Selon Mme Parly, un euro investi dans l’industrie de défense en rapporte deux fois plus à l’économie au bout de 10 ans

« Cartographie d’un mensonge d’État ». C’est ainsi que s’ouvre l’enquête du nouveau medium d’investigation « Disclose » au sujet de l’utilisation au Yémen d’équipements militaires vendus – il y a parfois longtemps – par la France à l’Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unies, sur la base de deux notes de la Direction du renseignement militaire [DRM] datées du 25 septembre et du 1er octobre 2018 et estampillées « Confidentiel Défense – Spécial France ».

Cette enquête appelle deux observations. La première est qu’il est inquiétant de voir « fuiter » des documents ayant ce degré de confidentialité. Il est vrai que ce n’est pas la première fois que ça arrive. Du temps où il était à l’Élysée, le président Hollande fut lui-même à l’origine d’une fuite de la même nature quand il confia à des journalistes du quotidien Le Monde une page d’un dossier que la DRM avait préparé à son intention au sujet d’une possible intervention française contre le programme chimique syrien, en août 2013.

La seconde observation est que la note du 25 septembre 2018 se garde d’être affirmative dans la mesure où le conditionnel y est abondamment utilisé et que la DRM assure dans certains cas qu’elle n’a « aucune information » sur l’emploi de telle ou telle arme au Yémen. D’ailleurs, Disclose l’admet à demi-mots dans sa conclusion : le document en question « livre des informations qui nous permettent de démontrer que cet armement pourrait être impliqué dans des crimes de guerre ». L’usage du conditionnel, une fois de plus…

Quoi qu’il en soit, le 15 avril, les services du Premier ministre ont répondu aux accusations de mensonge portées par Disclose en répétant que les « armes françaises dont disposent les membres de la coalition sont placées pour l’essentiel en position défensive » et qu’ils n’ont « pas connaissance de victimes civiles résultant de leur utilisation sur le théâtre yéménite. »

Ce 18 avril, et comme elle avait déjà eu l’occasion de le faire en juillet 2018 et en janvier dernier, la ministre des Armées, Florence Parly, n’a pas dit autre chose. « C’est une question qui fait débat et c’est tout à fait compréhensible parce que la guerre au Yémen est une guerre sale », a-t-elle déclaré sur les ondes de Radio Classique [.mp3]. « Et la France fait tous ses efforts pour que cette guerre cesse le plus rapidement possible » en trouvant une « solution politique », a-t-elle ensuite assuré.

Cela étant, a poursuivi Mme Parly, « il se trouve qu’on a vendu il y a quelques années de cela des équipements militaires à l’Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis qui sont impliqués dans cette guerre » et « quand j’entends dire que nous porterions une responsabilité en terme de pertes civiles, je voudrais simplement dire que, à ma connaissance, ces armes ne sont pas utilisées de façon offensive » au Yémen.

« En tout cas, a-t-elle insisté, je n’ai pas d’éléments de preuve permettant de dire que des armes françaises sont à l’origine de victimes civiles ». Ce qui est d’ailleurs conforme à ce qu’indique la note de la DRM puisque cette dernière use du conditionnel. Et de rappeler, encore une fois, que la France dispose d’un « dispositif de contrôle des exportations d’armement extrêmement rigoureux ».

Quoi qu’il en soit, Mme Parly, qui ne semble pas inquiète des arbitrages qui seront rendus après le grand débat national, a rappelé le poids économique de son ministère et l’importance des industries françaises de l’armement.

« En 2019, nous allons atteindre presque 36 milliards d’euros [de budget] », dont « 19,5 millards d’euros d’investissement », a rappelé la ministre. « Ce qui fait du ministère des Armées le premier investisseur de l’État. Et ces montants vont encore progresser au fil de la Loi de programmation militaire », a-t-elle continué.

Or, a fait valoir Mme Parly, « un euro investi dans les industries de défense, c’est, in fine, au bout de dix ans, 2 euros de croissance économique, et donc du PIB ».

Effectivement, comme le soulignait une note de l’Observatoire économique de la Défense publiée en 2016, « les investissements de la défense […] contribuent également à la croissance, à l’innovation, à l’emploi et au développement des territoires tout en tenant compte des contraintes économiques et budgétaires auxquelles sont soumises le ministère. »

En outre, ces investissements peuvent contribuer au rééquilibrage de la balance commerciale… via les exportations d’équipements militaire « combat proven ». Cependant, comme la France dispose d’une industrie de défense performante, ce calcul n’est pas forcément valable pour d’autres pays. D’où, d’ailleurs, l’insistance de certains à réclamer des compensations industrielles [offset] au moment de signer d’importantes commandes d’armements.

« Le marché français est évidemment un petit marché si on raisonne en termes économiques. Le marché européen est très étroit – en tout cas, il l’est pour les entreprises européennes puisque les trois-quarts des pays européens achètent américain. Donc, cette industrie doit trouver d’autres débouchés », a expliqué Mme Parly.

Et elle y arrive très bien ces dernières années, comme en témoignent de récents contrats [CaMo en Belgique, Rafale au Qatar, etc]… Après un millésime 2016 exceptionnel suivi d’un repli en 2017, les exportations d’équipements militaires français sont de nouveau reparties à la hausse. « Nous avons exporté un peu moins de 7 milliards en 2017 et les chiffres pour 2018 sont très significativement au-dessus, de l’ordre de 9 milliards », ce qui fait une « croissance de 30% », a en effet révélé Mme Parly.

« C’est très important pour chaque entreprise prise une à une, parce que c’est ça aussi qui permet d’assurer la continuité des plans de charge et des compétences », a conclu la ministre. Elle aurait pu ajouté l’emploi. Les industries françaises de l’armement emploient plus de 200.000 personnes, généralement très qualifiées et dans des postes non-délocalisables.

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