Royaume-Uni en vue d’instaurer un cessez-le-feu en Libye », avance en effet Reuters, qui s’appuie sur des confidences faites par des diplomates. Trois pays africains actuellement membres du Conseil de sécurité ont exprimé leurs réticences face à ce texte : l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire et la Guinée équatoriale. Et le fait que l’Égypte exerce actuellement la présidence de l’Union africaine n’y est pas forcément étranger…

Quoi qu’il en soit, l’explication au sujet de l’attitude américaine a été donnée par la Maison Blanche, le 19 avril. En effet, quatre jours plus tôt, le président Trump s’est entretenu par téléphone avec le maréchal Haftar pour évoquer une « vision commune » pour un avenir démocratique en Libye.

Mieux : dans le communiqué publié par la Maison Blanche, M. Trump a souligné le « rôle significatif du maréchal Haftar dans la lutte contre le terrorisme et la sécurisation des ressources pétrolières de Libye ». Ce qui veut dire que Washington soutient désormais ouvertement le chef de l’ANL, ce qui est donc un revirement majeur.

En effet, le 8 avril, Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine, assurait encore que Washington « s’opposait à l’offensive des forces de Khalifa Haftar » et « demandait l’arrêt immédiat de ces opérations militaires contre la capitale libyenne. » Et d’ajouter : « Cette campagne militaire unilatérale contre Tripoli met en danger les civils et compromet les perspectives d’un avenir meilleur pour tous les Libyens. »

Pour autant, le chef par intérim du Pentagone, Patrick Shanahan, a expliqué que la ligne suivie par Washington n’avait pas changée sur le fond. « Une solution militaire n’est pas ce dont la Libye a besoin » mais l’exécutif américain tient « à saluer le travail effectué au préalable par le général Haftar, qui a su contenir et maîtriser le terrorisme dans une région qui, désormais aspire à la démocratie. »

Cette attitude plus conciliante à l’égard du maréchal Haftar trouve sans doute son explication dans les propos tenus récemment au Congrès par le général Thomas Waldhauser, le chef de l’US AFRICOM, le commandement militaire américain pour l’Afrique.

Ainsi, ce dernier avait expliqué que la Russie soutenait le maréchal Haftar pour renforcer son influence dans cette zone stratégique qu’est la Méditerranée centrale sur le flanc sud de l’Otan. « Dans les coulisses, il n’y a aucun doute sur le fait qu’ils [les Russes] ont soutenu l’Armée nationale libyenne […] et [Khalifa] Haftar pour qu’il soit en position de force lors de pourparlers diplomatiques », avait-il dit. Et d’ajouter : « Cela leur permet de revigorer des contrats de vente d’armes passés sous l’ère Khadafi. »

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