La Cour des comptes suggère d’étudier l’achat d’avions de transport C-130H Hercules d’occasion

En raison d’un sous-investissement chronique durant ces dernières années, l’armée de l’Air a des lacunes dans le domaine du transport aérien tactique. Ce qui oblige l’État-major des armées à recourir à l’externalisation en sollicitant de prestataires privés pour des vols logistiques réalisés au profit de la force Barkhane, Sahel. Ainsi, de tels contrats ont coûté 70 millions d’euros entre 2015 et 2017.

Or, dans son rapport pour avis publié en octobre dernier, le député Jean-Jacques Ferrara avait estimé que le « marché de l’affrètement tactique semblait encore plus opaque que celui de l’affrètement stratégique », lequel fait actuellement l’objet d’une enquête du Parquet national financier [PNF].

Pour rappel, les achats effectués sur un théâtre extérieur pour répondre aux des forces françaises ne sont pas soumis au code des marches publics. Cependant, ils sont encadrés par des instructions et des directives internes au ministère des Armées. Mais leur respect « ne peut être vérifié de façon régulière et fiable faute d’un dispositif de contrôle interne efficace, car celui-ci est limité aux risques budgétaires et financiers », relève la Cour des comptes, qui vient de remettre un rapport [.pdf] sur cette question aux députés de la commission des Finances.

En effet, selon les magistrats de la rue Cambon, « l’échantillon des marchés examinés a permis d’établir plusieurs cas de non-respect des trois principes généraux de la commande publique, auxquels sont pourtant soumis ces marchés [liberté d’accès, égalité de traitement, transparence] » et les « instructions de l’EMA visant le renforcement de la sécurité aérienne par une plus grande attention aux offres des candidats ont été inégalement respectées et parfois méconnues. »

Ainsi, le rapport parle « d’anomalies dans la passation et l’exécution des prestations » et recommande par conséquent de « renforcer les compétences des personnels déployés ainsi que la robustesse des dispositifs de suivi. »

Parmi ces anomalies, le document cite par exemple des délais de consultation des entreprises « trop courts », ce qui contrevient au « principe d’égalité de traitement entre candidats. » En outre, il évoque également un « climat délétère avec les affréteurs ou entre eux », avec à la clé des « tentatives d’intimidation sur les personnes en charge des marchés au sein de la force » Barkhane. Cela mériterait sans doute plus d’explications…

Par ailleurs, ce recours à des prestataires privés posent plusieurs questions. Dans son rapport, le député Ferrara en avait soulevé une en particulier : celle de la confidentialité des opérations.

« L’affrètement est également mis en œuvre au profit de l’opération des forces spéciales Sabre, qui exige pourtant la plus grande discrétion et la plus grande confidentialité », avait-il en effet relevé. Sur ce point la Cour des comptes a émis une réserve.

« Le recours indispensable aux affrètements aériens, dont l’activité donne des indices sur la préparation des opérations » appelle à la définition d’un critère visant à « ne pas compromettre la sûreté des informations » car, relève-t-elle, les « exigences à l’égard des titulaires des marchés n’étaient pas toujours exprimées. »

Plus généralement, si la Cour des comptes reconnaît qu’un contrat d’affrètement peut se revéler moins onéreux que le recours aux moyens militaires classiques car les « risques d’indisponibilité sont supportés par le prestataire « , l’avantage financier qui en est retiré « ne masque cependant pas les limites opérationnelles de la solution externalisée. »

Ainsi en est-il, par exemple, de la location de deux hélicoptères Mi-8 auprès de la société Lavalin pour 9,7 millions d’euros entre 2015 et 2017. Or, expliquent les magistrats, ces appareils ne peuvent pas remplir des missions de combat, contrairement aux Caracal de l’armée de l’Air, dont le coût de l’heure de vol était estimé à 17.000 euros en 2014.

« En outre, le contrat, même bien rédigé, ne prémunit pas contre la défaillance du prestataire. Ainsi, d’après un audit de sécurité réalisé par l’organisme pour la sécurité de l’aviation civile (OSAC) en décembre 2017, l’un des Mi-8 utilisés présente un risque de sécurité grave et ne peut transporter du personnel. La qualité des appareils retenus avait été mise en doute par un concurrent au moment de l’appel d’offres », lit-on dans le rapport de la Cour des comptes.

Cependant, faute d’une comptabilité analytique, ce que déplore le rapport, il est, en définitive, difficile de comparer les coûts des externalisation avec ceux d’autres solutions.

« L’état-major mentionne le coût de l’externalisation dans les critères de décision. L’enquête n’a pas révélé que, pour les affrètements aériens ou même de transport terrestre, ce paramètre ait été réellement pris en compte. L’information financière incomplète […] est assurément insuffisante pour établir avec précision, même
a posteriori, un tel bilan », explique la Cour des comptes. Or, poursuit-elle, « sans connaissance des coûts, toutes les options économiques ne peuvent être examinées. »

Pour les magistrats, d’autres solutions mériteraient d’être étudiées. « Des [avions de transport] C-130H d’occasion pourraient ainsi offrir une sécurité d’emploi supérieure à celle des affrétés, et au surplus un potentiel de participation aux opérations militaires que les affrétés ne peuvent apporter. Il resterait à en comparer le coût aux autres modalités de transport », estiment-ils. Qui plus est, soulignent-ils encore, « l’équation favorable aux externalisations pourrait cependant basculer dans un autre sens en cas d’exigences supplémentaires sur les normes à respecter par les aéronefs. »

D’où leur recommandation : « comparer l’achat ou la location d’aéronefs d’occasion au coût des affrètements aériens, en tenant compte du fait que des aéronefs achetés ou loués répondent aux règles d’emploi des avions de transport tactique militaire et sont susceptibles d’accroître la sécurité du personnel transporté. »

A priori, le ministère des Armées n’est pas fermé à l’idée d’acquérir des C-130H Hercules de seconde main, sans pour autant montrer un enthousiasme débordant.

« Le ministère déclare qu’il n’écarte aucune option et que l’achat d’appareils d’occasion a déjà été mis en œuvre, par exemple avec l’achat de deux C-130H d’occasion au milieu des années 90. Il indique néanmoins qu’une étude conduite en 2010 pour renforcer à nouveau la flotte de C-130H montrait un délai de 16 à 24 mois pour remettre ces avions au standard français », indique le rapport de la Cour des comptes.

Cependant, le problème du transport aérien tactique ne se limite pas aux seuls appareils et à leur disponibilité. Sur ce point, la réforme du maintien en condition opérationnelle aéronautique, l’arrivée des 4 C-130J Hercules et la poursuite des livraisons des A400M Atlas devraient améliorer la situation. En revanche, et comme l’avait montré le député Jean-Jacques Ferrara, il y a aussi un déficit de pilotes, de navigateurs et de techniciens au sein de l’armée de l’Air.

« En asséchant les flux de recrutement durant cinq ou six ans, l’armée de l’air a en fait perdu une génération de pilotes, ce dont on mesure les effets aujourd’hui tant dans le vivier OPEX que pour l’encadrement intermédiaire », avait expliqué le député.

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