Les États-Unis suspendent les livraisons d’équipements liés à l’avion de combat F-35 à la Turquie

Le Pentagone et le Congrès des États-Unis avaient prévenu : si la Turquie persistait à vouloir se procurer le système de défense aérienne russe S-400 « Triumph », alors elle en paierait les conséquences, c’est à dire qu’elle devrait s’attendre à faire une croix sur sa participation au programme d’avion de combat F-35, conduit par Lockheed-Martin.

« Le meilleur avis militaire que je puisse donner est que dans ce cas, nous ne pouvons pas permettre au F-35 de voler […] avec un système anti-missile russe », avait ainsi expliqué le général américain Curtis Scaparrotti, le commandant suprême des forces alliées en Europe [SACEUR], lors d’une audition palementaire, en mars. « C’est un problème pour tous nos avions, pas seulement pour le F-35 », avait-il insisté.

La semaine passé, des sénateurs américains, républicains et démoctates, ont déposé un projet de loi visant à bloquer le transfert de tout F-35 aux forces aériennes turques tant que l’administration Trump n’aurait pas la certitude qu’Ankara n’obtiendrait pas les S-400 russes.

« Il est préoccupant que la Turquie cherche à coopérer étroitement dans le domaine de la défense avec la Russie, dont le dirigeant autoritaire cherche constamment à saper les intérêts de l’Otan et des États-Unis », a ainsi fait valoir James Lankford, sénateur pour l’Oklahoma.

En réalité, cela fait plusieurs mois que Washington presse Ankara de renoncer à son projet de se procurer des systèmes russes de défense aérienne. En juin 2018, deux premiers F-35A ont été livrés à la Turquie, qui en a commandé 100 exemplaires. Mais, affectés à Luke AFB [Arizona], ils ne sont pour le moment pas autorisés à quitter le territoire américain. En outre, les États-Unis ont proposé au gouvernement turc d’acquérir des batteries anti-missile Patriot PAC-3, dans des conditions avantageuses, afin de le faire renoncer au S-400. Peine perdue.

Le 29 mars, lors d’une conférence de presse donnée au côté de son homologue russe, Sergueï Lavrov, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, s’est montré très combattif. « Nous avons signé un accord avec la Russie, cet accord est valable. Nous sommes maintenant en train de discuter de la livraison », a-t-il dit. « Qu’un pays tiers s’y oppose […], c’est contraire au droit international », a-t-il enchaîné. « Il faut que tout le monde comprenne que la mentalité du ‘Je veux ceci, je veux que cela se passe ainsi’ n’a plus cours aujourd’hui », a-t-il ajouté.

Et M Cavusoglu d’insister : « La Turquie est l’un des partenaires du programme des F-35, certains composants sont fabriqués en Turquie. La Turquie a honoré ses obligations à ce jour. »

Justement, sur ce point, une mise au ban de la Turquie, partenaire de niveau 3 du programme F-35, ne poserait pas de problèmes insurmontables. L’industrie turque fabrique environ 800 pièces pour cet avion. Et parmi elles, a confié une source « proche du dossier » à Reuters, beaucoup peuvent être produites par d’autres sous-traitants.

« Le retrait de la Turquie de la chaîne d’approvisionnement entraînera certainement des retards dans le processus de production et de livraison. Mais personnellement, je pense que cela ne provoquera pas de retards importants ni de dépassements de coûts », a confirmé, auprès de la même source, Arda Mevlutoglu, une consultante de l’industrie de la défense installée en Turquie.

Aussi, devant l’inflexibilité turque, l’administration est passée à la vitesse supérieure. En effet, elle a décidé de suspendre la livraison à Ankara de tous les équipements nécessaires à la mise en oeuvre du F-35A.

« En attendant une décision sans équivoque de la Turquie qui doit renoncer aux livraisons du système S-400, les livraisons et activités associées à la mise en place des capacités opérationnelles des F-35 de la Turquie ont été suspendues », a confirmé un responsable militaire américain à l’AFP. Toutefois, a-t-il précisé, « notre dialogue avec la Turquie sur cette question importante se poursuit. »

Concrètement, tout le matériel nécessaire pour préparer l’arrivée des F-35A en Turquie restera, pour le moment, aux États-Unis.

« Les États-Unis ont clairement dit que l’acquisition par la Turquie des S-400 est inacceptable et cela met en péril la poursuite de la participation de la Turquie au programme F-35 », a insisté Charles Summers, un porte-parole Pentagone. « Nous déplorons vivement la situation actuelle dans laquelle se trouve notre partenariat sur les F-35, mais le département de la Défense doit prendre des mesures de précaution pour protéger les investissements partagés réalisés dans notre technologie sensible », a-t-il ensuite expliqué.

Reste que la situation est compliquée. La Turquie, qui a déjà investi plus d’un milliard de dollars dans le programme F-35, pourrait considérer que la décision du Pentagone comme une violation de contrat. Mais, d’un autre côté, elle s’expose à des sanctions américaines au titre de la loi dite CAATSA [Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act], qui prévoit des mesures contre les entités passant des contrats avec l’industrie russe de l’armement. Et si la commande des S-400 est finalement annulée, alors elle prendrait le risque de se mettre à dos la Russie, qui est un partenaire stratégique dans le dossier syrien. Et, en filigrane, la question de l’adhésion d’Ankara à l’Otan, qui fête ses 70 ans ce 2 avril, se pose.

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