À l’ONU, la Chine bloque des sanctions contre le chef du groupe jihadiste pakistanais ayant visé l’Inde

Âgé de 50 ans au Penjab [Pakistan], Masood Azhar s’est taillé une solide réputation dans la mouvance jihadiste. Ayant voyagé en Somalie puis au Royaume-Uni [pour des « conférences » et y récolter des fonds], il rejoignit très vite l’organisation Harkat ul Ansar [HuA] dans les années 1990, considérée par la CIA comme étant un mouvement « extrémiste islamiste » soutenu par les autorités pakistanaises dans leur guerre par procuration menée contre les troupes indiennes au Cachemire.

En 1994, s’étant rendu sous une fausse idendité en Inde pour, a priori, aplanir des différends entre des factions jihadistes rivales, Masood Azhar fut arrêté par les forces de sécurité indiennes. Pour le faire libérer, le HuA détourna un vol d’Indian Airlines assurant la liaison entre Katmandou et New Delhi vers Kandahar [Afghanistan], alors sous le contrôle des taliban. Et les autorités indiennes durent se résoudre à le remettre aux pirates de l’air [commandés par son frère, ndlr], avec deux autres jihadistes, en échange de la libération des passagers retenus en otage.

À l’époque, le Pakistan assura qu’il arrêterait les pirates de l’Air si jamais il parvenait à les identifier. Mais ce n’était apparemment qu’une promesse qui n’engageait que ceux qui voulaient y croire. Qaund à Masood Azhar, Islamabad indiqua qu’il serait autorisé à rentrer chez lui, étant donné qu’il ne faisait l’objet d’aucune poursuite de la part de la justice pakistanaise.

Peu après, Ahzar fit de nouveau parler de lui en prononçant un violent discours devant 10.000 personnes rassemblées à Karachi. « Je suis venu ici parce que c’est mon devoir de vous dire que les musulmans ne devraient pas reposer en paix avant d’avoir détruit l’ Inde », avait-il lancé.

Le HuA ayant été officiellement interdit au Pakistan en 1999, Ahzar fonda le Jaish-e-Mohammad, sans doute, est-il avancé encore aujourd’hui, avec le soutien de l’ISI [Inter-Services Intelligence, c’est à dire les services secrets pakistanais], du mouvement taleb afghan et la bienveillance d’Oussama ben Laden, alors chef d’al-Qaïda.

Cette nouvelle organisation terroriste ne tarda pas à faire parler d’elle, notamment lors de l’attaque du Parlement indien, à New Delhi, en décembre 2001. Ce qui provoqua une énième crise diplomatique entre le Pakistan et l’Inde. En outre, elle serait aussi impliquée dans l’assassinat du journaliste américain Daniel Pearl, en 2002.

Depuis, et malgré les vicissitudes de la vie politique pakistanaise, Masood Azhar n’a plus été inquiété, sauf pour la forme, notamment après les attentats de Bombay [novembre 2008], Islamabad ayant cherché à donner des gages de sa bonne foi à New Delhi [mais aussi à Washington]. Et le JeM a continué ses attaques dans l’État indien du Jammu-et-Cachemire… dont la dernière a fait 41 tués parmi des paramilitaires, le 14 février dernier, dans le district de Pulwama.

Cet attentat suicide, rapidement revendiqué par le JeM, a donné lieu à un regain des tensions entre l’Inde et le Pakistan, avec un raid aérien indien contre une base utilisée par le groupe terroriste de l’autre côté de Ligne de Contrôle [LoC], qui traverse le Cachemire. A priori, et à en juger par les photographies du site diffusées par l’agence Reuters, ces frappes aériennes n’auraient pas causé les pertes et les dégâts avancés par New Delhi. En tout cas, elles ont été suivies par des incidents ayant opposé les forces des deux pays et aucun des deux camps ne s’est privé de jouer la carte de la propagande.

Reste que, après l’attentat de Pulwama, la France, les États-Unis et le Royaume-Uni ont soutenu l’Inde pour que le nom de Mazhood Azhar soit ajouté à liste du « Comité du Conseil de sécurité faisant suite aux résolutions 1267 (1999), 1989 (2011) et 2253 (2015) concernant Daesh, al-Qaida et les personnes, groupes, entreprises et entités qui leur sont associés » [ou « comité 1267 », du numéro de la résolution qui l’a institué, ndlr]

Seulement, la Chine s’y est opposée, comme lors de trois précédentes tentatives [la première date de 2014, ndlr]. Ce qui, par ailleurs, créé une situation paradoxale : le JeM est en effet considéré comme une organisation terroriste et donc passible de sanctions dont le comité 1267 assure le suivi mais pas son… chef.

Pour expliquer sa décision, la Chine, proche alliée du Pakistan et rivale de l’Inde, s’est bornée à dire qu’elle « besoin de plus de temps pour examiner » le cas de Masood Azhar. Plus tard, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Lu Kang, a affirmé que « les discussions sur cette question devaient être menées conformément aux règles et procédures du Conseil de sécurité des Nations unies et de ses organes subsidiaires. » Ce qui n’avance pas à grand chose. En tout cas, la décision chinoise va bloquer ce processus pendant au moins 9 mois.

Pour l’Observer Research Foundation [ORF], un influent centre de réflexion indien, ce nouveau blocage s’expliquerait par le fait que Masood Azhar serait « l’homme de confiance de Pékin pour assurer la sécurité de ses investissements géostratégiques dans le corridor économique Chine-Pakistan [CPEC], qui entre dans le cadre des Nouvelles routes de la soie [Belt and Road Initiative, BRI].

Peut-être. Mais il est certain que les ambitions chinoises au Pakistan expliquent en grande partie cette « mansuétude » à l’égard de Masood Azhar : une insécurité grandissante que serait susceptible de provoquer l’arrestation du chef du JEM pourrait compromettre les investissements de Pékin dans le pays.

« Les responsables chinois savent que le terrorisme au Pakistan constitue un obstacle extrêmement important pour l’économie pakistanaise et, par conséquent, pour les investissements de la Chine », a ainsi avancé Ananth Krishnan, chercheur du centre de recherche Brookings India.

Photo : Masood Azhar

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